Quand nos ministres rivalisent dans la provocation du peuple

 

Nouvelle ère pour nous, les Marocains, puisque désormais nous pouvons reconnaître un grand exploit au chef du gouvernement qui a su, grâce à une certaine «spontanéité» malicieusement travaillée, nous permettre d’assister en public, en temps réel et sans fournir le moindre effort, aux sorties inopinées et puériles de nos chers ministres. Surtout celles inédites et improvisées du chef du gouvernement lui-même. Des scènes – c’est le moins que l’on puisse dire – caricaturales et théâtrales sorties directement d’une pièce de Molière, où s’entremêle le comique des gestes à celui des mots pour renforcer davantage l’effet de la situation qui, loin de provoquer le rire des spectateurs, les met, à chaque fois, en rage. Contre notre gré, et quand bien même nous ne serions pas des fervents de la politique, elle s’offre, voire s’impose, à nous via les réseaux sociaux. Comble des miracles, nous commençons tous à nous intéresser à nos femmes et hommes politiques se retrouvant pour la majorité, du jour au lendemain, au-devant d’une scène dont ils ignorent les codes et les règles et, par effet de causalité, à la politique du pays.

La dégradation du discours politique est notre lot depuis quelques années. Jamais la médiocrité n’a autant sévi et n’a été aussi présente sur le champ politique au fil des gouvernements précédents.

Au début de son mandat, le chef de gouvernement usant de son naturel dans sa manière de présenter les choses devant un public qui avait perdu toute confiance en des ministres et des dirigeants l’ayant déçu plus d’une fois élargissait de plus en plus ses sympathisants par son populisme. Or le temps finit toujours par exaspérer les plus patients. Les blagues de Abdelilah Benkirane ne font plus rire un peuple assoiffé d’une vraie gouvernance et de vraies résolutions. À près d’une année de la fin du mandat, on a l’impression que c’est le gouvernement qui aura collectionné le plus de controverses et de polémiques. On dirait que certains de nos ministres, aussi imprévisibles que la foudre, se sont donné le mot pour provoquer la révolte des Marocains qui sont à bout de leur patience quand cela les touche dans leur dignité, leur vie quotidienne et plus précisément leurs bourses. Et au lieu de relever des défis économiques ou sociétaux, au lieu de faire face à de sérieux problèmes qui nous guettent, on se surprend à surveiller nos ministres comme une casserole de lait sur le feu et à nous noyer dans des débats stériles et fastidieux. N’était-ce pas là le gouvernement qui a promis monts et merveilles en scandant des slogans prônant la fin des complaisances et du clientélisme ?

 La phrase de trop

Lors d’une émission sur la première chaîne de télévision nationale, mardi 15 décembre, Charafat Afilal, ministre déléguée chargée de l’Eau, a fait déborder le vase avec la goutte de trop, mais aussi la patience des internautes et des Marocains par sa déclaration provocatrice. En qualifiant de «deux sous» la retraite dont bénéficient les parlementaires, elle ne savait pas qu’elle allait soulever un débat qui transpercerait les frontières et faire parler d’elle dans des chaînes internationales. D’autres pays arabes s’en sont même inspirés pour remettre sur le tapis la question des pensions des ministres et parlementaires! Un coup de tonnerre n’aurait pas produit plus d’effet ! Depuis, entre complaisants et opposants, la polémique va bon train et Madame la ministre a mis tout un système sur le grill, elle qui n’a pas omis de qualifier ce débat de «populiste et bas». D’emblée, ce n’est certainement pas la phrase en elle-même qui a secoué la fourmilière, mais elle a ravivé un débat qui avait déjà eu lieu en 2013.

Ceci a fait naître une avalanche d’attaques de la part des citoyens et des internautes qui sont allés jusqu’à mettre en ligne une pétition appelant à l’annulation de la retraite «non méritée» dont bénéficient les ministres et parlementaires sous peine de voir les prochaines élections législatives massivement boycottées. Madame la ministre ne savait pas qu’en remuant la ruche, l’essaim d’abeilles irritées allait s’abattre sur l’armada de ses consœurs et confrères, autrefois immunisés, et ce, depuis 1992 – loi qui n’a jamais été publiée au Bulletin officiel. Les Marocains, animés par une conviction ardente, ne se laissent plus faire et exhortent un nombre non négligeable de parlementaires et de ministres à rejoindre ce mouvement.

Une retraite soutirée au peuple

Faisons un petit calcul simple, voire simpliste : avec une moyenne d’âge de quarante ans, un parlementaire touchera sa retraite à quarante-cinq ans après une cotisation mensuelle de 2900 DH, autrement dit 174 000 DH avec son équivalent versé par l’institution parlementaire à la Caisse de retraite. Une fois qu’il aura quitté son fauteuil confortable, il percevra une retraite aisée de 5000 DH (à raison de 1000 DH pour chaque année de mission). Ce qui signifie que les Marocains auront à payer pour lui pendant quinze ans, c’est-à-dire 522000 DH. Et puisque, aussi hallucinant que cela puisse paraître, un jeune de 18 ans peut s’improviser parlementaire aussi cela signifie que les Marocains auront à payer pour lui pendant 42 ans l’équivaut de 1 461 600 DH !!! Il pourra en parallèle exercer un métier et bénéficier d’une deuxième retraite. N’est-ce pas là le summum de l’aberration dans un pays que les dettes engloutissent avec un montant de 554 milliards de dirhams au titre du premier trimestre de l’année 2015 ?

Cependant, si on se réfère aux propos de Mme Afilal, c’est effectivement «deux sous» par rapport au taux de dettes extérieures qui va crescendo. Dans un pays avec un gouvernement qui obère les bourses maigres et la Caisse de compensation, dans un pays où la réforme de la Caisse de retraite repose sur le citoyen moyen et pauvre qui doivent concéder à travailler cinq ans de plus avec un taux de cotisation plus élevé, autrement dit, travailler plus pour toucher moins, dans un pays où la fonction publique est amenée à disparaître et pour cause, cela endette plus le pays selon le chef du gouvernement qui ne cherche qu’à faire le bon élève des institutions internationales, dans un pays où les classes moyennes et pauvres risquent de ne plus avoir accès ni à l’éducation ni aux soins médicaux au cas où ces deux secteurs seraient privatisés, ce sont les grosses bourses qui doivent serrer la ceinture si on aspire vraiment à la réforme. Force est de rappeler que la vraie question à poser est combien de ministres et de parlementaires perçoivent cette retraite au fil des mandats et des gouvernements! 395 parlementaires, 267 conseillers, 39 ministres (dont trois seulement ne perçoivent pas de salaire). Sans parler bien entendu de leurs prédécesseurs ni de leurs successeurs.

Qu’adviendrait-il du Maroc si médecins, professeurs, fonctionnaires exigeaient de cotiser à la Caisse marocaine de retraite ou au Régime collectif des allocations de retraite pendant cinq ans avec un montant de 2900 dirhams pour enfin bénéficier d’une belle retraite de 5000 Dhs le restant de leur vie exonérée d’impôts par-dessus le marché ? N’est-ce pas là un champ de honte pour un Maroc qui se veut démocratique ? En somme, les parlementaires et certains ministres jouant aux bons apôtres se servent en premier et servent leurs intérêts en faisant abstraction d’un peuple qui les a élus avec la chimérique illusion qu’ils pourraient le représenter au Parlement.

Une retraite, ça se mérite

Une retraite, ça se prépare puisqu’en principe elle implique le facteur d’âge. Or, ironie du sort, nos parlementaires et nos ministres, aujourd’hui encore plus qu’avant, défendent leurs intérêts à commencer par la retraite dont ils cherchent même à faire un legs «légitime» pour leur progéniture après une longue vie confortable en vue de leur épargner les vents mauvais du destin. Le citoyen marocain lambda ne doit pas leur en vouloir parce que comme l’a bien souligné Charafat Afilal, leurs responsabilités sont «énormes» et être ministre ou parlementaire pendant cinq ans c’est l’équivalent de quinze ans de travail. Que les médecins, les enseignants, les militaires, les fonctionnaires de l’Etat s’estiment donc heureux puisqu’ils pourront avoir le privilège d’avoir une retraite misérable à 63 ans si toutefois ils acceptent de faire des concessions et si on a toujours de quoi les payer.

Ceux qui disent que le Maroc est le pays des paradoxes ne pensent pas si bien dire !Comble des combles : un ministre peut toucher sa pension même en cas de démission ou de licenciement, quant au parlementaire, lui, il doit tout au plus avoir passé deux ans au sein du Parlement.

Etre ministre ou parlementaire n’est pas un métier, mais une mission – qu’on a choisie et qui ne nous a pas été imposée – dont on s’acquitte pendant cinq ans pour servir son pays et non le déplumer surtout que durant le mandat on est largement gâté par tous les avantages offerts et les offrandes convoitées.

Il est compréhensible donc qu’entre ministres et parlementaires en fureur et craintifs pour un bien devenu «un dû» et des citoyens révoltés, la vindicte l’emporte.

Des ministres au cœur de la tourmente

Il est fort regrettable de constater que le dialogue a déserté la scène politique depuis quelque temps cédant la place à la pitrerie grotesque et piètre. Certains de nos chers ministres ont dû forcer la dose en optant pour ce qui s’est avéré leur fort, c’est le bras de fer et la manipulation cousue de fil blanc! Bras de fer entre le chef du gouvernement et les syndicats. Entre ministres et citoyens, le torchon brûle et c’est à qui mieux mieux…

C’est donc le mandat où on aura assisté au plus de marches, de manifestations, de sit-in, de grèves, de pétitions, etc. pour dénoncer et crier son trop-plein et sa désapprobation face à des décisions unilatérales (le projet de réforme des Caisses de retraite entre autres).

Après la sortie choquante du ministre de l’Emploi et des affaires sociales, Abdeslam Seddiki et sa réflexion maladroite et humiliante pour tous les Marocains qu’il a assimilés à «un troupeau de moutons», les dérives se sont succédé et d’autres ministres rivalisent dans les scandales médiatiques. Un ministre de l’Éducation nationale qui déclare ne pas maîtriser la langue maternelle identitaire et qui ne se gêne pas à jouer avec son smartphone alors qu’une parlementaire s’adresse à lui! Une autre ministre déléguée chargée de l’Environnement qui confie que parler arabe lui donne un pic de température. Nabil Benabdallah qui pour défendre Charafat Afilal, membre du bureau politique du PPS, en rajoute en remuant le couteau dans la plaie et en maintenant que la retraite de 500 parlementaires ne représente qu’une misère à comparer aux problèmes de 35 millions de Marocains. Son directeur de cabinet n’omet pas de mettre son grain de sel en qualifiant les internautes de «chiens ignorants, partisans du populisme». Un chef de gouvernement qui tance ses ministres en public comme des élèves ayant manqué à leur devoir et la liste des impairs de ceux qui ne perdent pas une seconde pour tout faire aller de travers est encore longue…

La question des retraites des ministres et des élus au Parlement n’est donc qu’une réaction à la provocation que le peuple subit. Elle ne peut plus être «esquivée», surtout qu’elle est inacceptable en période d’austérité et au moment où l’on demande aux classes pauvres et moyennes de réparer le tort des dirigeants.

Certains ministres et parlementaires, peut-être conscients que si on venait à perdre la face, il ne serait plus nécessaire de chercher à sauver le reste, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils renonceraient volontiers à toucher leur retraite. Tout à leur honneur ! Que ce gouvernement qui se dit «justicier» prenne alors l’initiative et combatte une aberration, source d’aigreur, voire de rébellion, au sein d’un peuple attaché aux valeurs de justice sociale, d’égalité de chances, de mérite, de démocratie et de liberté.

Depuis quand la politique est-elle devenue le moyen le plus facile et la courte échelle pour s’enrichir ?

 

 

 

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