Poutine remet les pendules à l’heure
Hassan Alaoui
Vladimir Poutine s’est fendu mercredi 20 février d’un discours dont le moins que l’on puisse dire est qu’il constitue – calendrier oblige – une réplique magistrale à celui de Donald Trump, prononcé il y a quelques semaines. Discours à la nation ou discours de l’état de l’Union, ils s’adressent au peuple. Le Président de la Fédération de Russie a axé le sien sur la politique économique et sociale, ensuite sur la politique extérieure de la Russie et notamment de la place que celle-ci est en train de prendre sur l’échiquier mondial.
La partie consacrée à la défense, notamment aux armes nucléaires, nous interpelle, car elle constitue un élément inédit en termes de langage et d’annonces. Ni plus, ni moins le président de Russie va jusqu’au bout de sa volonté d’apporter à sa manière le « La » au dialogue original, ou de sourds avec son protagoniste américain, Donald Trump. Vladimir Poutine, après avoir réaffirmé sa détermination à relever le niveau économique du peuple russe, avec un taux de croissance de 3% l’année prochaine, promis la construction de plus de 60 nouveaux aéroports, l’injection de plus de 340 milliards d’euros, il a mis en garde le gouvernement américain contre toute tentation militaire envers la Russie. « La Russie, a-t-il déclaré, va déployer des missiles capables d’atteindre des centres de décision ennemis ». Il laisse ainsi entendre que les nouveaux missiles russes Avangard, qui seront portés à bord de sous-marins , avec une grande portée, pourraient le cas échéant être lancés contre l’Europe voire même les Etats-Unis et les pays de l’OTAN.
Ces missiles russes de la nouvelle génération, testés avec succès il y a quelques mois, remplacent les missiles de portée intermédiaire ( 500 à 5500 kilomètres) qui avaient fait l’objet de laborieuses négociations depuis 1971 sous les noms de SALT, de StART, de SORT et de NEW START. En brandir la menace constitue pour Poutine la réponse adéquate, disons du « berger à la bergère », notamment après le retrait officiel des Etats-Unis du Traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), signé à Washington en décembre 1987 par Mikhail Gorbatchev et Ronald Reagan.
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Que Vladimir Poutine agite à présent la menace nucléaire nous renvoie à une époque révolue, celle de la Guerre froide dont on subodore plus ou moins les parfums du Kremlin à la Maison Blanche. Quelques heures après que le président russe eût fini de prononcer son discours, l’Organisation des pays de l’Atlantique Nord OTAN a dénoncé des « propos inacceptables », rappelant que c’est la Russie, la première, qui a violé le Traité sur les FNI en mettant en œuvre de nouvelles armes nucléaires dont le président russe a révélé la capacité et l’étendue, pouvant atteindre « les territoires d’où peut provenir une menace directe, mais aussi contre les territoires où se trouvent les centres de décision d’usage de missiles nous menaçant ».
Le propos est de bonne guerre, et pour le président de Russie, il s’apparente à une position défensive, face à une Amérique et surtout d’un Trump qui n’a cessé de diaboliser les dirigeants russes. « Ces dernières années, affirme Poutine, les États-Unis ont mené une politique que l’on peut difficilement qualifier d’amicale à l’égard de la Russie, expliquant « qu’elle était caractérisée par l’ignorance des intérêts légitimes de la Russie, par l’organisation de plusieurs actions antirusses et par l’imposition de sanctions nouvelles sans justification ». On ne peut pas parler ici d’un air de revanche, mais d’une posture justifiée par la transfiguration d’un contexte international où la Russie s’est imposée en termes de leadership sinon comme la puissance dominante, du moins comme le challenger des Etats-Unis. La place de la Russie sur l’échiquier du Proche Orient, autrefois dominé par l’Amérique, est à présent favorable à toutes les initiatives que le Kremlin semble prendre concernant la défense de la Syrie, la lutte antiterroriste contre Daech, la négociation d’Astana, le jeu d’influence vis-à-vis de l’Iran et de la Turquie, celle-ci favorable à un dépècement de la Syrie.
Huit ans de guerre, le front offensif face aux Occidentaux, contre vents et marées, une constance diplomatique et militaire ont fait de la Russie – comme on le vérifie aujourd’hui – un allié stratégique, direct ou indirect, pour tous ceux qui veulent en découdre avec l’Etat islamique. Face à la décision de Donald Trump de retirer les troupes américaines de Syrie, cédant à un réflexe opportuniste, la Russie a tenu s a parole et aussi bien les Syriens que les Kurdes – qui se sont sentis lâchés – peuvent renouer avec l’espoir qu’ils ne tomberont pas dans les mains de l’armée turque, en attendant une solution politique finale où Moscou jouera à coup sûr un rôle significatif.