Quand les écrivains marocains sont maltraités au Salon du livre de Bruxelles
Par Bahaa Trabelsi
Le foyer, c’est un lieu d’insertion, de réinsertion, de protection. Un lieu qui donne des racines et des ailes. Le foyer, c’est aussi l’âtre de la cheminée. … Alors comment se taire quand la culture est incendiée ?
A l’heure de la reddition des comptes, de la course à la citoyenneté, de l’apprentissage de la démocratie et des libertés, de la valorisation des patrimoines et … de l’enfer pavé de bonnes intentions, il est temps de prendre la parole et d’exiger des comptes.
La culture est notre foyer, notre trésor, notre ambassadeur dans le monde, nos lettres de noblesse. Traitons-la avec les égards qui lui sont dus. Certains, Dieu merci, le font. Et je voudrais notamment rendre hommage à la société civile qui multiplie les initiatives, à certaines institutions telles que le CNDH ou le CCME avec à leur tête Driss El Yazami qui a investi le SIEL sur plusieurs éditions et valorisé aussi bien la recherche que les auteurs de la diaspora, aux régions citoyennes telles que la région de Casablanca Settat avec à sa tête Mustapha Bakkoury qui, l’année passée a créé des prix littéraires décernés à quatre auteurs, ou à la région de l’Oriental avec à sa tête Mohamed M’Barki, qui aujourd’hui peut se targuer d’avoir été à l’initiative du Salon maghrébin du livre, intitulé « Lettres du Maghreb ». Et d’autres encore. Je tiens à saluer le passage éclair de Mohamed Laarej, notre précédent ministre de la culture et de la communication qui a eu l’intelligence d’être à l’écoute et a marqué son mandat par plusieurs initiatives remarquables. Voilà pour le positif.
Je suis une romancière et je vous raconte des histoires. Je vais donc vous en raconter une qui parlera d’elle-même, une histoire vraie malheureusement.
Nous étions trente auteurs marocains invités à la Foire du livre de Bruxelles. Tous fiers de représenter notre pays, d’en parler avec passion, avec nos livres, nos histoires et notre cœur. Et à partir de maintenant je ne parlerai qu’en mon nom. Libres aux autres de donner leur version.
Je suis arrivée à Bruxelles, motivée et fière. Une arrivée solitaire qui allait donner le ton de la suite des événements. A l’hôtel qui nous avait été assigné, pas une trace d’un membre du ministère de la culture, pourtant désigné notre hôte. J’ai appris, quelques minutes plus tard, que l’équipe du ministère était logée dans un autre hôtel, Le Plazza, cinq étoiles. Tous autant qu’ils étaient. Pas l’un d’entre eux n’était logé avec nous au Thon Hotel, quatre étoiles. Personne pour nous recevoir, nous orienter ou nous encadrer. L’un d’entre eux a même eu le culot de dire plus tard : « Que voulez-vous de plus ? Nous vous faisons de la publicité ! ». Intriguée, je me suis rendue à la réception de l’hôtel pour demander si l’hôtel était complet. Non, le coronavirus est passé par là, des chambres, il y en avait. Pourquoi cette absence ? Cette différenciation de traitement ? Fallait-il comprendre que dans la « croisière s’amuse » les auteurs étaient là pour assurer l’animation et les représentants du ministère en voyage touristique ?
Arrivée mercredi soir, départ samedi. Quatre tables rondes au programme. Et pas un sou. Nous sommes en plein dans le sujet de la reddition des comptes. Les responsables nous ont informés que nous devrions payer nos repas de notre poche, avec notre dotation voyage de tourisme, et que nous serons remboursés à hauteur de trois mille dirhams sur notre compte en banque marocain.
« Une indemnité de l’ordre de 3000dh sera versée dans vos comptes bancaires après le déroulement de votre activité », était la seule information que nous ayons eue par mail.
Est-ce normal ? Le ministère en ce début d’année est-il si en difficulté pour ne pas prévoir – comme à l’accoutumée – des dotations / per diem en devises plutôt que de nous imposer de les soustraire de notre dotation annuelle touristique ? Pour moi la question reste posée. D’autant plus posée que visiblement lesdits responsables étaient probablement défrayés en matière de restauration.
Venons-en aux faits culturels
Le Maroc était à l’honneur. Et nos fonctionnaires se targuaient de nous faire de la publicité. La publicité c’est un plan de communication, la présence de la presse et non pas juste des livres entassés sur une table dans le désordre, sans personne pour les mettre en valeur ou informer les lecteurs selon leur prédilection pour tel ou tel domaine, tel ou tel genre de littérature. Mais pour cela évidemment, il aurait fallu des compétences. Et la culture n’en finit pas d’être le parent pauvre de nos politiques alors qu’elle est une formidable opportunité pour notre pays de rayonner de toute sa richesse immatérielle auprès du concert des nations.
A la séance d’ouverture, nous avons dû, je n’étais pas seule pour cela, après nous être fait refusés à l’entrée parce que sans invitation ni badge, – « Organisation » je crie ton nom – faire appel à nos amis belges pour nous faire entrer. Un dîner était prévu qui n’a pas eu lieu au final. Je peux dire que nous avons galéré. Les téléphones restaient muets quand on appelait des responsables désignés comme tels.
Je ne suis pas restée pour la clôture, mais de source sûre et pour ceux qui sont restés pour le week-end, les auteurs marocains ont constaté que des dédicaces étaient organisées partout dans la foire du livre sauf sur le stand Maroc.
Monsieur le ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, Monsieur le porte-parole du gouvernement, vous nous avez manqué ! Nous aurions aimé fêter l’événement avec vous sur le rythme divertissant de la Dakka Marrakchia qui avait été programmée à cet effet. Je vous rappelle quand même que cet événement était une occasion unique pour valoriser notre patrimoine culturel riche et diversifié, nos racines et nos ailes.
Peut-être aussi aurait-il été judicieux de présenter cette diversité à travers un panel plus élaboré. Le mois de mars étant dédié aux droits des femmes, de rendre hommage à notre regrettée Fatima Mernissi dont la disparition semble être méconnue par certains prétendus ténors de la culture.
Nous, vos auteurs, aurions été fiers d’être traités avec respect. Fiers de vous et fiers de nous. A la veille des élections, Mesdames et Messieurs hommes et femmes politiques, prenez en considération cette grande dame qu’est la culture. Proposez-nous une vision et des stratégies. Des compétences aussi, car même si notre foyer est une chaumière, il y a des mères qui assurent.
Vous dites tous que la culture est l’enfant pauvre du gouvernement, certes ! Mais elle symbolise à elle seule notre créativité, notre sens de l’innovation et la garantie d’un futur éclairé pour les nouvelles générations.
Mesdames et Messieurs les Dirigeants, le souci du budget n’enlève en rien l’efficacité d’une stratégie pourvue de partenariats, de valorisation, de coordination et de synergie de compétences.
N’oubliez pas que la culture est notre foyer, notre refuge et l’élan de nos âmes. Alors attisons le feu sacré ! Aimé Césaire a dit : » Je définis la culture ainsi : c’est tout ce que les hommes ont imaginé pour façonner le monde, pour s’accommoder du monde et pour le rendre digne. «