Perspectives de croissance et d’optimisation du capital pour les banques marocaines
TRIBUNE
Briot-Hadar Julien (*)
Le produit net bancaire (PNB) global des dix principales institutions bancaires marocaines, qui dominent largement le secteur, s’est élevé à 93 milliards de dirhams en 2023, soit environ 8,5 milliards d’euros. Les trois leaders du marché – Attijariwafa Bank, la Banque Centrale Populaire (BCP) et Bank of Africa – ont généré ensemble près de 70 milliards de dirhams de PNB, représentant environ 75 % de l’ensemble du secteur. Ces trois groupes bénéficient d’une forte présence internationale, principalement en Afrique, un territoire qui a contribué à hauteur de 26 milliards de dirhams au PNB global. Les sept autres acteurs, en revanche, concentrent leur activité essentiellement sur le marché national.
Suite à la cession, en 2022, du Crédit du Maroc au groupe Holmarcom et de Société Générale Maroc au groupe Saham (cette dernière transaction ayant été annoncée en avril 2024), seule la BMCI demeure sous contrôle étranger, étant toujours détenue par BNP Paribas. En termes de cotation boursière, sept des dix principaux établissements sont désormais listés, CFG Banque ayant fait son entrée en bourse à la fin de l’année 2023. La capitalisation boursière cumulée de ces institutions s’élevait à 220 milliards de dirhams à la clôture de l’année 2023.
Entre 2018 et 2023, le PNB global des dix principales banques marocaines a enregistré une progression moyenne annuelle de 5,5 %, avec une accélération notable en 2023 (+12 %). Cette dynamique soutenue se poursuit au premier semestre 2024 avec une croissance de 13 %. Les activités de banque de détail internationales des trois leaders ont connu une expansion plus rapide, avec un taux de croissance annuel moyen de 8 %, contribuant ainsi à une croissance supplémentaire de 1 % par an. En parallèle, le PNB « marocain », en dehors de ces activités internationales, a enregistré une progression plus modeste de 4,6 % par an.
Sur la même période de cinq ans, les banques ont réussi à maîtriser l’augmentation de leurs frais de gestion, avec une hausse moyenne de 3,4 % par an, soit 2,1 points de moins que la croissance du PNB. Bien que le coût du risque ait enregistré une hausse plus marquée (+10 % par an), le résultat d’exploitation (PNB moins frais de gestion et coût du risque) a augmenté de 7 % par an. De même, le résultat net part du groupe a progressé de 4 % par an.
Concernant les capitaux propres, leur croissance a suivi une trajectoire similaire à celle des résultats, permettant un retour sur fonds propres (ROE) de 10 % en 2023, un niveau respectable, bien que inférieur à celui des grandes banques de la Zone Euro (qui affichent un ROE proche de 15 %). Le ratio de solvabilité, mesuré par le CET1, se situe autour de 10 %, un niveau conforme aux exigences réglementaires mais toujours en retrait par rapport aux grandes institutions bancaires européennes.
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Le modèle de croissance maîtrisée et rentable adopté par ces établissements explique en grande partie la valorisation boursière relativement élevée des sept banques cotées, avec un ratio price-to-book de près de 1,5x en fin d’année 2023. À titre de comparaison, les grandes banques cotées de la Zone Euro étaient valorisées en moyenne à 0,7x de leurs capitaux propres agrégés. Il convient toutefois de noter que, bien que ces banques marocaines aient été très bien valorisées dès 2018 (avec un price-to-book de 1,8x), leur performance boursière collective sur les cinq années suivantes n’a pas été exceptionnelle. Leur capitalisation boursière cumulée n’a augmenté que de 2 % par an, et la création de valeur pour les actionnaires, dividendes inclus, s’est élevée à 4 % par an, un rendement bien inférieur aux 10 % par an observés pour les grandes banques européennes. Ces performances ont varié considérablement selon les acteurs, avec des écarts allant de +9 % à -2 % par an.
Pour maintenir et accélérer leur trajectoire de croissance rentable, il est probable que les banques marocaines devront davantage orienter leur développement vers des activités génératrices de rendements moins intensifs en fonds propres. Pour ce faire, elles devront diversifier davantage leurs sources de revenus, en mettant l’accent sur des services à forte rentabilité mais demandant moins de capital. Il en va ainsi de la promotion des services numériques et des plateformes bancaires en ligne, qui permettent de réduire la dépendance aux infrastructures physiques tout en touchant un large public à des coûts fixes réduits. Cette digitalisation de l’offre permettra à ces institutions de maximiser leur rentabilité tout en limitant l’impact sur le capital. De même, le secteur de la gestion d’actifs et des services de gestion de patrimoine constitue un domaine stratégique pour générer des rendements sans nécessiter une immobilisation excessive de fonds propres. En développant des solutions de placement adaptées à des clients institutionnels ou de grande valeur nette, les banques pourront optimiser l’utilisation de leur capital tout en accroissant leur rentabilité.
Enfin, la bancarisation des populations non desservies ou sous-desservies pourrait constituer un levier de croissance non négligeable. À travers des solutions numériques innovantes, les banques pourront pénétrer des marchés encore peu bancarisés, offrant ainsi des perspectives de rentabilité à long terme avec un faible besoin en fonds propres. Une telle approche serait d’autant plus pertinente pour les banques marocaines, dont une grande partie de la croissance est liée à l’internationalisation, notamment en Afrique, un continent où le potentiel de bancarisation reste largement inexploité.
(*) Briot-Hadar Julien : Fondateur BH Compliance consulting