Pêches maritimes : Pour un nouveau modèle de gestion
Par RACHID EL GHARBI : Consultant, Economiste des Pêches
L’activité de la pêche dans les océans et les mers du monde entier a enregistré une croissance remarquable aussi bien
en efficience, grâce à l’amélioration de la technologie, qu’en capacité de capture en raison d’une augmentation quantitative, au plus haut degré de l’effort de pêche. De nos jours, la constatation pratique de la croissance de l’impact de l’activité de pêche sur le rythme de reproduction de la ressource et l’étude des modèles bio-économiques ont conduit à l’acceptation universelle de la nécessité de réglementation aux fins de l’optimisation de la production et du rendement économique des pêcheries.
Modèle de pêche
Toute pêcherie est une exploitation économique qui présente un ensemble de caractéristiques particulières et spécifiques qui ont trait à tout un ensemble de phénomènes qui expliquent les mécanismes de fonctionnement. Pour définir une pêcherie, il faut considérer toutes les données permettant d’expliquer comment et pourquoi une structure socio-économique stable se constitue.
Sans prétendre être très exhaustif, considérons les caractéristiques les plus importantes pour la définition d’un modèle de pêche :
(1) type de la ressource (degré de concentration, mobilité, taux de reproduction, etc.),
(2) milieu géographique (zone et type de pêche, distance aux zones de débarquement, concentration des zones de pêche, facilités aux activités de contrôle, etc.),
(3) moyens de production et technologie de la pêche (effectivité, sélectivité, régularité, structure des coûts, etc.),
(4) structure économique des pêcheurs, commercialisation et marché, etc.
Un modèle de pêche peut être défini comme l’abstraction d’un ensemble stable déterminé de caractéristiques présentes dans une structure de pêche ayant un certain degré d’association, liées entre elles et se conditionnant réciproquement. Un modèle est précisément une simplification de la réalité. Ainsi définis, les modèles de pêche sont des généralisations abstraites permettant d’établir des classifications typologiques des pêcheries. Évidemment, la réalité n’est pas
complètement conforme aux schémas des modèles. Néanmoins, nous considérons intéressant de définir deux modèles de pêche (mono-spécifique et multi-spécifique), aux-quels nous pourrions associer une bonne partie des structures de la pêche au Maroc.
- Le modèle de pêche mono-spécifique: En général, il vise une seule espèce avec une grande capacité de sélection. Les engins de pêche sont très sélectifs, …
- Le modèle de pêche multi-spécifique: Dans l’ensemble, la technologie de pêche est multi-spécifique. L’espèce cible est capturée avec d’autres espèces/prises accessoires, ayant également un intérêt économique.
Les pêcheries marocaines répondent plus ou moins à l’un de ces deux modèles. La pêche aux mollusques, aux crevettes, aux thonidés et aux petits pélagiques peuvent être assimilées au modèle de pêche mono-spécifique. Les pêcheries côtières répondent au contraire au modèle de pêche multi-spécifique.
Système de gestion de l’activité de pêche
La réglementation de la pêche est compliquée, très détaillée et difficile à respecter pour les pêcheurs. La surcapacité de la flotte de pêche et la faible rentabilité sont également préoccupantes. Selon la théorie économique, l’assignation de propriété des ressources naturelles renouvelables est le moyen permettant leur exploitation selon le rendement économique maximum (REM). Il est également indiqué que la difficulté d’octroyer cette propriété oblige à établir des solutions plus complexes, à savoir l’adoption de systèmes de gestion. Par système de gestion on entend un ensemble articulé d’instruments de contrôle (contrôle des captures et contrôle de l’effort de pêche) et d’institutions de contrôle (le marché, l’administration et les systèmes d’auto-réglementation territoriale), dont la fonction est la régulation de l’activité de pêche.
Instruments de contrôle
- Contrôle des captures : Dans ce type d’instruments se trouve les Taux de captures autorisées (TAC) et les Quotas de captures transférables (ITQ). Les deux systèmes posent le problème de la détermination précise du total maximum de captures à distribuer et leur contrôle. Le passage des TAC aux ITQ signifie la simplification du problème de la distribution des quotas et évite la consolidation des structures grandes mais il engendre par contre des problèmes de concentration d’entreprises et de réduction d’emplois.
Il existe de grandes difficultés pour ce qui est de l’application de ces systèmes aux pêcheries multi-espèces car l’activité de capture emploie une technologie ne permettant pas une différenciation des espèces ou bien parce que la ressource présente un taux élevé d’association avec d’autres espèces. Concernant le contrôle, il y a un grand nombre d’unités de pêche et de points de débarquement situés à proximité des marchés. Dans ce cas de figure, il est possible que le coût d’un contrôle efficient soit très supérieur aux bénéfices potentiels de la gestion.
- Contrôle de l’effort de pêche : Ce contrôle s’exerce à travers un grand nombre de mécanismes : Établissement de permis de pêche et de licences, réglementation des campagnes de pêche, maillages minimums des filets, limitation de la puissance des moteurs et de la taille des unités de pêche, etc.
Dans le cas des TAC (Taux de captures autorisées) et ITQ (Quotas de captures transférables), il sera difficile d’établir les bases pour les niveaux de l’effort de pêche tolérables. En outre, il sera également difficile pour ces bases de justifier scientifiquement la précision que requiert la rédaction d’une réglementation légale qui aura une large application territoriale.
Institutions de contrôle
- Le marché : Le marché est une institution permettant une réglementation automatique, ce qui réduit la marge de l’arbitraire. Cependant, il convient d’être conscient des limitations du marché car il peut favoriser des situations non optimum d’un point de vue social (concentration des exploitations, réduction de l’occupation, etc.) et dans certaines périodes non assimilables socialement. Le marché peut avoir également un fonctionnement arbitraire non neutre car il est également réglementé par d’autres institutions. Finalement, le marché est une institution qui n’a presque pas de coûts de fonctionnement mais les solutions qu’il apporte peuvent produire des coûts économiques et sociaux.
- L’administration : C’est l’institution de réglementation ayant la responsabilité politique finale car ses décisions affectent l’efficience et les résultats des systèmes de gestion appliqués. L’usage exclusif des mécanismes administratifs peut impliquer de sérieux obstacles au fonctionnement des mécanismes de la croissance. Un effet non désirable des réglementations administratives est la possibilité de produire ou de maintenir des situations de surinvestissement ou de non efficience.
En l’absence de mécanismes plus automatiques, l’administration doit exercer une action de réglementation pour éviter des distorsions biologiques et socio-économiques graves. Le recours à l’administration est basé sur le fait que c’est à elle qu’appartient la responsabilité politique en dernier ressort pour décider d’une réglementation. Mais en général, une décision administrative signifie que l’administration va être soumise à tout genre de pression de la part de groupe d’intérêts.
- Les institutions d’auto-réglementation territoriale : Elles sont celles qui regroupent les associations de pêcheurs et industrie de la pêche et qui réduisent leur marge de liberté dans le but de maximiser les revenus collectifs. Ces institutions automatisent certaines décisions et exercent un contrôle plus direct et à un coût très bas. Ce type de gestion repose sur la restriction à l’accès et sur la préservation d’un certain monopole. Il y a donc des obstacles pour établir des mécanismes d’entrée et d’admission de nouvelles structures. Son succès est basé sur le contrôle des zones de pêche et des premiers marchés/ débouchés.
Le problème de cette institution c’est la tendance à cacher qu’elle gère un patrimoine public. Les ressources marines renouvelables sont un patrimoine public et par conséquent c’est la société qui doit être le bénéficiaire en dernier ressort de leur exploitation. Bien que, l’État délègue la gestion aux pêcheurs, l’objectif est toujours l’obtention d’un maximum de bénéfices pour toute la société et non seulement pour le collectif qui exploite ces ressources.
Critères relatifs à l’adoption d’un système de gestion
Devant la surexploitation de nombreux stocks de poissons et la faiblesse des revenus des pêcheurs, les recherches d’autres systèmes de gestion des pêches se font de plus en plus intenses. Un premier élément permettant d’évaluer l’excellence d’un système consiste à considérer dans quelle mesure celui-ci contribue à ce que la pêcherie atteigne un niveau d’effort permettant à l’exploitation de s’approcher du rendement économique maximum – REM. Un deuxième élément est le coût de contrôle. Ce coût n’est pas seulement d’ordre budgétaire. Il comprend entre autres le coût social des conflits qui peuvent se produire lors de la mise en œuvre d’un système. D’un point de vue formel, le système de gestion optimum serait celui qui, dans chaque situation, obtiendrait le maximum de revenus produit par la pêcherie après déduction des coûts directs (coût totaux d’exploitation) et indirects du système (coûts de contrôle pour la société).
Système de contingentement individuel
Face à la difficulté objective d’établir des systèmes de gestion et la nécessité de contrôler l’accès aux pêcheries, il y a lieu de ne pas répondre à la question de «ce qu’il faut changer dans le modèle actuel» mais de centrer le problème sur la détermination du genre de contrôle et des conditions
permettant d’obtenir les optimums économiques et sociaux. Parmi les formules analysées, les systèmes de contingents individuels – C.I., retiennent de plus en plus l’attention du fait qu’ils améliorent la répartition des ressources et exercent un effet positif sur la conservation des stocks de poissons.
La pratique des C.I. n’est qu’une mesure de gestion parmi d’autres, mais les mesures, comme les fermetures de zones ou les restrictions sur les engins de pêche conservent toute leur importance. Dans le cas du contrôle de la durée de pêche (par exemple, du nombre de jours en mer), la campagne de pêche sera de plus en plus courte. Le contrôle des facteurs de production ne donne probablement pas de bons résultats sur le long terme puisque la tendance à la surcapitalisation réapparaîtra.
Conditions requises pour l’introduction des C.I.
Avant d’adopter des C.I., il faut tout d’abord se pencher sur la question des conditions à remplir pour réussir leur mise en place. Une bonne gestion ne dépend pas de l’homogénéité du système mais de son effectivité pour résoudre des conflits. Le facteur fondamental en la matière est donc la coopération et l‘appui des pêcheurs. Ils bénéficient de services de la part des autorités gestionnaires et, devraient être consultés pour permettre la récupération des coûts et des redevances au prorata des prises. Une fois l’appui des pêcheurs obtenu, la plupart des questions soulevées pour justifier des choix trouveront leurs réponses.
L’information est un élément essentiel de la mise en place du système des C.I. Les besoins d’informations regroupent les aspects administratifs nécessaires et les conditions dans lesquelles elles seront rassemblées. Théoriquement il faudrait aussi que des modèles bio-économiques soient construits avant la mise en place des C.I. Cela suppose que la partie biologique du modèle est saisie avec précision et que l’on dispose de données fiables sur les coûts. Par ailleurs, la construction du système doit refléter les coûts réels des externalités qu’il a pour but de corriger. Les dommages infligés au stock de poisson dépendent par exemple de la taille du poisson capturé. Et, le moyen de refléter ces externalités consisterait à avoir des contingents distincts soit par espèce, soit par type d’engins de pêche adoptés.
Aspects opérationnels et fonctionnement des C.I.
En général, on estime qu’une pêcherie devrait être considérée comme une ressource appartenant au domaine public. On estime également qu’un système dans lequel les C.I. sont fixés en proportion du TAC est préférable parce que cela incite les pêcheurs à se préoccuper de l’état des stocks de poissons. Le contingentement individuel est une méthode entièrement différente de gérer les pêcheries, d’où la nécessité d’une mise en œuvre progressive du système. Il faut, en tenant compte de la valeur marchande des C.I., établir des procédures initiales d’affectation des contingents, la gestion des captures accessoires et le complexe contrôle du respect de la réglementation pour lequel il serait utile d’envisager d’autres alternatives tel que la participation des pêcheurs.
La distinction entre C.I. transférables et non transférables s’avère de peu d’importance en pratique, car si des possibilités intéressantes d’achats ou de ventes existent, les pêcheurs trouveront le moyen d’en tirer parti, que les droits soient transférables ou non. La transférabilité des C.I. n’est pas un problème en soi, mais la concentration de propriété pouvait l’être. Dans ce contexte, la question se pose de savoir comment et par qui définir les niveaux de concentration jugés inacceptables.
L’introduction des C.I. provoque probablement le retrait d’une partie de la flotte de pêche. La rentabilité pourrait être ainsi largement améliorée par la réduction des investissements et l’ajustement de la capacité d’exploitation aux ressources. Par contre, dans les systèmes de contrôle des facteurs de production, les tentatives pour réduire l’effort de pêche ont souvent des incidences sociales. Ils aboutissent au raccourcissement des campagnes de pêche, au point ou les pêcheurs devaient pêcher sans interruption pendant la période autorisée. L’introduction des C.I. aura pour effet positif sur le plan social d’éliminer cette contrainte.
En outre, dans le système de contrôle des facteurs de production, les pêcheurs cherchent à contourner la réglementation. Ce n’est pas le cas avec les C.I., ou les pêcheurs déploient toute leur énergie en vue de mettre au point le système de gestion leur assurant des avantages à long terme. L’avantage non négligeable des C.I. serait donc d’amener les pêcheurs à moins frauder. La fraude se faisait au détriment de la collectivité et était largement acceptée au sein de l’industrie. Avec l’introduction des C.I., la fraude est commise au détriment des autres pêcheurs. Les C.I. ont aussi un autre avantage, celui d’amener le pêcheur et l’industrie de la pêche à s’intéresser au sort des ressources halieutiques. Ils seraient même disposés à participer au financement et au contrôle du respect de la réglementation.
Les éléments précédemment analysés permettent de récapituler les caractéristiques de chaque système. Il est apparu clairement que le système de C.I. pouvait actuellement s’appliquer à un nombre limité d’espèces pour lesquelles le choix du niveau admissible de capture est possible en temps réel. Le système devrait bien fonctionner si la
quantité totale autorisée est maintenue à des niveaux appropriée et si la réglementation est respectée.