Quand Monceyf Fadili nous convie au voyage d’exploration anthropologique de Rabat
Début décembre est paru sous la signature de Monceyf Fadili un livre de près de 200 pages intitulé « Rabat, un printemps confiné ». Une contribution qui tombe à point nommé, collant comme son titre l’indique, à l’actualité mais en même temps un voyage de découverte ou redécouverte dans les profondeurs de la ville. Une plume élégante qui respire la nostalgie mais inspire également la fraîcheur et la tendresse pour cette cité plurimillénaire. Il y a en effet plus que le voyage d’exploration auquel l’auteur nous convie. Il y a l’appel du destin par des sites qu’en tant que géographe urbain il nous suggère, il y a la mémoire et l’histoire, et surtout cette magie incandescente des lieux et des espaces.
Monceyf Fadili a répondu à nos questions sur le projet de ce livre qui est un cadeau de fin d’année – ou le début de la nouvelle – offert aux amoureux de Rabat. Entretien
-Vous venez de publier « Rabat, un printemps confiné ». Comment est née l’idée de faire ce livre et pourquoi le choix du partenariat avec Cités Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLU Afrique), Editions ?
L’idée première est partie d’un message d’un ami qui prenait des nouvelles du Maroc, comme peut le faire un ami, dans le contexte d’une crise sanitaire qui prenait de court le monde entier. Echanger, s’enquérir de l’autre, alors quel notre pays venait de fermer ses frontières, au nom du principe de précaution, m’a amené à une réponse de l’amitié. Ensuite, ont progressivement cheminé l’inspiration et le projet d’écriture, que le confinement a favorisés.
Concernant le choix de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique, il s’agit d’une institution panafricaine, porte-voix des villes en Afrique, et dont le siège est à Rabat. Le symbole est d’autant plus fort que la ville de Rabat été désignée, lors du Sommet Africités organisé par CGLU Afrique à Marrakech (novembre 2018), Capitale africaine de la culture. Avec cette nomination, Rabat inaugurait le cycle de distinction attribué aux capitales du continent africain.
Il est également important de rappeler le discours marquant de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Dakhla en 2018, où il était fait mention du développement des relations des villes marocaines avec leurs homologues d’Afrique, notamment à travers CGLU Afrique. J’ajouterais qu’une longue collaboration me lie à Jean-Pierre Elong Mbassi, Secrétaire général de CGLU Afrique, à travers un engagement commun pour des villes équitables en Afrique.
–Au-delà de la remarquable description quartier par quartier, on a eu droit à ce que vous appelez une « itinérance éducative ». Elle connecte le lecteur à la mémoire vivante des espaces, des sites et des lieux emblématiques. Quelles archives avez-vous consulté ?
L’« itinérance éducative » est l’expression de M. Mbassi, dans la préface de mon livre. Il m’a fait l’amitié d’introduire l’ouvrage, avec sa double lecture de la ville comme « Rbati d’adoption » et fin expert de l’urbain. Au fil des pages, j’ai eu le soin constant d’entraîner le lecteur dans une déambulation urbaine porteuse de vécu au quotidien, de repères et de mémoire, d’espaces et de partages de vies, de sites comme marqueurs de territoires, et de lieux emblématiques – passés, actuels et à venir -, qui font l’âme d’une ville, de ses femmes et de ses hommes.
L’histoire, les récits de voyages, des témoignages – écrits et oraux – constituent mes sources. Ma pratique et ma passion de la ville, mon parcours professionnel au cours des trente années passées, les ont complétées. Au-delà, c’est un fort sentiment pour une capitale et un vécu, que je souhaitais partager. Quant aux éditions, ce sont celles de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique, ce qui ne peut qu’honorer.
–Rabat a été déclarée « Patrimoine mondial de l’Humanité ». Comment peut-on mieux expliquer aux lecteurs cette distinction ?
Le Royaume du Maroc compte neuf sites inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESO, dont six médinas, une liste inaugurée par Fès en 1981, et que la ville de Rabat vient enrichir depuis 2012. Fait nouveau, l’inscription de Rabat ne concerne pas que la médina. La capitale a le privilège de voir son périmètre de classement international élargi à plusieurs sites, pour une superficie de 349hectares : la ville nouvelle datant du protectorat – le quartier Habous de Diour Jamaâ, l’avenue de la Victoire et le jardin d’Essais – la médina – la Kasbah des Oudayas – le site archéologique du Chellah – les remparts et les portes almohades – la mosquée de Hassan et le mausolée Mohammed V.
Il s’agit là de la reconnaissance indéniable d’un patrimoine tout aussi riche que multiple, un large éventail d’édifices, de monuments, de tissus anciens et de jardins, qui retracent le long cheminement de la capitale du Royaume à travers les siècles, une inscription selon un continuum qui traverse les siècles et les dynasties, de l’antiquité à nos jours.
La capitale, qui renvoie à un aménagement spatial aussi homogène que diversifié, porte aujourd’hui le sceau d’une reconnaissance mondiale, que la collectivité a le devoir de préserver et de gérer selon des critères et des standards internationaux. Ainsi, on ne saurait trop insister sur le fait que les engagements pris doivent êtres concertés et partagés, dans le cadre d’un Plan de gestion cohérent, pour donner à la Capitale le statut et le rang qui lui reviennent, dans le cadre du concert des capitales.
-Vous évoquez le destin scellé de Rabat et de Salé, qu’est-ce à-dire ?
Le destin des villes des deux rives du Bouregreg a toujours été scellé, ne serait-ce qu’en termes de proximité, d’histoire commune, de solidarités et de destins partagés. D’ailleurs, on se rappellera que plus loin dans l’Histoire, Rabat et Salé furent unies dans Sala, dénomination phénicienne qui nous a légué le Chellah. capitale, qui embrasse de fait les deux rives, présente sans doute un cas unique d’estuaire bordé par deux tissus anciens séculaires, liés par des liens que je qualifierais de symbiose, et ce, depuis les Almohades.
-Dans ce temps confiné et arrêté, la ville de Rabat vous a-t-elle semblé autre, différente ? Quel est le regard de l’architecte et de l’urbaniste ?
La ville de Rabat m’a semblé autre, du fait du confinement et du temps arrêté, de longues semaines suspendue aux règles de la prévention, que la capitale et toutes les villes du Maroc ont su observer. De ce fait, la ville s’est trouvée privée, dépossédée de son animation et de sa dynamique quotidienne, de tout ce qui est constitutif de la vie urbaine, par ses femmes, ses hommes, ses jeunes et ses enfants. Ce sont ces longs moments de vie à l’arrêt, d’espace et du temps figés, qui m’ont fait voir autrement la ville que j’aime, pour un regard et une description presque décalés.
Mon parcours d’architecte et de géographe de l’urbain m’aura certainement aidé, dans cette déambulation à travers la ville, avec l’ambition de la partager avec celles et ceux qui l’apprécient. Mon regard s’est voulu descriptif et croisé. Descriptif par la situation que nous avons tous vécue, celle du confinement et de l’arrêt de nos activités et déplacements dans la ville. Croisé, par les référentiels qui ont accompagné ma promenade, dans une association narrative entre ville confinée et ville déconfinée.
Un mot s’il vous plaît sur Meryem Assyad ? Décédée de la Covid-19 ?
Le docteur Meryem Assyad, médecin spécialiste à l’hôpital Mohammed V de Casablanca, est décédée des suites du corona virus le 4 avril 2020. Premier praticien médical à tomber face à la vague de la pandémie qui s’est abattue sur le monde, elle représente le symbole du combat inlassable mais aussi de l’engagement sans faille du corps médical et paramédical face à la crise sanitaire qui a envahi nos villes. Un travail fait de courage et d’abnégation, à l’instar des autres corps de l’Etat engagés en première ligne pour protéger notre pays. Les médecins décédés de la Covid-19 dans l’exercice de leurs fonctions se comptent aujourd’hui par dizaines, preuve irréfutable d’un combat qui reste inachevé.
C’est une parabole, à plus d’un siècle d’intervalle, qui m’a valu le rapprochement entre Meryem Assyad et Marie Feuillet, infirmière décédée en 1912 des suites de la typhoïde, et dont l’exploit lui a valu de donner son nom à l’hôpital miliaire créé par Lyautey. Le symbole des deux Marie et leur ascension vers la grâce de soi, nous donnent la mesure du courage des femmes face à l’adversité. Il est à espérer que le nom de Meryem Assyad puisse dignement survivre à son départ.
Entretien réalisé par Hassan Alaoui