Oxfam/Maroc : Au grand risque de revenir à l’austérité
« FAIR TAX MONITOR : Analyse du système fiscal marocain » est l’intitulé du nouveau rapport d’Oxfam au Maroc. Ce document décrypte en profondeur la fiscalité marocaine et formule des propositions clés dans le contexte de la crise sanitaire, qui a fait plonger les recettes fiscales et augmenter les dépenses sociales.
Assurer une relance économique dans l’après-covid au Maroc, doit passer par un système fiscal au service de la réduction des inégalités et le déploiement des moyens nécessaires pour financer des politiques publiques « plus justes, ambitieuses et redistributives », selon le dernier rapport d’Oxfam.
La lutte efficace contre les inégalités au Maroc nécessitera, donc, d’après l’ONG britannique, un système fiscal « efficace, équitable et performant », sachant que les recettes fiscales représentent près de 85% des recettes du budget de l’Etat en moyenne entre 2000 et 2018. Le document met en exergue le fait que les impôts pèsent « lourdement » et de manière » inéquitable » sur une catégorie infime de la société. C’est le cas de l’impôt sur le revenu (IR) qui fait une pression fiscale « plus forte » et « injustement » exercée sur les salariés.
Inégalités fiscales en chiffres
Chiffres à l’appui. Les statistiques officielles font état d’une contribution de l’ordre de 75% des salariés au total de l’IR au Maroc, soit seulement 25% de contribution à la fois pour les revenus professionnels, fonciers, agricoles et des capitaux. Cela dit, la pression de l’IR est supportée essentiellement par les revenus moyens. Près de 3 quarts de l’IR au Maroc sont payés en effet par 47% des salariés.
S’ajoute à cela, 56% de la richesse créée par l’économie est attribuée à la rémunération du capital contre 30% pour la rémunération du travail et ce pour l’année 2018.
Alors que le Maroc a connu une croissance soutenue de ses recettes fiscales au cours des 2 dernières décennies. Pourtant, l’analyse de l’élasticité du système fiscal marocain pendant la même période montre que ce dernier est incapable de suivre sur le même rythme l’évolution de la richesse créée. La relance économique doit s’installer sur la base d’une assiette plus large et d’une fiscalité progressive.
La responsable de programme Gouvernance à Oxfam au Maroc, Asmae Bouslamti affirme que « Nous plaidons depuis plusieurs années pour une réforme de la politique fiscale plus profonde qui apportera plus de justice sociale et des corrections aux inégalités. La relance économique et sociale du Royaume ne doit pas être au prix de la réduction des recettes publiques car cela impacte l’ensemble du pays. Il y a des choix politiques à faire, notamment dans ce contexte de crise COVID-19, c’est le moment de prioriser la génération de valeur réelle, la coopération et l’avenir de l’ensemble de la population ».
D’autant plus que la restructuration globale et en profondeur de la politique budgétaire tant attendue dans la loi de finance 2021 est une fois de plus reportée. Alors que d’autres pays ont fait des choix radicaux pour faire face aux conséquences de cette pandémie, le gouvernement reste hésitant dans les réponses qu’il apporte pour faire face aux priorités économiques et sociales du pays dans cette période de crise : préserver le tissu économique, protéger les emplois, financer les services publics essentiels et s’attaquer au secteur informel qui fait vivre les 2/3 des ménages et qui a été gravement touché.
Pour Asmae Bouslamti : « Elargir l’assiette fiscale pour rendre plus juste la contribution de l’ensemble des acteurs économiques est un des grands défis pour le Maroc, dans le contexte actuel. La taxation sur la richesse est l’un de ces moyens qui a été recommandé depuis les Assises de la Fiscalité 2013 et confirmé en 2019. Il n’est plus question de repousser à nouveau une mesure qui donnerait de l’espoir aux populations démunies et un tournant qui permettrait au système fiscal marocain de mobiliser des recettes et d’être plus juste et progressif ».
D’après les estimations d’Oxfam, si un impôt de solidarité sur la fortune avait été adopté à 5%, les revenus générés (sur les données de 2019) auraient pu être suffisants pour presque doubler les dépenses du Maroc pour sa riposte au coronavirus.
Les défis budgétaires actuels et la crise sanitaire de 2020 montrent à quel point il est nécessaire d’adopter de nouvelles mesures fiscales à même de renflouer les caisses de l’Etat. De même, la taxation des hauts revenus et des grosses fortunes figure parmi les actions nécessaires pour limiter le creusement des inégalités et alléger la pression exercée sur les faibles et moyens revenus. Par ailleurs, la taxation environnementale est une piste qui mérite d’être exploitée.
Alors que le Maroc affiche un des plus faibles taux d’efficacité de l’investissement public au monde et qu’il ne compte que sur les ressources fiscales pour alimenter son budget, le rôle de la fiscalité est absolument décisif. Sans décision forte de la part du gouvernement, le risque est grand que le pays se retourne vers l’austérité, et donc une montée de la tension sociale et des inégalités.
Les recommandations d’Oxfam
Oxfam au Maroc souhaite à travers ce nouveau rapport sur la politique fiscale relancer le débat entre les acteurs politiques, économiques et sociaux pour entamer les vrais chantiers de changement qui doivent être au cœur de la réforme du modèle de développement et les programmes politiques des prochaines élections.
Il s’agit en l’occurrence d’agir activement pour améliorer la progressivité des impôts ; établir d’urgence un impôt, exceptionnel ou permanent, sur les grandes fortunes et les taxes environnementales ; faire du système fiscal le levier d’une dépense publique efficace et orientée vers les secteurs sociaux ; faire de la TVA un outil de lutte contre les inégalités de classe et de genre ; étudier la pertinence des dépenses fiscales en réduisant les incitations fiscales n’ayant pas donné les effets économiques escomptés ou celles contribuant au creusement des inégalités sociales, améliorer la gouvernance du système fiscal marocain et la lutte contre la corruption et améliorer la participation des citoyens et de la société civile dans l’élaboration des budgets.