Politique : « Il faut que tout change pour que rien ne change » !
Par Hassan Alaoui
« Il faut que tout change pour que rien ne change » ! Voici une phrase fétiche, prononcée par le Prince de Salina, héros du livre « Le Guépard » de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, adapté avec succès au cinéma par Visconti. Au cœur de la Sicile ardente, terreau des ambitions et des amertumes, elle nous donne à voir un contexte politique d’époque, l’interrogation et l’interprétation de l’avenir devenant un enjeu majeur. Par sa force discursive, elle nous interpelle dans ce Maroc de 2021 qui s’apprête, timidement certes mais sûrement, à voter, dans quelques mois, pour changer son parlement et, bien entendu, son gouvernement.
Si le décor n’est pas encore planté, le cadre institutionnel, en revanche, se définit bel et bien. Et le Conseil de ministres, présidé jeudi 11 février, à Fès, par le Roi Mohammed VI, nous en a donné plus que l’épure, plus que le goût. Quatre projets de lois organiques ont été adoptés, dont quelques-uns se rapportent à la perspective des prochaines élections législatives, à l’organisation du scrutin, à son mode aussi.
A quelques mois voire seulement quelques semaines de la date – non définie encore – des prochaines élections législatives, il est de bon ton de se livrer à l’exercice des spéculations. Beaucoup s’y mettent déjà, quelques-uns – cédant au défaitisme – s’interrogent sur leur utilité. « Pourquoi ces élections ? Quelle est leur finalité ? » demandent-ils. Tandis que le vent du scepticisme souffle d’une contrée à l’autre, mettant clairement en évidence une certaine désaffection à l’égard de la politique, le temps n’est-il pas venu de réhabiliter cette dernière? Or, qui dit politique dit aussi les partis et les formations qui l’incarnent. A l’indépendance du Maroc en 1956, il existait une seule formation politique de taille, l’Istiqlal et quelques autres dans son sillage. En 1959, une scission a sabordé son unité et a donné lieu, lors du congrès d’Agadir, à la création de l’UNFP, devenue plus tard USFP.
Aujourd’hui, ce sont plus que 32 formations politiques que l’échiquier national héberge. Autant de partis, autant de programmes et de leaders, et un champ politique éclaté qui est à notre démocratie ce que le ver est au fruit. C’est-à-dire une tarentule qui la menace au nom d’un multipartisme qui n’en a que le nom. Trente-deux partis dans un pays de 36 millions d’âmes, où le nombre insignifiant de 14 millions de citoyens s’inscrivent aux élections et seulement la moitié d’entre eux votent réellement, voilà qui dénote d’une perte de vitesse de l’intérêt pour la politique. Mais ce n’est qu’une courte vue sur une réalité d’autant plus provisoire qu’elle n’est jamais figée ou définitive. Le propre de la loi du vote est la mouvance, disons une transhumance configurative de l’électorat. Au Maroc, ce n’est pas seulement le désintérêt manifeste pour le vote qui guette l’activité politique, mais une implacable lassitude qui se substitue de plus en plus à l’enthousiasme d’antan. Et les dernières échéances électorales ont non seulement démenti les pronostics de certains, mais elles se sont faites contre les pronostics.
Quelle est la place des 32 formations dans un espace politique aussi dense, disparate et flottant ? Quelle règle serait-elle mise en place pour lutter contre l’absentéisme qui n’est qu’une forme de désaffection ou de désamour envers la politique ? Quelle configuration verrait-on s’instaurer pendant tous ces mois à venir, avant le scrutin ? Quelles alliances concevrait-on d’ici là ? A toutes ces questions pertinentes, la réponse ne semble pas aussi évidente et encore moins simple. Le pullulement des formations correspondait en vérité à une époque, aujourd’hui révolue, parce qu’il fallait dégager – si nécessaire de force – des majorités pour gouverner et une cohésion nationale. Le système électoral était réformé de telle manière à n’offusquer personne, et en revanche, à renforcer sa constitutionnalité. D’autant plus que le Roi Mohammed VI, garant suprême, reste fermement attaché au dogme constitutionnel et désigne le chef de gouvernement issu de la formation politique gagnante aux élections. Jusqu’à preuve du contraire, le Souverain n’en dérogera point, tant s’en faut.
Feu Hassan II rechignait à cette hypothèse, devenue depuis règle et non exception, d’un échiquier national qui, au nom du pluralisme, a transformé ce dernier en maquis. Il souhaitait une scène de quatre partis politiques au maximum, à l’image des grandes démocraties, américaine, anglaise et européenne, mettant en mouvement une alternance entre deux formations ou à la limite entre deux blocs…Nous avons connu le groupement de la Koutla et en face celui des partis libéraux, soit en tout et pour tout six partis politiques qui incarnent réellement une certaine cohérence et la justification raisonnable d’un système politique respectable. Abstraction faite de leur originalité et de leur différence en termes de programmes et de valeurs, ils ont un dénominateur commun : la défense de la stabilité du pays.
Hormis les électeurs du PJD, qui comme l’a affirmé un de ses militants, restent disciplinés comme une armée et vont voter d’une seule voix, hormis également les fidèles proches des autres partis, le corps électoral marocain reste volatile pour ne pas dire éclaté. Tant et si bien que nous avons pris l’habitude, à chaque échéance électorale, de constater une lancinante abstention voire un désintérêt renouvelé des électeurs. La participation est réduite d’une élection à l’autre, jusqu’à devenir une portion incongrue, et la démocratie en déperdition accélérant sa course à notre grand désarroi. L’année 2021 incarnera, sans doute, les dernières heures de la pandémie de la Covid-19 avec son long cortège de décès, que représenterait-elle pour l’agenda électoral ?
Avec les lois organiques que les Commissions au parlement examinent depuis cette première semaine de mars, le cadre politique est désormais tracé. Une simple et rapide lecture par les états-majors des partis de cette « réforme » proposée au Conseil de ministres du 11 février présidé par le Roi, nous en dit long sur les divergences entre les partis notamment sur les thèmes du cumul et le seuil de 300.000 habitants d’une ville, ou le fameux quotient des inscrits chacun y allant de son commentaire et de sa philosophie. Mais l’essentiel n’est-il pas de s’inscrire dans une nouvelle dynamique, celle notamment d’un consensus sur le principe global que les élections prochaines devraient plus réunir que diviser ? Les grands partis politiques nationaux que sont actuellement le RNI, l’Istiqlal, le PJD, le PAM, le MP, l’UC, l’USFP et le PPS nous ont tellement habitués à cette « carte postale » consensuelle qu’il nous paraît désormais péremptoire et impérieux d’en modifier certains contours.
Banalisé, – et ce n’est guère péjoratif – le PJD est désormais dans les mœurs, il est délibérément intégré dans le système et le paysage quotidien, et ce faisant se rendre à l’évidence de l’alternance démocratique en laissant la place aux autres après 10 ans de gestion controversée du pays. Un changement donc du paradigme …