Omar El Mourabet : « Le discours du Président Macron reste, malgré tout, équilibré »
La lutte contre les « séparatismes » est devenue désormais le cheval de bataille du Président français Emmanuel Macron, tel qu’il a bien précisé dans son discours du 2 octobre. « Ce à quoi nous devons nous attaquer, c’est le séparatisme islamiste », « un projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société », a déclaré Emmanuel Macron. Parmi les annonces notamment évoquées, on retrouve la fin du système de formation à l’étranger des imams de France qui devront être certifiés par le CFCM, le renforcement du contrôle du financement des mosquées, des associations qui devront signer une charte de la laïcité, mais aussi des écoles hors contrat. Dans ce contexte, nous avons fait réagir Omar El Mourabet, ex-adjoint du maire de la ville Athis-Mons et membre du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), qui est revenu sur le discours d’Emmanuel Macron sur projet de loi lié aux séparatismes en France.
MAROC DIPLOMATIQUE : Que pensez-vous du discours du Président sur le séparatisme islamiste ?
Omar El Mourabet : Ce discours fait suite à une pression médiatique, surtout dans les chaînes d’information privées, notamment, CNews, BFM TV et LCI, où on constate que le sujet principal est devenu les musulmans et l’islam. On n’est pas sans savoir que ce débat n’est pas nouveau. Depuis quelques années, je constate qu’il y a une « droitisation » de la vie publique en France, on l’a vécu d’ailleurs avec les socialistes, notamment avec l’ancien premier ministre Manuel Valls, qui tenait un discours islamophobe pour ne pas dire antimusulman. Maintenant, si on veut analyser les propos du Président Macron, il faudrait les comparer avec ceux de ses prédécesseurs, notamment Sarkozy et Hollande et surtout par rapport aux autres politiques notamment ceux de droite où il cherche des voix, et même au sein de sa majorité parlementaire.
Dans ce sens, je dirai qu’il est assez équilibré. Par ailleurs, j’espère que la loi gardera l’ensemble des mesures annoncées de telle façon à garder cet équilibre.
MD : Ce même discours divise la classe politique française, certains évoquent une stigmatisation des musulmans, alors que d’autres prônent cette lutte contre ceux qui déraillent au nom de la religion. Croyez-vous qu’une loi sur les séparatismes puisse être un rempart face à la menace extrémiste ?
O.M :En fait, je trouve qu’il y a une approche sécuritaire globale dans le traitement de cette problématique, dans la mesure où les renseignements français s’emploient à traquer les extrémistes, mais en même temps, l’État n’essaie pas de faciliter une éducation et un enseignement, en bonne et due forme de l’islam d’une manière sereine et correcte. Ce qui fait qu’aujourd’hui les jeunes, qui veulent découvrir leur religion, n’ont de pas de solutions et recourent à internet ou à certaines associations pour apprendre leur religion, sans encadrement et loin de toute pédagogie. Et c’est ainsi qu’on se retrouve face à des profils de jeunes fondamentalistes qui ne comprennent pas leur religion.
MD : Les musulmans de France dénoncent le terme vague de « séparatisme », est-ce que cela risque d’accroître les abus à leur encontre ?
O.M :Le Président a cessé de parler de “communautarisme” depuis février et s’emploie désormais à utiliser “séparatisme” (inspiré par un certain Gilles Kepel connu pour ses positions voulant « islamiser » à outrance les problèmes des banlieues) pour dénoncer les groupes agissant afin de “se séparer de la République”. Les analystes s’accordent à dire que ce choix de mot vise particulièrement les musulmans, et épargne les autres communautés, alors que la loi du 15 mars 2004 parlait de signes religieux en général, pas de signes musulmans bien que l’objectif de la loi était très claire.
Le problème est que cela ne s’arrête pas au niveau des mots choisis, le Président a élargi cette fois-ci certaines restrictions, notamment, en rapport avec le port du voile, qui serait dorénavant interdit pour les agents des services publics et aux salariés des entreprises privées délégataires de services publics. Cela concerne particulièrement les entreprises de transports publics. Mais, on va attendre cette loi pour voir ce qu’il en est, quoique la connotation stigmatisante pour la communauté musulmane est bel et bien présente, même si le Président essaie de nous convaincre que son but est de « construire un islam des Lumières » qui « libérera l’islam en France des influences étrangères ».
Toutefois, son discours reste malgré tout équilibré par rapport à certains médias français et à ce que pensent une majorité des Français non-musulmans. Par ailleurs, il y a également des points positifs dans les propos du Président, notamment, l’annonce faite concernant l’apprentissage de la langue arabe au sein de l’école publique et qui a suscité beaucoup de réactions notamment celle de l’ancien ministre de l’éducation Luc Ferry qui a considéré que c’est le bon moyen de booster l’islamisation de la France. Il en est de même pour la mise en place d’un institut d’islamologie, sauf qu’il a besoin de moyens financiers et humains que les musulmans de France n’en disposent pas.
MD : Qu’attendent les Français de leurs concitoyens musulmans pour qu’ils soient intégrés dans la société française ?
O.M : Ils s’attendent à ce qu’ils ne soient plus des musulmans pratiquants. Or, l’islam impose des règles de conduite à ses croyants. Le problème se pose aussi au niveau de l’image que véhiculent les médias sur l’islam, en invitant les mauvaises personnes au débat pour s’exprimer au nom des musulmans. On a l’impression qu’on invite que ceux qui disent ce que les médias français veulent entendre. Et puis, malheureusement, certains croient qu’être Français à part entière veut dire boire de l’alcool et porter un verre de champagne, d’ailleurs, j’ai vécu moi-même plusieurs situations où je me suis retrouvé dénigré juste parce que je ne buvais pas d’alcool.
MD : La France va ainsi mettre fin d’ici quatre ans au système d’imams détachés, ces quelque 300 imams envoyés par la Turquie, le Maroc et l’Algérie dans les mosquées françaises, ainsi que les psalmodieurs envoyés pendant la période du ramadan. Que pensez-vous de cette décision ?
O.M : Je crois que cette décision est à forte dimension politique, parce que le président français voulait surtout éliminer la Turquie de cette configuration. Mais, de façon générale, il va falloir importer des expertises de l’étranger pour pouvoir former des imams, à l’instar des autres religions. Pour moi, la bonne solution est de recourir à des pays comme le Maroc, qui est connu pour sa pratique religieuse modérée. Maintenant, concrètement, la France compte environ 3.000 mosquées, donc, il nous faudra 3.000 Imams. Combien de temps cela va prendre de former autant d’Imams d’un haut niveau?
MD : Al-Azhar a qualifié de « raciste » le discours du président français Emmanuel Macron contre le « séparatisme islamiste », dénonçant des « accusations » visant l’islam. Qu’en pensez-vous ?
O.M : c’est une bonne chose que ce genre d’instance reconnue et qui ont un symbolique et considérée comme une grande autorité de l’islam sunnite prenne position, parce qu’il y a un rapport de force ( et je me rappelle comment Sarkozy en 2003 a été prendre une fatwa justement à à l’Imam d’Al-Azhar de l’époque) , donc, il faut créer un équilibre. De toute façon, si Al-Azhar se dit d’accord avec ce qu’a dit Macron, il faudra qu’il sorte une Fatwa pour permettre aux musulmanes d’aller à la piscine et de porter donc le Bikini à titre d’exemple.
MD : Vous avez dit, dans une publication sur les réseaux sociaux, que vous-même avez été victime de discrimination et d’islamophobie lorsque vous étiez adjoint au maire. Pourriez-vous nous en parler ?
O.M : Des fois, je me suis retrouvé face à certaines personnes qui pensaient qu’un musulman pratiquant est un islamiste. Il y avait même des tracts contre moi, parce que je faisais la prière dans la mosquée. Pour certains, fréquenter la mosquée est un acte d’« islamisme ». En revanche, quand la personne fait preuve de discrimination à mon égard, soit j’essaie de la recadrer et lui faire comprendre que c’est déplacé, soit je me tais pour éviter la zizanie mais surtout ça me motive davantage pour continuer dans ma voie en tant que militant et en tant que politique.