Osons le féminisme politique !
Etat de droits et d’égalité démocratique ? Tant s’en faut !
Une vraie démocratie ne repose-t-elle pas initialement sur l’égalité des sexes dans la vie économique, politique, sociale et culturelle afin d’assurer l’équilibre de la société ? N’est-ce pas là un droit humain et surtout un enjeu d’évolution ?
Les textes et les réformes constitutionnelles ne cessent de brandir et de souligner des avancées quant à la participation des femmes dans l’évolution du pays. Pourtant, l’effectivité est loin d’être satisfaisante et laisse à désirer au simple constat de la place accordée au sexe féminin dans le fonctionnement des institutions et sur le plan économique. Par conséquent, les discriminations à l’égard des femmes font que le Maroc est toujours à la traîne dans les classements internationaux à cause des chiffres qui le catégorisent au cœur des pays de culture traditionaliste par rapport à l’acceptabilité du rôle socio-économique de la communauté féminine au sein de la société. En effet, pour ce qui est de la question d’écart de genre, en 2014, et sur 142 pays, le Maroc est au 133ème rang alors qu’il occupait la 129è place en 2013 et la 127è en 2010 ! Pour la participation économique de la femme, il est classé 128è sur 135 pays et se situe au 116è rang sur 128 pays pour l’efficacité des politiques et mesures d’autonomisation économique des femmes. Sur 30 pays, il est 24è quant aux politiques et mécanismes d’appui et d’accompagnement des entreprises féminines. Ces mêmes estimations internationales de l’écart salarial entre les femmes et les hommes placent le Maroc au 130è rang bien loin de certains pays arabes, tels que le Qatar, le Koweït, le Bahreïn et la Tunisie, et africains, tel que le Sénégal. Pourtant, la présence de la femme dans le domaine politique est un indicateur de taille de bonne santé et de maturité d’un pays qui se veut démocrate, moderne et développé.
Entre réalité et discours, le statut de la femme vacille
Il est évident que la Constitution marocaine de 2011 stipule l’égalité entre femmes et hommes et énonce que «le Royaume du Maroc s’engage à combattre et bannir toute discrimination à l’égard de quiconque en raison du sexe». L’article 19 souligne une égalité totale entre les hommes et les femmes sauf que la réalité est plutôt désolante et décevante. La femme reste écartée du champ politique comme si celui-ci est lié au genre.
Il est évident que plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis que le Maroc a eu son indépendance. Il est bien évident aussi que depuis, le Royaume a connu plusieurs mutations sur tous les plans, surtout sociologique, qui ont fait que la femme a fait une entrée massive sur le marché du travail et a investi toutes les sphères. Toutefois, les institutions politiques représentatives se sont montrées résistantes par rapport à l’intégration des femmes, ce qui n’arrange pas le développement politique, économique et social du pays.
Parité dites-vous ?
Dans un pays où l’égalité démocratique peine à s’affirmer et où la femme est quasiment absente au sein d’un gouvernement qui ne lui accorde qu’un second rôle et où les propos du chef de gouvernement rappellent avec insistance, voire obsession, le rôle rabaissant de «la femme lustre», il serait prétentieux d’aspirer à une vraie démocratie alors que le principal corollaire de celle-ci, à savoir l’égalité entre femmes et hommes, n’est qu’un slogan qu’on arbore et qu’on répète en chœur lors de campagnes électorales. Si la femme est quasiment absente au sein du gouvernement en cours, cela dénote malheureusement un énorme décalage entre les discours théoriques et la réalité sociale, économique, politique et culturelle d’un pays qui a du mal à cacher la bipolarité de ses décideurs politiques. Ceux-ci, conscients du potentiel féminin efficient, ne ménagent pas leur «complotisme» orchestré par un machiavélisme volontaire et nourri pour garder la mainmise sur les femmes. Et cela ne date pas d’aujourd’hui bien évidemment puisque toutes les discriminations à l’égard de la femme trouvent leurs racines dans l’accès inégal à l’éducation régi par une culture patriarcale nourrie de clichés qui font écho à une lecture machiste et restrictive du texte religieux. La discrimination quant à son droit en matière notamment de l’accès à la propriété foncière des terres collectives en est le meilleur exemple. C’est dire que tout ce qui concerne la femme constitue encore un tabou pour une société patriarcale traditionaliste tiraillée entre modernisme et conservatisme.
État des lieux et désenchantement
Tout tend à croire que loin de toute parité, la «concoction» et la «conspiration» politique sont régies surtout par la force des muscles et que tout se négocie selon un caractère discriminatoire de lois abusives en fonction de sexe. En effet, les dernières élections communales et surtout régionales ont été une preuve de plus de non-démocratie et de dénigrement à l’égard de la femme. Et dire que cette dernière n’a pas eu de cesse de faire montre de compétence et de potentiel politique, économique et social !D’ailleurs, l’histoire est là pour nous rappeler qu’au Maroc, les femmes ont été aussi présentes que les hommes et ont participé massivement dans toutes les étapes de l’évolution du pays et dans différentes luttes politiques et sociales qui remontent à l’époque coloniale. Ensuite, elles se sont engagées tout comme les hommes dans le grand projet d’émancipation du Maroc. Récemment, les voix féminines se sont élevées dans les révolutions arabes en passant par les revendications des droits de l’homme, le combat des libertés et de la démocratie.
La femme marocaine : Histoire d’un combat perpétuel
Les années quarante ont connu l’apparition du mouvement féministe avec la première association féminine l’Union des femmes du Maroc qui a vu le jour en 1944. Deux années plus tard, le Parti de l’Istiqlal s’est doté de la Commission des femmes istiqlaliennes dans le but d’une mobilisation plus importante. En 1946 toujours, le Parti démocratique et de l’Indépendance crée Akhawat al-Safaa. Et c’est cette dernière association qui entame un long chantier associé aux luttes politiques qui se présentent sous forme de revendications de droit à la scolarisation, de soutien légal au sein de la famille et de droit à la visibilité politique. Puis, l’indépendance apporte un nouveau souffle mais qui n’était pas innocent : craignant que l’opposition ne fédère et n’envahisse le champ social féminin, grand nombre de partis politiques ont créé des sections féminines. En 1971, l’État se dotera de l’Association marocaine de planification familiale. Pour couronner toutes ces avancées, le Roi Mohammed V nommera Son Altesse Royale Lalla Aïcha ambassadrice en Italie puis au Royaume-Uni.
Pendant les années 1980, la première association féministe l’UAF (Union de l’action féminine) est créée. C’est alors que le premier journal féministe marocain voit le jour. Le «8 Mars» dont le premier numéro paraît en 1983 était dirigé par l’avocate Aïcha Loukhmass. Par ailleurs, et chemin faisant, l’UAF qui n’a pas ménagé ses efforts durant de longues années de combat a fini par collecter plus d’un million de signatures en moins de trois mois en faveur de la réforme de la Moudawana qui revendiquait l’égalité des droits et des obligations pour les deux époux, l’interdiction de la polygamie, la suppression du tutorat, l’instauration du divorce judiciaire et la tutelle de la femme sur les enfants au même titre que l’homme. Ce qui a valu la colère des milieux conservateurs islamistes hostiles aux revendications féministes qui y voyaient une menace à la continuité religieuse musulmane du Royaume sachant que la mobilisation féministe a connu un énorme succès, voire un exploit.
Et c’est ainsi que l’année 1993 sera une nouvelle ère pour les féministes marocains puisque et pour la première fois la femme marocaine accèdera au Parlement. Badia Skalli de l’USFP est élue présidente d’une commission parlementaire et Latifa Bennani-Smirès du PI membre du bureau du Parlement.
Avant 1995, la fonction de secrétaire général de ministère était une exclusivité masculine. Et seul le Haut-Commissariat aux handicapés était dirigé par une femme sinon aucune autre femme ne faisait partie du gouvernement ni n’occupait un poste dans les hautes instances politiques officielles ou administratives. Et c’est d’ailleurs le 14 août de la même année que feu le Roi Hassan II a créé un événement historique en désignant au poste de secrétaire d’État du gouvernement Zoulikha Nasri à l’Entraide nationale, Aziza Bennani à la Culture, Nawal El Moutawakkil au Sport et Amina Benkhadra au Développement du secteur minier.
En 1998, Fatima Bennis est nommée directeur général de la Bourse des valeurs à Casablanca puis directeur général de l’Office national du Tourisme. La même année, Rahma Bourqia est désignée par dahir doyenne de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université de Mohammedia. Plusieurs institutions ont été réservées à l’homme, notamment l’officiel Conseil consultatif des droits de l’Homme et le Conseil du suivi du dialogue social en plus des syndicats, des Chambres et organisations professionnelles. Et c’est le syndicat de gauche la CDT (Confédération démocratique du travail) qui créera le changement en élisant une femme dans ses instances dirigeantes. La formation du gouvernement de transition a redonné espoir aux féministes dont l’enthousiasme n’a malheureusement pas duré vu que parmi 41 portefeuilles, seuls deux sont accordés à Aïcha Belarbi en tant que secrétaire d’État à la coopération et Nezha Chekrouni, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Emploi, chargée des handicapés. Cette dernière deviendra ministre déléguée auprès du ministre de l’Emploi, chargée de la femme et de la protection de la famille lors du remaniement ministériel de 2001. Depuis 1999, et avec l’avènement du règne du Roi Mohammed VI, le projet d’intégration de la femme au développement économique et social a de nouveau fait revivre une lueur d’espoir. Mais les milieux conservateurs ne tardent pas à s’y opposer et œuvrer pour le faire échouer. Force est de rappeler que le 8 mars 2000 a connu deux grandes marches dont la symbolique n’est pas des moindres puisque la division de la société marocaine était flagrante. Au moment où les modernistes manifestaient à Rabat en faveur du «Plan Saâdi» (projet du plan d’intégration), les traditionalistes suivaient la voix des islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement) appuyés dans leur action par le mouvement Justice et bienfaisance à Casablanca. Et criaient leur opposition à ce plan d’intégration de la femme au développement. Au grand malheur des féministes, les conservateurs ont marqué le point par une mobilisation plus importante.
Le 27 avril 2001, le Roi ne ratant aucune occasion pour montrer sa position en faveur de l’implication de la femme dans le développement du pays annonce la formation de la Commission royale consultative chargée de la révision de la Moudawana. Ce qui a abouti à l’élaboration d’un code de la famille assez progressiste en matière des droits de la femme malgré les voix séparatistes qui s’élevaient au sein même de la Commission présidéee par M’hamed Boucetta.
Et c’est toujours dans le même esprit que le gouvernement adopte en 2002 le quota de 10% de sièges féminins, et ce, par le biais d’une liste nationale réservée théoriquement aux femmes. Cette même année, les élections législatives marqueront une première quant à la représentation de la femme au sein de la Chambre basse du Parlement avec 10,8% contre 0,61% lors des élections précédentes. N’est-ce pas là une régression criante à dénoncer ?
Toujours dans le but de mettre de l’avant la représentativité de la femme, la monarchie nomme en 2003 des femmes au Conseil consultatif des droits de l’Homme, aux Conseils de l’audiovisuel et de la magistrature, et à la Commission Justice et vérité.
Dernièrement, pour améliorer la représentativité féminine en politique, le Conseil de gouvernement a adopté un amendement à la loi électorale incluant une disposition qui permet désormais, dans la plupart des circonscriptions, l’élection de deux élus municipaux dont obligatoirement une femme conseillère. Pour la première fois donc, la loi électorale accorde dans chaque circonscription électorale un siège réservé à une femme. Il s’agit là, bien entendu, d’une nouveauté qui permettrait au Maroc de consolider son processus démocratique et de se hisser en tête des pays arabes où la femme jouit pleinement de ses droits.
Le naturel rebondit au quart de tour
Mais aujourd’hui, le gouvernement, loin d’apporter des changements conjoncturels salutaires, creuse encore plus le cratère entre les hommes et les femmes en marginalisant cruellement celles-ci et en se dressant avec résistance à la consolidation de la parité homme/femme.
La femme quoique présente sur tous les fronts, sa participation aux élites politiques et au processus de prise de décision est trop faible pour un pays tel que le Maroc. Pourtant, un Maroc qui porte en lui des femmes de la trempe de la présidente de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) la patronne des patrons marocains, Miriem Bensalah Chaqroun, de la directrice générale du Centre international d’agriculture biosaline (CIAB) à Dubaï Ismahane Elouafi, ou de la ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères et de la coopération, Mbarka Bouaida, ou Neila Tazi, élue Vice-Présidente de la Chambre des conseillers, ou encore Nabila Mounib, la secrétaire générale du Parti socialiste unifié qui a présidé la délégation politique marocaine envoyée à Stockholm, se doit de ne plus écarter la femme porteuse d’espoir et de projets, de lui aménager plus d’espace et de renforcer sa politique «féministe». Malheureusement, et alors qu’on s’attendait à une avancée significative quant à la représentativité de la femme lors des élections communales et régionales du 4 septembre 2015, on a eu droit à une déception de plus dans la série des désillusions, dans la mesure où elle essuie d’un revers de main tous les efforts et recommandations du Roi Mohammed VI dans ce sens.