Positionnement international du Maroc : L’IRES publie son tableau de bord stratégique 2021
Par Taoufiq Boudchiche (*)
Les domaines de veille stratégiques retenus par l’IRES traduisent les priorités du Royaume
L’Institut Royal d’Etudes Stratégiques (IRES) a publié la neuvième édition de son tableau de bord stratégique qui examine le positionnement international du Maroc en relation avec les grands enjeux internationaux. Y sont consignées, des données quantitatives et des informations qualitatives très éclairantes, aussi bien pour les chercheurs toutes disciplines confondues que pour les décideurs des institutions nationales et internationales.
Comme énoncé en introduction du rapport par Monsieur Tawfik Mouline, le Directeur Général de l’IRES, cette édition publiée en octobre 2021, concentre l’analyse stratégique sur les problématiques de l’heure : souveraineté, intégrité territoriale, transition écologique, réponse aux besoins essentiels des citoyens, santé, gestion de la migration, paix et sécurité, lien social, transformations structurelles de l’économie et émergence, stratégies d’innovation, richesse globale, connaissance, savoir, capital immatériel…. ; problématiques formulées comme autant de domaines de veille prospective (voir encadré plus bas).
Des indicateurs rares à haute valeur intellectuelle et stratégique
Le document signale en introduction l’instauration de 200 indicateurs exploités à partir des données recueillies auprès d’organismes de référence (Haut-commissariat au Plan (HCP), départements ministériels, Office des Changes, Banque Mondiale, FMI, OCDE, PNUD, OMS, FAO, CEPII…). Ils sont exposés selon une démarche d’analyse stratégique et de veille prospective. Pour tout lecteur averti, l’intérêt d’un tel travail résidera dans la valeur ajoutée intellectuelle de l’équipe de l’IRES, afin de les recenser, les classer et les « contextualiser » dans le cadre des grandes priorités intéressant le Royaume dans son environnement national et international. Par conséquent, il y a matière à analyses, commentaires et débats pertinents avec comme base des données parmi les plus probantes de source nationale et internationale. Des débats qui, par exemple au Maroc, touchent parfois à la faiblesse de certains indicateurs produits au niveau international, mais qui ont été retenus par l’IRES car la communauté internationale s’en prévaut pour juger du positionnement du Maroc.
Le Maroc au seuil de l’émergence économique mais qui peine à décoller de son positionnement intermédiaire au plan international.
Un tableau de synthèse est présenté en pages 13 et 14. Sur l’ensemble des indicateurs, 17 indicateurs montrent un positionnement international du Royaume favorable, 24 un positionnement défavorable et une majorité d’indicateurs, soit 47 signalent un positionnement plutôt intermédiaire. Cela confirme sas nul doute que le Maroc continuera à court terme d’être rangé parmi les pays à revenu intermédiaire. Est-il émergent, est-il émergé ? Une partie de la réponse se trouve dans le rapport.
Par exemple, sur le sujet de la richesse globale et par habitant, il est souligné « un PIB par habitant, en termes réels, en amélioration depuis la fin des années 90. Son rythme de croissance a été, en moyenne, de 2,3% par an sur la période 1998-2020. Une performance qui reste, néanmoins, insuffisante comparativement à celles réalisée par les pays émergents ou ceux à niveau de développement comparable » (page 14).
Mais dans le même temps, à l’examen de l’indice de développement humain (IDH), malgré un triplement, depuis l’Indépendance du Maroc (0,2 à 0.62), le positionnement du Maroc à la 121ème place parmi 189 pays reste affecté par la durée de scolarisation au Maroc qui n’est en moyenne que 5,5 années en 2019 contre 6,7 années pour les pays à développement humain moyen et 12,2 années pour les pays à développement humain très élevé. Ce positionnement pourrait être amélioré à l’avenir si le Maroc parvenait à opérationnaliser une nouvelle génération de réformes, qui met l’Homme au centre du développement. (page35).
Le nouveau modèle de développement en plaçant la question du développement humain et social au cœur de la stratégie du nouveau gouvernement, saura-t-il relever le défi ? En tout cas, ce serait hautement souhaitable pour notre pays.
Des progrès d’ensemble dans la catégorie des pays intermédiaires
Parmi les indicateurs, il y a ceux qui progressent, ceux qui restent stables et ceux qui ont reculé au cours de la dernière décennie. A titre d’illustration, on note :
- Des positionnements favorables concernent des indicateurs tels que la lutte contre la faim, l’ouverture des données (open data), l’efficacité et la transparence des politiques publiques, les performances en matière de lutte contre le changement climatique, la gestion de crise covid-19, la gestion migratoire, la connectivité aérienne et maritime, la sécurité digitale et cybercriminalité, l’attachement à la nation, la solidarité intergénérationnelle, l’accès à l’eau et à l’assainissement, la vaccination, la fécondité… Mais dans le même temps parmi ces indicateurs, il y a ceux qui progressent comme la lutte contre la faim et ceux qui reculent comme la sécurité digitale et la cybercriminalité.
- Des positionnements moins favorables quant à elles concerneraient la dépendance alimentaire, la dépendance énergétique, la durabilité alimentaire (indicateurs reliés au domaine de la souveraineté énergétique et alimentaire), l’état de la biodiversité, les ressources en eau, la qualité du système éducatif, l’accès au système de santé (dépenses de santé en % du PIB), la qualité du système de santé, l’encadrement médical et paramédical. Parmi les indicateurs qui progressent, on notera par exemple, la dépendance alimentaire et énergétique, et parmi ceux qui reculent l’état de la biodiversité, les ressources en eau…
- Des positionnements intermédiaires qui touchent une majorité d’indicateurs rattachés à la richesse globale du pays et par habitant, la transition énergétique, la gouvernance des ressources naturelles, la paix et la sécurité globale, la lutte contre le terrorisme, le développement humain, les droits de l’enfant, la scolarisation et l’alphabétisation, les inégalités, l’emploi et le chômage, l’Etat de droit et la démocratie, les libertés publiques et de l’information, la compétitivité et attractivité des investissements et IDE…. A titre d’exemple, les indicateurs qui ont progressé au cours de la dernière décennie concernent la performance environnementale, la sécurité intérieure, … ceux qui montrent un recul dans le classement intermédiaire, il y a par exemple, la vulnérabilité au terrorisme, la prospérité et le bien être, la liberté de la presse
Des indicateurs qui montrent des domaines stratégiques encore sous exploités
Dans la deuxième partie du rapport, sont explicités les facteurs d’évolution pour chaque indicateur, au regard, en particulier, des politiques publiques conduites dans leur contexte national et international.
Par exemple, sur le capital immatériel, il est souligné « un poids du capital immatériel représentant les trois quarts de la richesse globale du Maroc, soit un niveau proche de celui des pays de l’OCDE (80%). Le positionnement international du Royaume, en matière de capital immatériel par habitant, a connu une amélioration sensible, avec un gain de quatre places entre 2000 et 2005. Mais, entre 2005 et 2014, le classement international du pays a affiché, une baisse significative, due, entre autres, à la qualité insuffisante du capital humain. Les multiples réformes menées par le Maroc pour développer son capital humain n’ont pas produit des résultats à la hauteur des exigences de développement du Royaume » (page 15 du rapport).
Des indicateurs qui confirment des performances
Il y a aussi de bonnes surprises, comme sur l’indice « Green Future Index (Source : Calculs IRES-MIT Technology Review), où l’IRES conclut à un positionnement très favorable pour le Royaume qui occupe le 5eme rang mondial pour la dimension relative aux innovations vertes. Au niveau régional, le Maroc est classé 2eme en Afrique et 1er dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Ainsi, qu’en matière de performances environnementales, « grâce principalement à l’amélioration de la qualité de l’air, à une meilleure gestion des ressources forestières et à l’extension du réseau d’assainissement ».
Elles sont aussi positives concernant des politiques publiques impactant le positionnement industriel sur les nouveaux métiers mondiaux du Maroc (Automobile et Aéronautique), celles concernant le « climat des affaires, la compétitivité et l’attractivité des IDE». Comme il en est de l’indice de puissance militaire qui classe le Maroc en 6eme position au niveau africain (calcul IRES et Global Fire Power-page 34).
Des indicateurs qui traduisent des vulnérabilités pour l’économie du futur
Le domaine du digital et de la robotisation, où selon l’analyse de l’IRES, il est encore négligé « le classement du Maroc au titre de la densité robotique industrielle, traduit l’absence d’une véritable prise en compte de la dimension digitale dans le plan d’accélération de l’industrie marocaine ».
Des indicateurs qui révèlent de précieuses informations dans les domaines du lien social et du lien politique :
- Malgré une tendance baissière des inégalités de genre, il y a encore la persistance de certaines discriminations comme la baisse de la participation des femmes sur le marché du travail depuis 2004. (Indice mondial de l’inégalité des genres) ;
- Un positionnement non satisfaisant du Maroc au titre de l’indice de bien-être des personnes âgées de 60 ans et plus, (Global Age Watch Index)
- Le désenchantement des jeunes face à l’avenir qui alimente leur souhait de quitter le Maroc à la conquête d’un bien-être hypothétique ailleurs (indicateur IRES-CEPII)
- Un attachement à la nation constituant, avec l’attachement à l’Islam modéré et à la Monarchie, un des principaux fondements du vivre-ensemble au Maroc, comme le confirme les deux éditions de l’enquête nationale sur le lien social réalisées par l’IRES en 2011 et en 2016.
Aussi, le rapport publié par l’IRES, soucieux d’objectivité et d’analyses dénuées de toute complaisance, est-il, sans conteste, une mine d’informations et de connaissances pour la recherche et l’aide à la décision. Y sont évoquées, en outre, pour chacun des indicateurs et des domaines de veille prospective, des pistes d’amélioration des politiques publiques résultant des nombreux travaux de recherche de l’IRES selon une vision prospective et stratégique. Celle-ci constitue d’ailleurs la marque distinctive et la spécificité de cette institution royale. Pour aller plus loin voire site web www.ires.ma
ENCADRE : DOMAINES DE VEILLE PROSPECTIVE DE L’IRES DVP N°1 : PRESERVER LA SOUVERAINETE ALIMENTAIRE ET ENERGETIQUE ET REUSSIR LA TRANSITION ECOLOGIQUE DU PAYS DVP N°2 : DEFENDRE L’INTEGRITE TERRITORIALE DU PAYS ET RENFORCER SA RESILIENCE FACE AUX MENACES TRANSNATIONALES DVP N°3 : REPONDRE AUX BESOINS ESSENTIELS ET AUX ASPIRATIONS DES CITOYENS DVP N°4 : INSTAURER UNE NOUVELLE GOUVERNANCE SOCIETALE REPENSEE ET EVOLUER VERS UN ETAT DU « CARE » DVP N°5 : ARMER LE PAYS CONTRE LES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LES CATASTROPHES NATURELLES DVP N°6 : ASSURER LA TRANSFORMATION STRUCTURELLE DE L’ECONOMIE MAROCAINE ET REUSSIR L’EMERGENCE DU PAYS DVP N°7 : GERER LA MOBILITE INTERNE ET L’ACCEUIL DES MIGRANTS DVP N°8 : RENFORCER LE DEVELOPPEMENT TERRITORIAL DU PAYS DVP N°9 : PROGRESSER VERS LA SOCIETE DE LA CONNAISSANCE ET DE L’INNOVATION DVP N°10 : RENFORCER LE LIEN SOCIAL ET RESTAURER LA CONFIANCE |
(*) économiste