Quand la pluie devient le miroir de nos failles

CE QUE JE PENSE

Depuis ce week-end, une région d’ordinaire immuable sous la chaleur aride du Sud-Est du Maroc se retrouve engloutie sous des pluies diluviennes. Ce qui devait être un soulagement tant espéré, après des mois de sécheresse implacable, s’est transformé en cauchemar.

Un cataclysme d’eau et de boue s’abat sur des territoires vulnérables, dévoilant des réalités trop longtemps ignorées et l’une des faiblesses structurelles les plus criantes du pays : l’état désastreux de nos infrastructures. Ces précipitations, portées comme la promesse de la vie, ont apporté avec elles la désolation. Ces averses, qui auraient dû être le salut de terres arides, sont devenues un fardeau insoutenable. Des torrents déchaînés ont balayé des maisons, effondré des routes, emporté des vies.

Le Maroc découvre, impuissant, les failles béantes de son système d’infrastructures, trop longtemps négligées. La province de Tata en est l’exemple le plus accablant. À Tamanart, des familles entières sont désormais sans nouvelles de leurs proches, engloutis par les flots, coupés du monde par des routes défoncées et des ponts détruits. Là où la nature reprend ses droits, la main humaine, impuissante, assiste à ce spectacle de désolation. Ce n’est pas seulement la pluie qui frappe, mais l’absence criante de préparation.

Ainsi, le pays, en pleine crise hydrique, semble à genoux face à ce paradoxe cruel. Alors que l’eau est attendue comme un miracle pour nos terres desséchées, elle devient une arme de destruction massive. Ces pluies, censées nourrir nos sols arides, ont révélé une vérité plus amère : notre incapacité à prévenir, à protéger, à construire un pays résilient face aux caprices d’un climat de plus en plus hostile. Des maisons construites près des lits de rivières se retrouvent balayées comme des châteaux de cartes. Les infrastructures sont érodées, fragiles et inadaptées. Ponts et routes, pourtant artères vitales de ces régions enclavées, s’effondrent sous la violence des crues.

Quand le Sud-Est du Maroc s’effondre sous le poids de ses failles

Force est de souligner que l’urgence climatique n’est plus un concept lointain ni une menace hypothétique. Elle est là, elle frappe durement et ne s’annonce plus : elle s’impose. Chaque nouvelle tempête, chaque nouvelle crue nous rappelle douloureusement que le Maroc n’est pas prêt à affronter ces défis. Nos infrastructures, déjà vieillissantes, se montrent incapables de faire face aux caprices d’une nature devenue imprévisible. Les barrages se remplissent enfin, mais à quel prix ? Des villages entiers sont dévastés, des familles pleurent leurs morts, et l’espoir s’effondre avec chaque pierre emportée par les torrents.

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Nous avons trop souvent vu ce scénario tragique se répéter, et chaque averse nous rappelle que notre pays ne possède pas les infrastructures nécessaires pour protéger ses citoyens. Et cette tragédie résonne avec une autre qui, étrangement, rappelle une date déjà marquée par la douleur : le 8 septembre de l’année dernière, lorsque le séisme d’Al Haouz a laissé des villages entiers en ruine. Un an après, plusieurs centaines de sinistrés de cette catastrophe sont toujours en quête d’un soutien tangible. Ceux qui ont tout perdu vivent encore sous des tentes précaires, exposés aux intempéries, isolés par des routes impraticables, subissant à nouveau le poids d’une nature menaçante. Lenteur des reconstructions, absence d’aides concrètes, ils paient le prix de l’inertie de responsables ayant d’autres priorités. Sous la pluie battante, chaque goutte d’eau, chaque rafale de vent, est un rappel cruel de leur vulnérabilité. Leur réalité est celle de l’oubli, de l’injustice, et de la souffrance prolongée.

Ces populations, à Al Haouz comme dans le Sud-Est, sont les victimes d’une double peine : d’un côté, la fureur des catastrophes naturelles ; de l’autre, la faillite de responsables incapables d’anticiper et de protéger. Ce drame n’est pas seulement une conséquence du climat, il est le résultat d’une gestion chaotique et d’un manque de vision. Comment accepter qu’en 2024, dans un Maroc aspirant à la modernité, se préparant à la Coupe du Monde 2030, ces scènes de désolation se répètent encore et encore ? Comment tolérer que ces familles, qui ont tout perdu, se retrouvent livrées à elles-mêmes sous des tentes de fortune, exposées aux intempéries, tandis que le pays continue de tergiverser sur les moyens de reconstruction ? Ces populations paient de leur vie l’inaction collective, face à une politique qui semble paralysée.

C’est dire que le constat est accablant. Si les pertes matérielles dans les récentes inondations qui ont frappé le Sud-Est du Maroc sont évidentes, ce sont les pertes humaines, invisibles à première vue, qui marquent le plus profondément. Dans l’ombre de ces scènes de désolation, des familles entières, prises au piège de l’isolement et de l’indifférence, tentent désespérément de survivre dans des conditions inhumaines. Les scènes déchirantes de bétail emporté par les eaux, devenues virales sur les réseaux sociaux, ne sont que le reflet visible d’une détresse plus profonde : celle d’un pays qui, une fois de plus, n’a pas su se préparer à l’inévitable.

Pourtant, ces pluies diluviennes auraient pu être perçues comme une bénédiction pour le Royaume. Nos barrages, aujourd’hui à sec, auraient pu profiter de ces précipitations pour atténuer la pression hydrique qui pèse lourdement sur nos ressources. Mais la réalité est bien plus complexe. Si ces infrastructures ne sont pas prêtes à encaisser une telle charge en si peu de temps, si la gestion des eaux n’est pas révisée de manière drastique, ces précipitations ne feront qu’aggraver la situation. Nos barrages et canaux sont-ils suffisamment robustes pour accueillir cet afflux soudain sans provoquer d’autres catastrophes ? Là est la question cruciale, et la réponse, jusqu’ici, reste en suspens.

L’Eau : Agir maintenant ou subir demain

D’ailleurs, le Conseil supérieur de l’Eau et du Climat a tiré la sonnette d’alarme à de nombreuses reprises, mais, à chaque tempête, nous constatons que peu de choses ont réellement changé. Nos stratégies de gestion des ressources hydriques doivent être repensées, et ces événements tragiques nous rappellent que l’urgence n’est plus à la simple observation. L’eau des tempêtes continue de s’écouler, inexploitable, faute de structures adéquates pour la retenir et l’utiliser à bon escient. Deux options se présentent ainsi : soit nous agissons avec urgence, soit nous continuons à naviguer à vue, au risque de répéter les mêmes erreurs à chaque nouvelle intempérie.

Et dire que le Royaume a toujours jonglé entre l’abondance et la rareté d’eau, mais les défis actuels imposent de revoir en profondeur nos politiques hydriques. Les infrastructures doivent être renforcées, et des mesures concrètes doivent être prises sans délai pour accompagner ceux qui, aujourd’hui, ont tout perdu. Il ne suffit plus de parler de durabilité, il faut l’appliquer de manière accélérée et tangible. Le Maroc ne peut plus se permettre d’attendre.

Et alors que l’hiver approche, avec son lot de pluies torrentielles et de vents violents, ce drame doit être un ultime signal d’alarme. Ce ne sont pas seulement des routes qui ont été coupées, mais des vies suspendues. Des familles entières vivent dans l’isolement, sans accès aux ressources les plus basiques. Cette tragédie est un rappel brutal que la gestion de nos infrastructures doit impérativement être repensée, tout comme notre relation avec nos ressources naturelles.

Le Maroc doit désormais prendre conscience de l’urgence d’agir sur deux fronts : d’abord, en rénovant de manière radicale nos infrastructures pour qu’elles soient capables de résister aux aléas climatiques, et ensuite, en apportant un soutien immédiat et efficace aux victimes des catastrophes naturelles. L’eau, cette ressource si précieuse, ne doit plus être perçue comme une menace. Elle doit redevenir source de vie, d’espoir et de prospérité pour tous.

Il est désormais urgent de rompre avec cette fatalité. Le Maroc ne peut plus se permettre de vivre dans cette insécurité permanente. Chaque catastrophe naturelle, chaque crue, chaque séisme doit être une leçon. Il est grand temps de repenser nos infrastructures, d’accélérer les reconstructions, d’anticiper les prochaines catastrophes, car elles viendront. Notre pays doit se doter des moyens pour protéger ses citoyens, pour que l’eau ne soit plus synonyme de destruction, mais redevienne source de vie.

L’heure n’est plus aux promesses vaines ni aux discours sans suite. Il faut agir, vite et bien. Le temps presse. Nous n’avons plus le luxe de l’inaction.

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