Prix national de la presse: le Prix de l’Agence de presse décerné à Jamal-Eddine Benlarbi
Le Prix de l’Agence de Presse décerné, vendredi soir à Rabat, dans le cadre de la 20ème édition du Grand Prix national de la presse, a été remporté par le journaliste Jamal-Eddine Benlarbi de l’Agence Marocaine de Presse (MAP).
Jamal-Eddine Benlarbi a reçu le prix pour son article « Tafilalet : Un verre d’eau bien fraîche, source de vie ».
Ci-après l’article primé:
Tafilalet : Un verre d’eau bien fraîche, source de vie
Errachidia, 23/08/2022 (MAP) – Mohamed, commerçant au visage marqué par le temps, place quotidiennement une jarre en terre cuite devant sa petite boutique, dans le quartier de Targa à Errachidia, pour offrir aux passants et à ses clients la joie de boire de l’eau fraîche en cette période de forte chaleur dans le sud-est du Royaume. « Il s’agit d’une vieille tradition que nous avons héritée de nos ancêtres et que nous perpétuant en apportant le réconfort de l’eau fraîche aux passants assoiffés durant la saison d’été », a-t-il confié à la MAP avec un sourire sincère et généreux.
Ravi de revenir sur certaines histoires passionnantes de passants assoiffés à cause des températures élevées que connaît la ville d’Errachidia durant l’été, ce quinquagénaire s’est dit fier du surnom donné par ses clients et connaissances à sa petite boutique : « le refuge ».
« Offrir de l’eau aux passants grâce à la jarre d’eau placée dans un endroit visible de tous est une tradition héritée des ancêtres », a-t-il poursuivi, ajoutant que cette initiative, léguée de père en fils, représente « un acte noble qui apporte la bénédiction au propriétaire de la gourde ».
A 96 km d’Errachidia, dans la ville de Rissani, Essaidi Al-Issawi a choisi le même chemin, quoique d’une manière différente. Cet Homme âgé de 59 ans préfère marcher au milieu des souks pour désaltérer les commerçants et les passants, dans l’objet, dit-il, de « recueillir les bénédictions ».
Depuis l’âge de 14 ans, « je sillonne tous les coins du principal souk de Rissani pour rendre un vrai service aux gens », raconte Al-Issawi, soulignant qu’il s’agit d’une coutume héritée des ancêtres, ainsi que d’une culture de solidarité qui caractérise, depuis toujours, sa région désertique.
Le sud-est du Maroc est l’une des régions les plus chaudes du Maroc. Dans les villes d’Errachidia, Rissani et Erfoud, les températures peuvent atteindre des niveaux très élevés pendant l’été.
Malgré la rareté de l’eau et la faible pluviométrie dans la région, les habitants ont conservé cette vieille habitude en mettant à la disposition des passants une gourde d’eau avec une tasse attachée.
Zayed Jerrou, chercheur spécialisé dans le patrimoine matériel et immatériel de la région de Drâa-Tafilalet, a souligné, dans une déclaration à la MAP, que le marché historique de Rissani connaît encore la présence des « Guerraba », les porteurs d’eau, qui, depuis la nuit des temps, arpentent les chemins pour offrir de l’eau fraîche aux passants.
« La jarre d’eau représente une source de subsistance et de bénédiction pour les membres de la famille (…) Il suffit que les habitants entendent les appels des passants souhaitant se désaltérer pour écouter ensuite les plus belles prières implorant la miséricorde divine en faveur des bienfaiteurs », a-t-il enchaîné, ajoutant qu’il s’agit d’une récompense inestimable qui suscite la joie et la gaieté.
Pour sa part, Mohamed Amrani Alaoui, professeur d’histoire à la Faculté Polydisciplinaire d’Errachidia, a fait remarquer que ce phénomène se manifeste également, à travers la distribution gratuite d’eau potable aux pèlerins.
« Malgré la différence des lieux, ce phénomène se manifeste sur le marché de Rissani où la présence du porteur d’eau Guerrab, surtout le jour du marché (mardi, jeudi et dimanche), est visible de tous », a-t-il dit, rappelant que l’eau est offerte à titre gracieux à tout le monde.
Le Guerrab, qui étanche la soif des passants et les gratifie de quelques bénédictions, a toujours été très sollicité et très respecté par les gens auprès desquels il a réussi à acquérir une bonne réputation, a ajouté M. Amrani Alaoui.
Pour ce qui est des raisons qui ont poussé les habitants de la région à suivre la même tradition, le chercheur Zayed Jerrou estime qu’il s’agit d’un comportement qui ravive les anciennes coutumes face à la chaleur et la soif, en particulier durant l’été.
Pour Abdelouahed Al-Harouni, spécialiste du patrimoine de Sijilmassa, la distribution gratuite d’eau est « une culture encore fortement présente dans la région ».
« Dans cette région du Maroc, il est honteux pour le porteur d’eau de percevoir un prix pour l’eau offerte aux passants », a-t-il fait constater, ajoutant que les porteurs d’eau de la région offrent également cette ressource vitale aux petits agriculteurs pour l’irrigation de leurs champs agricoles.
D’après ce spécialiste, la dimension culturelle de l’eau reste fortement présente dans les coutumes orales et écrites qui circulent encore dans la région, notamment au niveau des localités d’Ait Othman et Jorf dans la province d’Errachidia où « les habitants veillent à la propreté de l’eau potable et à l’usage rationnel de cette ressource, notamment en période de pénurie ».
« Les habitants prennent l’initiative, sans accord préalable, de rafraîchir l’eau et de la donner aux autres à chaque occasion. Il s’agit d’une expression palpable de l’esprit de solidarité qui règne entre eux », a-t-il fait observer, expliquant ce comportement humain et solidaire par la dimension religieuse fortement présente dans la région.
Ce phénomène, qui n’est pas le résultat de la modernité, est un comportement enraciné dans la population de la région de Tafilalet, comme le confirme le professeur Mohamed Amrani Alaoui, qui relève que ce phénomène est lié à l’histoire et au patrimoine de cette région désertique connue par ses oasis vertes, dont l’activité repose en grande partie sur cette substance vitale.
Force est de constater que la tradition d’offrir de l’eau fraîche aux passants illustre le lien historique, spatial et social des habitants de Tafilalet avec cette substance vitale, qui constitue, pour les habitants de la région, un moyen idoine pour offrir gracieusement un service social et se rapprocher de Dieu.
Avec MAP