La nouvelle diplomatie marocaine à l’épreuve du pragmatisme
Depuis maintenant quelques mois, le Royaume du Maroc semble vivre sous la pression d’une série d’événements qui, les uns extérieurs, les autres intérieurs l’inclinent à un repositionnement dont le moins que l’on puisse dire est qu’il s’adapte aux situations. Nous n’avions pas fini, en décembre dernier, de subir – et de gérer aussi – les conséquences de la décision du tribunal de l’Union européenne consistant à annuler l’accord agricole, que déjà se profilait une mini crise avec le, gouvernement de la Suède qui, pressé par une partie du parlement, caressait l’idée de reconnaître le polisario. Nous n’en avions pas fini avec ce dossier européen, que survenait encore l’innommable initiative du secrétaire général des Nations unies, prise en mars, de se rendre dans la région, notamment à Tindouf et à Alger pour apporter ouvertement son soutien au gouvernement algérien dans sa sempiternelle hostilité au Maroc. Non seulement il a modifié, à sa guise, l’agenda initial convenu avec le Roi Mohammed VI, qui devait le recevoir, mais il s’est prêté à un jeu suicidaire en prenant parti pour le polisario qui, que l’on sache et malgré le tambourinage propagandiste algérien, n’est un Etat, ni une organisation reconnue par la communauté mondiale et encore moins un « peuple » au sens ontologique du terme. Evidemment, ces événements avaient pour toile de fond l’affaire du Sahara. Aussi bien certains parmi les Européens que d’autres au sein de l’Administration américaine, voire du Conseil de sécurité, s’étaient-il découvert une vocation nouvelle de bouleverser les règles de droit, et de céder aux pressions des lobbies algériens pour imposer une résolution au Conseil de sécurité le 29 avril , avec l’idée que le polisario serait reconnu, et le Maroc intimidé et mis au ban des nations – ce qui eût été l’acte de grâce mille fois concocté par l’Algérie depuis des lustres…. Or, le Maroc n’est pas un Etat paria ! Il existe bel et bien sur la scène diplomatique depuis des décennies pour ne pas dire des siècles. Et avec les Etats-Unis en particulier, il existe une relation exceptionnelle qui remonte à la toute première jeune République américaine, comme en témoigne l’échange, déjà en 1789, entre le Sultan Mohammed III, dit Mohammed Ben Abdallah et George Washington, premier Président des Etats-Unis. Les tripatouillages d’une Samantha Power, représentante des Etats-Unis aux Nations unies, comme aussi ceux de Susan Rice n’avaient que fait raidir la position du Maroc contre un hold-up diplomatique. Visionnaire, le Roi Mohammed VI qui ne fait pas dans les finasseries, avait tiré la sonnette d’alarme dans son discours, du 20 avril à Ryad, devant les Rois et chefs de gouvernements des pays du Golfe. Le discours de Ryad, par sa teneur et sa pédagogie offensive, rejoint celui de Lâayoune prononcé cinq mois auparavant.
A l’aune des derniers développements de l’actualité où le Royaume du Maroc s’est trouvé directement ou indirectement impliqué, il en ressort un sentiment qui n’est pas seulement intuitif : notre pays entend tenir son rang, celui qu’il a assumé de tous temps. Et ce rang l’incline à une réadaptation continuelle en termes diplomatiques. Depuis toujours, il s’est inscrit dans l’esprit d’ouverture et les femmes et les hommes qui ont été ou sont désignés pour représenter et dé- fendre notre diplomatie, sont en principe imprégnés de telles valeurs. La nomination, en février, de nouveaux ambassadeurs par le Roi Mohammed VI était attendue et, pour certains esprits impatients, l’audience pour les accréditer du sceau chérifien serait imminente. Comme c’est de coutume, la rumeur sur les noms et les choix des hommes avait alimenté la chronique des salons et des couloirs. Cependant, importait-il à ce point de savoir qui serait nommé à Paris, à Abidjan ou à Tachkent dès lors que le nom, fût-il le plus familier, ne signifiait pas plus que la fonction et la responsabilité désormais nouvelle et recadrée ? Dès lors aussi que le Roi, et lui seul, reste souverain de la décision de celui qui sera digne de le représenter. Dès lors enfin que le Roi demeure l’initiateur de la nouvelle politique étrangère. Or, la nouvelle politique étrangère du Maroc – car il faut bien ainsi la nommer –, outre la charte des valeurs, puise entre autres ses justifications dans la finalité économique. Les tournées royales dans les pays du Golfe, comme aussi en Russie et en Chine , ont tracé les nouvelles lignes de force de la diplomatie marocaine, le Roi Mohammed VI inaugurant un style inédit et assumant le rôle du « meilleur RP » du Maroc. Mais, au-delà de ces tournées au cours desquelles le Maroc recueille un précieux soutien politique, il y a la signature d’une série de contrats significatifs. Les champs d’intervention de la politique étrangère sont nombreux et divers. Ils ne se ressemblent point, toutefois ils ont une finalité commune : la cohérence pour ce qui est des options du Maroc en matière de relations internationales, privilégiées organiquement, renforcées circonstanciellement au fur et à mesure, selon les périodes. Le Roi, dans son dernier discours prononcé le 6 novembre dernier à Lâayoune, à l’occasion du 40ème anniversaire de la Marche verte, outre le Sahara qui en a constitué le sujet principal, a souligné, de nouveau, sa volonté d’élargir et d’approfondir la coopération avec les pays africains. Cette volonté n’en démord pas , car l’Afrique n’a jamais cessé de constituer l’un des champs d’action privilégiés du Roi Mohammed VI. Depuis son accession au Trône en juillet 1999, il s’y est rendu plus de huit fois, renforçant ainsi les liens ancestraux avec les peuples du continent, innovant en matière de coopération et surtout en termes de relations à tous les niveaux. Le Maroc propose aux pays d’Afrique son savoir-faire et ses technologies dans des domaines où il possède à la fois l’expertise et la maîtrise. Il investit en Afrique au sens profond du terme, les opérateurs marocains, publics ou privés, s’y implantant avec succès. Mieux : si jusque là, l’Afrique de l’ouest – généralement francophone – était privilégiée, il y a lieu d’invoquer une réorientation majeure avec l’intérêt porté désormais sur l’Afrique de l’Est, et la récente visite que le président du Rwanda, Paul Kagamé, a effectuée au début du Ramadan au Maroc, ouvre de nouvelles perspectives de partenariat. L’Afrique est le prolongement naturel , géographique et historique du Maroc. Le Roi Mohammed VI est arrivé au pouvoir alors que le Maroc ne faisait plus partie de l’Organisation de l’unité africaine dont notre pays avait été le cofondateur en 1963, devenue l’UA (Union africaine). Il a su tisser des relations directes, en dehors de ce cadre, avec ses homologues du continent, il a donné à la relation Maroc-Afrique une nouvelle dimension, enracinée dans le respect mutuel et surtout solidaire. Dans la dimension africaine de la politique étrangère marocaine, le Sahara a constitué parfois une pomme de discorde, parce que l’aveuglement l’a emporté sur la raison. Aujourd’hui, la sagesse diplomatique et le discernement qui en est le ressort a produit ce qu’on appelle un « renversement d’alliances » ! La diplomatie directe, d’Etat à Etat à la mise en œuvre de laquelle s’est employé le Roi Mohammed VI, ne manque pas de porter ses fruits. Faite d’audace prospective et de pragmatisme – qui n’exclut jamais le cœur – , elle permet au Maroc d’affirmer son identité marocaine et, ce faisant, de réadapter sa diplomatie en s’inscrivant dans le renouvellement du partenariat stratégique mis en place par le Roi. En témoigne, dans ce sens, la présence de groupes marocains en Afrique comme Maroc Télécom, OCP group, les banques BMCE , Attijari Wafabank, la Banque populaire, les établissements d’assurance et d’autres groupes privés, de l’immobilier et de la construction, la Royal Air Maroc, etc… En dépit de quelques soubresauts, avec l’Union européenne, le Maroc développe des relations privilégiées, depuis notamment qu’un « Statut avancé » lui a été accordé en 2008, grâce au soutien de la France. Laquelle, d’ailleurs, ne ménage aucun effort au Conseil de sécurité pour soutenir l’initiative d’autonomie au Sahara que notre pays a soumise à ce dernier, en avril 2007. La France est le premier partenaire économique du Maroc et celui-ci en est le premier partenaire au Maghreb et dans le monde arabe. Cette coopération constitue, en quelque sorte, la plateforme pour les exportations marocaines envers l’Europe. Il convient de rappeler, dans ces conditions, qu’en dehors d’une amitié traditionnelle, il existe aussi des intérêts stratégiques qu’incarnent la coopération maroco-française ou maroco-européenne. Le projet d’accord de Libre échange que le Maroc et la France sont appelés à mettre en oeuvre, renforce, en principe, cette vocation. Comment ne pas évoquer, dans le même esprit, le renforcement de la coopération que le Maroc et les Etats-Unis d’Amérique ont mis en place, malgré les péripéties de crises ? On évoque de part et d’autre de l’Atlantique un « partenariat stratégique », et de fait, le modèle de relation entre les deux pays relève de l’originalité. Le Maroc n’a jamais cessé d’incarner l’allié stratégique pour les Etats-Unis, d’autant plus qu’il reste l’ami historique, traditionnel et le point d’appui du libéralisme et des valeurs qui fondent la politique étrangère des Etats Unis. Le Maroc demeure, en tout état de cause, le pilier de la lutte antiterroriste dans la région et, ce faisant, le plus exposé aussi. Le Maghreb, l’Afrique, le monde arabe, , notamment le Golfe, la Russie et l’Asie ! Ces sphères constituent à vrai dire le nouveau champ privilégié de la diplomatie marocaine. Ils sont à la diplomatie marocaine ce que la profondeur stratégique est à un pays, comme le nôtre, soucieux d’efficacité et de succès. La diplomatie marocaine se réoriente dans ses priorités stratégiques, mais ne se départit pas de ses principes que sont la solidarité, le co-développement, le partenariat Sud-Sud, le partage et le progrès. Ce ne sont pas de vains mots….