Post-Covid-19 : Le jour d’après… un pas vers un monde meilleur ou le chaos ?
Par Taoufiq Boudchiche (*)
En se penchant de près sur les perspectives attendues pour le jour d’après la crise sanitaire du Covid-19, trois mots clés seraient de nature à guider notre réflexion : celui de la reprise de la vie normale, celui de la relance économique et celui de reconstruction sociale, voire sociétale.
La reprise, entendue au sens large du terme signifierait reprendre notre vie normale au quotidien sans les menaces du confinement et du couvre-feu intermittents qui sont devenues telles des épées de Damoclès sur nos modes de vie. Les obligations imposées en termes de restrictions sanitaires ont provoqué des ruptures dans nos modes de vies ainsi que des obligations personnelles et sociales éprouvantes psychologiquement. Leur impact au plan de la santé mentale serait loin d’être négligeable. Aussi, l’espoir de retrouver « la vie normale » sans les menaces de confinement et de couvre-feu est-il devenu autant qu’un leitmotiv politique, une aspiration sociale et une attente individuelle forte.
« Les niveaux de solitude, de dépression, de consommation nocive d’alcool, d’usage de drogues, et de comportements auto-agressifs ou suicidaires auraient augmenté» atteste l’OMS. Au Maroc, le personnel de santé, surtout dans les services hospitaliers, ainsi que les représentants des forces de l’ordre et autorités locales, en première ligne pendant cette crise, ont par exemple payé un lourd tribut. Par conséquent, le jour d’après, la levée durable des restrictions sanitaires sera perçue comme un énorme soulagement individuel et social même si un retour à « la vie d’avant » reste problématique.
La relance économique est déjà planifiée par les pouvoirs publics dans nombre de pays. Elle est associée le plus souvent à une sorte de rattrapage économique pour compenser les pertes de croissance enregistrées les deux dernières années (2020-2021) marquées par une décroissance économique quasi-forcée.
Les Etats-Unis, l’Europe, le Japon, la Chine, comme plusieurs pays africains se sont déjà dotés de plans de relance économique ambitieux. Les chiffres donnent parfois le tournis. Par exemple, le congrès américain a approuvé un budget de 1900 milliards de dollars. L’Europe a adopté 750 Milliards de dollars (à répartir entre les différents pays européens). En Chine, 131 milliards de dollars et le Japon 584 Milliards d’Euros ont été mobilisés.
Au regard des priorités indiquées dans les plans de relance (USA) les budgets seraient destinés principalement au soutien des ménages frappés par le chômage, les secteurs économiques en souffrance et les appuis au secteur de la santé. Les plans de relance européen et japonais vont plus loin en insérant l’aide à la transition énergétique et aux technologies vertes.
En Afrique, des plans de relance ont été adoptés dans plusieurs pays comme le Maroc, l’Egypte, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud, le Cameroun…Selon une étude réalisée par la banque Attijariwafabank, le Royaume aurait l’un des plans de relance les plus ambitieux comparé à plusieurs autres pays africains. Adossé au Fonds Mohammed VI pour l’investissement, il est doté d’un budget de 120 milliards de dirhams (soit 11% du PIB). Sont prévus le soutien aux secteurs, la stimulation de la demande et l’appui aux financements des entreprises.
Il est fort probable que ces plans de relance aussi ambitieux soient-ils n’auront pour impact que d’atténuer les dégâts causés par la crise sanitaire. Selon les chiffres de la banque mondiale, les pertes cumulées du fait de la décroissance économique en 2020-2021 s’élèveraient dans le monde à 10.000 (dix mille milliards de dollars).
D’où l’intérêt d’examiner les autres leviers susceptibles de générer une croissance durable, éthique et équitable à même de permettre de penser également reconstruction le jour d’après.
La reconstruction sociale et sociétale comme nouvelle priorité car il sera difficile de passer par « pertes et profits », les douloureuses remises en question sociales qui auront accompagné la crise sanitaire avec les bouleversements qu’elle aura induit : mortalité, fragilisation du lien social, accroissement des vulnérabilités sociales et des inégalités, mobilité collective réduite, fermeture des frontières, etc.
Par conséquent, après une période probablement frénétique de retrouvailles avec la vie sans restrictions sanitaires, que certains n’hésitent pas à souhaiter comparer « aux années folles des après guerre », il faudra également se résoudre à repenser les fondements de nos modèles économiques et sociaux. Parmi les indications prémonitoires à cet effet citons principalement les suivantes.
Une approche nouvelle de la mondialisation partout dans le monde, il apparaît dans les discours des dirigeants, une forme de remise en question de la mondialisation telle que pratiquée jusqu’à la veille de la crise sanitaire. Les mots de souverainisme, de patriotisme économique, de protectionnisme, etc… retrouvent un sens nouveau, parfois inquiétant, que la mondialisation triomphante des années 2000 avait presque mis au rebut de l’histoire.
Afin de ne pas tomber dans le piège d’un repli qui ne peut qu’engendrer de nouveaux dysfonctionnements à l’économie mondiale, notamment, aux dépens des pays pauvres qui sont très dépendants de l’ouverture économique, il y aura lieu de repenser les dynamiques de la mondialisation dans une optique éthique à la fois envers la planète et envers les pays fragiles dont l’économie en est dépendante. Les organismes mondiaux tels que l’ONU, l’OMC, l’Unesco, etc… devraient se saisir de cette question pour promouvoir de nouvelles formes de mondialisation plus raisonnées et anticiper des outils plus efficaces pour faire face aux crises d’une telle ampleur.
Freiner la frénésie capitaliste qui s’est emparée des services publics dans des secteurs vitaux pour notre existence : l’énergie, l’agriculture, l’éducation, la santé, les transports, etc.
L’ouverture tous azimuts de ces secteurs aux capitaux privés a été bénéfique quand elle a été accompagnée de cahiers des charges rigoureux qui préservent le pouvoir d’achat, notamment, des plus pauvres tout en améliorant les services offerts. Mais cela n’est pas toujours le cas, les coûts d’accès aux produits de base agricoles et ceux de l’éducation et de la santé…sont de plus en plus élevés avec une course à la rentabilité et aux profits dommageables socialement.
Ils seraient devenus les principales sources des inégalités individuelles et sociales constatées dans les pays à faible et moyen revenu. Une nouvelle approche du partenariat public-privé doit être mise en œuvre.
Opérer un rééquilibrage salutaire des politiques publiques en faveur de l’humain, la crise sanitaire a démontré combien les populations ont été sensibles à un arbitrage équilibré entre priorités sanitaires et priorités économiques. L’économie n’est pas passée avant la santé, et tant mieux, sinon l’humanité aurait atteint une hécatombe humaine sans précédent. Sans les mesures sanitaires prises, un pourcentage non négligeable de l’humanité aurait trépassé.
En effet, au 15 avril 2021, malgré les précautions sanitaires, le Covid-19 a provoqué plus de 3 millions de morts dans le monde comparé à la grippe saisonnière qui provoque annuellement entre 650 000 et 1 million de morts par an, 690 000 morts pour le sida et environ 400 000 morts pour le paludisme, pour ne citer que les principales pandémies mondiales.
Renforcer l’action solidaire individuelle et collective : au coeur de la crise sanitaire, le retour vers l’humain s’est également exprimé par un fort besoin de spiritualité et de recueillement probablement plus qu’à l’habitude, dans les moments où l’humanité toute entière était confinée et chacun isolé comme il pouvait.
Aussi, est-il important de relever que nos modèles préexistants nous ont entraînés dans des sociétés de consommation ou « l’avoir » prime sur « l’être ». Etre heureux ne signifie pas nécessairement « avoir plus » mais surtout « mieux être ».
Par conséquent, les questions sociales liées à l’humain, à la santé, à la protection sociale et à la prévention ont primé dans les choix publics avec l’assentiment consensuel des citoyens. Ces priorités devraient être consolidés dans les politiques publiques ainsi que l’action solidaire en faveur des démunis.
L’exemple du Fonds Covid-19 au Maroc a été un succès. D’autres fonds de solidarité seraient les bienvenus. Les citoyens ont démontré leur grande disponibilité à y contribuer. Peut-être devrions-nous transposer à l’avenir cette mobilisation nationale solidaire également à d’autres secteurs tels que l’éducation ?
Redonner vie à l’Accord de Paris pour transformer nos modèles économiques, la crise sanitaire a renforcé le souci citoyen de vivre dans un environnement sain. De plus en plus les populations à travers le monde souhaitent disposer d’une alimentation saine (produits bio), de villes vertes, d’eau non polluée…Portons l’espoir qu’une mise en œuvre plus volontariste de l’accord de Paris sera effective le jour d’après la crise sanitaire. Il contient des engagements forts et sa mise en œuvre, peut être l’occasion de repenser en profondeur nos modèles économiques et sociaux et redonner vie à un multilatéralisme en voie d’essoufflement.
Ne pas négliger les forces du chaos, le Covid-19 en provoquant une crise sanitaire de cette ampleur génère, outre les aspects négatifs évoqués précédemment, des préoccupations majeures :
Celles liées à la dette publique mondiale qui se cumule sans pour autant avoir des réponses claires sur son mode de remboursement. Celles ensuite relatives aux volontés de puissance des grandes nations qui sont en train de refaçonner la géopolitique mondiale aggravant les facteurs potentiels de conflits à déflagration mondiale (Etats-Unis-Russie-Chine-Turquie). Celles enfin liées aux risques identitaires provoquées par les replis des populations sur elles-mêmes susceptibles d’être exploitées à mauvais escient par les partis populistes et « les va-t-en-guerre ». L’hommage aux victimes, le jour d’après, il faudra aussi pouvoir s’incliner et rendre un hommage soutenu à ces millions de morts, d’hommes et de femmes victimes du Covid-19 qui aura endeuillé tant de familles.
(*) Taoufiq Boudchiche est économiste