Much loved : entre médiocrité et complaisance
Par Kader Chafi (Consultant Commisssion Européenne)
Ayouch veut s’inscrire dans la tradition des grands réalisateurs français qui recourent dans leurs films à des dialogues crus, parfois vulgaires jusqu’à l’écœurement, tels André Téchiné, Bertrand Tavernier ou Jean-Pierre Mocky, ou encore Bertrand Blier … Mais attention ! On trouve chez ces géants le souci de l’esthétisme, le jeu des ombres et des lumières, la provocation et la distance. Le casting est exigeant et précis, la nudité des personnages n’est pas que vestimentaire, elle a pour vocation de les débarrasser de leur statut social afin d’en affiner l’analyse psychologique, voire souvent psychanalytique. Les scènes de nu, navigant entre l’érotisme et la pornographie, dont s’est illustré la réalisatrice Catherine Breillat, sont d’une plastique à l’esthétisme parfait, rendant le dialogue quasi superflu. Il est question d’explorer les zones d’ombre des personnages.
Si le projet du réalisateur Ayouch vise à singer ou se mesurer aux grands, il va lui falloir beaucoup travailler. S’il veut, pour des raisons budgétaires, faire des films avec des acteurs non professionnels, il doit savoir que cela demande, de sa part, beaucoup de professionnalisme, à moins de tomber dans la caricature, ce qu’il a fait en forçant le trait.
J’ai vu le film, il ne ressemble en rien aux prétentions et allégations du réalisateur, le problème de la prostitution n’est pas posé, le parcours des quatre filles n’est même pas suggéré, il n’y a pas de narration, encore moins d’histoire construite, cohérente, il n’y a pas non plus le moindre soupçon de message.
Tout ce qui ressort du film c’est une soirée bien arrosée où des nantis saoudiens s’amusent à humilier de pauvres filles qui subissent leur sadisme pour une poignée de pétrodollars, parcimonieusement distillées.
C’est navrant et pathétique, ce n’est pas avec une bonne campagne marketing que le cinéma marocain va prendre son envol. Seuls des films bien pensés, bien conçus, bien ficelés, réalisés par des cinéastes compétents, encadrés par un staff pluridisciplinaire peuvent mener le cinéma marocain vers la gloire. Chacun sait que depuis la fin du cinéma muet, le cinéma moderne recourt aux sons, aux lumières et aux effets spéciaux. D’où la nécessité d’un staff de techniciens, de paroliers, etc…
N’importe quel réalisateur ne peut prétendre concurrencer Robert Mulligan qui réalisa, en 1963, le film en noir et blanc : Une certaine rencontre, avec un petit budget évidemment compensé par un casting explosif : Steve McQueen et Natalie Wood, le résultat est grandiose, un chef d’œuvre qui fait partie des grands classiques du cinéma mondial.
Il faut du culot pour entreprendre la réalisation d’un film sans background, sans scénario, sans synopsis, avec un staff improvisé et rudimentaire de techniciens et un casting plus qu’hasardeux.
Le « film » de Ayouch, avant même qu’il ne sorte à l’écran, a provoqué l’ire nationale, fait couler beaucoup d’encre, valait-il toute cette peine que se sont donnée beaucoup d’intellectuels et de politiques ?
Comme dit le vieil adage populaire chez nous, les funérailles sont grandioses et le trépassé est une souris.
Tout ça pour ça !