Privatisation de la santé : Jaafar Heikel défend une approche équilibrée et contrôlée
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L’analyse des systèmes de santé en 2025 révèle un constat fondamental : la question du financement est au cœur des politiques publiques visant un accès universel et de qualité aux soins. Le Professeur Jaafar Heikel, médecin et économiste spécialisé en épidémiologie, souligne l’évolution des stratégies gouvernementales face aux défis croissants du secteur de la santé. Selon lui, l’implication accrue du secteur privé dans les systèmes de santé mondiaux s’impose comme une nécessité plus qu’un choix idéologique, soutient-il dans un entretien accordé à Maroc Diplomatique.
Cette tendance s’observe à travers le monde, où de nombreux gouvernements, quels que soient leurs modèles de santé, font appel à des partenaires externes, qu’ils soient à but lucratif ou non lucratif, pour assurer des missions de service public. L’Allemagne, la France, l’Espagne, les pays scandinaves, le Canada et les États-Unis sont autant d’exemples où l’intégration du secteur privé dans la gestion des soins est devenue une réalité. Cette évolution ne découle pas d’un désengagement de l’État, mais d’une volonté d’optimiser les ressources disponibles pour garantir un accès élargi aux soins.
Au Maroc, cette transformation est particulièrement visible. Jaafar Heikel rappelle qu’en l’espace de quinze ans, la proportion de lits d’hospitalisation dans le secteur privé est passée de 10-15 % à plus de 30 %. Cette progression témoigne d’une redistribution des rôles entre le public et le privé, visant à améliorer la capacité d’accueil et la qualité des soins. Cependant, cette dynamique impose une régulation rigoureuse afin d’assurer un équilibre entre rentabilité économique et intérêt général. L’État doit ainsi préserver son rôle régalien en garantissant une tarification encadrée, une qualité de service irréprochable et une adéquation entre les prestations et les coûts pratiqués.
La question du financement est un autre défi central. Dans de nombreux pays en développement, la part des dépenses de santé supportée directement par les ménages, connue sous le terme out-of-pocket, dépasse souvent les 40 à 50 %. À titre de comparaison, les pays de l’OCDE maintiennent ce taux en dessous de 25 %, ce qui permet de limiter l’impact économique sur les citoyens. Jaafar Heikel insiste sur l’urgence de réduire cette charge à des niveaux acceptables à travers des mécanismes innovants. L’élargissement des couvertures d’assurance santé apparaît comme une solution viable, combinant régimes obligatoires et complémentaires avec une implication équilibrée de l’État et du secteur privé. En parallèle, le développement de fonds de solidarité financés par diverses contributions permettrait de mieux répartir les coûts et d’assurer une viabilité à long terme.
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L’innovation dans le financement doit également passer par une tarification adaptée aux réalités économiques et aux capacités des patients. Il s’agit d’établir un modèle de financement qui favorise un accès équitable aux soins sans compromettre la qualité des services. Jaafar Heikel souligne l’importance de négociations entre le secteur public et les acteurs privés pour définir un cadre tarifaire juste, où le patient paie le moins possible tout en bénéficiant de soins optimaux. Cette approche vise à instaurer un système de santé performant, fondé sur la solidarité et l’équité.
À l’échelle internationale, plusieurs pays offrent des modèles intéressants pouvant inspirer le Maroc. L’Espagne et l’Allemagne ont réussi à conjuguer efficacité et accessibilité grâce à des systèmes de financement hybrides. Le modèle canadien, quant à lui, repose sur une forte régionalisation des services de santé, permettant une meilleure adaptation aux besoins locaux. Ces exemples montrent qu’un partenariat structuré entre le public et le privé peut garantir une offre de soins de qualité sans compromettre les principes fondamentaux de l’universalité et de la justice sociale.
Dans cette perspective, le Maroc doit s’assurer que l’intégration du secteur privé ne devienne pas un facteur d’inégalité, mais au contraire un levier de développement pour l’ensemble du système de santé. La réussite de cette transition repose sur plusieurs conditions. D’abord, l’État doit continuer à jouer un rôle central dans la définition des politiques sanitaires, en veillant à leur bonne application et en mettant en place des mécanismes d’évaluation rigoureux. Ensuite, il est essentiel d’instaurer un cadre de régulation qui garantisse un équilibre entre la rentabilité du secteur privé et l’intérêt des citoyens. Enfin, une attention particulière doit être portée à la régionalisation des services, afin d’adapter l’offre de soins aux spécificités locales et de garantir une meilleure répartition des ressources.
Jaafar Heikel insiste sur le fait que cette transition doit se faire avec mesure et modération. Il ne s’agit pas de considérer les partenaires privés comme des substituts à l’action publique, mais comme des acteurs complémentaires pouvant contribuer à l’amélioration du système. Une telle approche, combinant régulation, innovation et partenariat, permettra de construire un système de santé plus accessible, performant et durable, au service de l’ensemble de la population. Cette vision, fondée sur l’intelligence du financement et la coopération des acteurs, s’inscrit dans une dynamique globale visant à renforcer la résilience des systèmes de santé face aux défis du XXIe siècle.