Que peut espérer l’Afrique des États-Unis sous l’ère Trump ?

Les élections américaines suscitent l’attention mondiale, captivant les observateurs de tous horizons qui suivent de près chaque rebondissement de la course présidentielle. Au-delà des débats internes portant sur l’économie ou l’immigration, ces élections ont abordé aussi des questions géopolitiques majeures à l’échelle mondiale, telles que les relations des USA avec la Chine, les tensions au Moyen-Orient et le conflit russo-ukrainien. A cet égard, que ce soit sous une administration républicaine ou démocrate, les politiques américaines ont une influence considérable sur la dynamique de la politique internationale, impactant des stratégies partout dans le monde comme en Europe, en Asie, et en Afrique. Ainsi, en tant que principale superpuissance mondiale, les États-Unis influencent de manière unique, non seulement par leur force militaire, mais aussi en modelant les normes, valeurs et alliances internationales, offrant un modèle à suivre. Cependant, sur le continent africain, les administrations américaines ont fréquemment adopté une approche inconstante envers le développement, alternant entre des politiques d’aide humanitaire, des initiatives sécuritaires et des projets économiques. Bien que des programmes tels que l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) ou Power Africa aient permis certaines avancées, ces efforts sont souvent jugés fragmentés et davantage orientés vers les intérêts stratégiques des États-Unis que vers l’établissement d’une véritable coopération équilibrée. De plus, la compétition croissante avec des acteurs comme la Chine a révélé une approche parfois réactive et utilitariste, limitant l’impact durable des politiques américaines en Afrique. De fait, dans un monde de plus en plus interdépendant, les États-Unis ne peuvent plus ignorer leur responsabilité de redéfinir leurs politiques en Afrique, un continent qui s’impose désormais comme un acteur central de l’équilibre géostratégique Mondial.

Il est désormais évident que l’Afrique n’est plus ce « continent géopolitiquement pauvre » qu’on percevait autrefois. Elle prend de l’importance au sein de l’ordre mondial, attirant les grandes puissances et se positionnant comme un acteur clé dans l’équilibre stratégique des affaires mondiales. Pour les États-Unis, cette dynamique évolutive exige une approche nouvelle envers l’Afrique – une approche qui reconnaît l’importance stratégique du continent et vise à nouer des partenariats innovants, bénéfiques pour les deux parties.

Pour saisir pleinement l’intensité de la compétition entre les grandes puissances mondiales en Afrique, il est crucial d’analyser leurs stratégies respectives. Pour la Chine, l’Afrique représente une priorité stratégique incontournable. Grâce à l’Initiative de la Ceinture et de la Route (BRI), Pékin a consolidé une présence significative sur le continent en déployant d’ambitieux projets d’infrastructure, conçus pour intégrer les ressources africaines à sa vision géoéconomique globale. Des projets majeurs, tels que le chemin de fer à écartement standard Mombasa-Nairobi au Kenya et le chemin de fer Djibouti-Éthiopie, sont devenus des corridors commerciaux vitaux, garantissant l’accès aux ressources précieuses de l’Afrique, y compris les minéraux et les dépôts énergétiques. Bien que ces investissements favorisent un développement rapide, ils suscitent également des inquiétudes quant à l’escalade de la dette et à la dépendance accrue des nations africaines. En 2022, la dette totale de l’Afrique envers la Chine était estimée à environ 160 milliards de dollars, reflétant une augmentation notable par rapport à 2016. Cette dette a été principalement contractée pour financer des projets d’infrastructures et d’industrialisation, dans le cadre de partenariats bilatéraux et de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Cette situation reflète à la fois les opportunités et les risques liés à l’influence croissante de la Chine sur le continent. D’ailleurs, l’ampleur des investissements chinois et la présence de travailleurs chinois en Afrique poussent Pékin à renforcer ses engagements en matière de sécurité, notamment via des missions de maintien de la paix des Nations Unies, une nouveauté pour une diplomatie autrefois non-interventionniste.

Simultanément, la Russie continue d’élargir ses alliances en Afrique, dépassant les secteurs traditionnels de la vente d’armes et de l’énergie pour investir dans des partenariats technologiques et agricoles. Sa récente coopération spatiale avec l’Union africaine en est une illustration, avec des initiatives visant à fournir des technologies satellitaires pour la surveillance des ressources naturelles, la gestion des catastrophes et l’amélioration des télécommunications. En proposant une alternative aux partenariats technologiques occidentaux, la Russie répond aux aspirations africaines en matière de progrès technologique et de renforcement de leur autonomie.

Cette stratégie repositionne la Russie comme un acteur clé dans les secteurs technologique et sécuritaire en Afrique, tout en soutenant les ambitions du continent à réduire sa dépendance envers l’influence occidentale. Par ailleurs, l’annulation par la Russie de 23 milliards de dollars de dette africaine, représentant près de 90 % des engagements financiers des pays africains envers elle, renforce son image de partenaire privilégié et fiable dans la région.

Ainsi, cette dynamique s’inscrit dans une tendance plus large où la Chine et la Russie consolident leurs rôles dans la croissance africaine, soulignant ainsi l’importance géostratégique du continent. Face à cette réalité, les États-Unis sont incités à repenser leur engagement en Afrique pour ne pas perdre du terrain dans ce nouvel échiquier mondial.

Il convient de souligner que l’Afrique, grâce à l’abondance de ses ressources naturelles et à son potentiel énergétique en pleine expansion, occupe une place de plus en plus stratégique sur les plans économique et géopolitique. Le continent possède des minéraux stratégiques, tels que le cobalt, le lithium et le platine, cruciaux pour les industries qui favorisent la transition énergétique et les avancées technologiques. A cet égard, la République Démocratique du Congo, par exemple, détient environ 70 % des réserves mondiales de cobalt, essentiel pour les batteries rechargeables. De plus, le Zimbabwe détient l’une des plus grandes réserves mondiales de lithium, tandis que l’Afrique du Sud se distingue comme un acteur clé dans la production de platine et de palladium, des métaux essentiels pour le développement des technologies visant à réduire les émissions de carbone et à soutenir la transition énergétique mondiale. Ces ressources sont capables de permettre à l’Afrique de répondre à la demande mondiale croissante pour une économie plus verte.

De surcroit, l’Afrique dispose également de vastes ressources énergétiques. Les dépôts de gaz naturel en Afrique de l’Est, notamment au Mozambique et en Tanzanie, ainsi que les réserves de pétrole au Nigeria et en Angola, peuvent contribuer à répondre aux besoins énergétiques mondiaux. En outre, le potentiel considérable de l’Afrique dans le domaine des énergies renouvelables, illustré par l’énergie solaire abondante du sud du Maroc et du bassin du Congo, place le continent en position stratégique pour devenir un leader mondial de la transition énergétique et de la production d’énergie durable à grande échelle. Développer ces ressources de manière responsable pourrait renforcer l’indépendance énergétique de l’Afrique, en faisant un partenaire idéal pour les nations cherchant à diversifier leurs sources d’énergie propre.

Cependant, tirer parti de ces potentialités exige des investissements dans les infrastructures pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement et renforcer les capacités locales. L’initiative Prosper Africa, lancée sous la première administration Trump, pourrait être revitalisée avec un accent sur le développement durable des matériaux critiques et des énergies renouvelables. De même, la US International Development Finance Corporation (DFC), créée en 2019 pour soutenir des investissements dans des projets internationaux visant le développement économique, notamment dans les pays à revenu faible et intermédiaire, pourrait jouer un rôle clé en finançant des projets d’infrastructures stratégiques et énergétiques, favorisant la croissance durable et l’intégration régionale africaine.

Il est certain que le continent ne manque pas de stratégies ; les récentes initiatives du Royaume du Maroc offrent un modèle pertinent pour renforcer la cohésion économique et politique dans la région afro-atlantique. Guidée par une vision stratégique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI visant à renforcer la connectivité régionale, l’approche du Maroc s’aligne sur les objectifs plus larges des cadres de sécurité globale de l’Atlantique Nord et de l’Indo-Pacifique, soulignant le rôle de l’Afrique dans la stabilité mondiale. Un exemple clé de cette stratégie est le projet de gazoduc Nigeria-Maroc, un projet géopolitique déterminant pour l’approvisionnement en gaz de l’Europe de l’Ouest. Ce projet, qui vise à relier les nations de l’Afrique de l’Ouest et à renforcer l’intégration énergétique le long du corridor atlantique, ne se limite pas à promouvoir un développement économique durable. Il favorise également la coopération régionale, positionnant le littoral atlantique africain comme un centre stratégique pour l’énergie, le commerce, l’investissement et la sécurité maritime.

Dans cette stratégie, le Maroc se positionne également comme un leader de la transition énergétique africaine, en investissant dans la production d’hydrogène vert et d’ammoniac – des ressources essentielles pour réduire la dépendance énergétique et promouvoir une économie bas-carbone. Ces efforts s’inscrivent dans le cadre de la politique « Triple A » (Adaptation de l’Agriculture Africaine) du Maroc, qui encourage la sécurité alimentaire à travers des pratiques agricoles résilientes et soutient les nations africaines dans leur adaptation aux défis climatiques.

En intégrant l’énergie, la souveraineté alimentaire et la coopération économique, le Maroc aspire à transformer le corridor afro-atlantique en moteur de croissance africaine. Cette vision, qui pourrait s’aligner sur les doctrines géoéconomiques de l’Atlantique Nord et de l’Indo-Pacifique, est capable de fournir un cadre de collaboration répondant aux besoins stratégiques de l’ensemble des quadrants stratégiques globaux (Espace Afro-atlantique, Indo-Pacifique, Atlantique, Amérique du Nord et du Sud). L’objectif ultime est de créer un corridor atlantique africain résilient et intégré, soutenant les économies locales tout en les reliant aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Ainsi, le leadership du Maroc le positionne comme un acteur central dans la construction d’une alliance atlantique élargie où les intérêts économiques, énergétiques et sécuritaires de l’Afrique convergent pour un bénéfice mutuel.

Dans un contexte marqué par une intensification de la compétition entre grandes puissances en Afrique, le partenariat stratégique entre la France et le Maroc se distingue par son efficacité et sa pertinence. Reposant sur des liens historiques solides, ce partenariat s’articule autour d’initiatives concrètes dans des domaines essentiels tels que la sécurité énergétique, les infrastructures et la sécurité alimentaire. Ce modèle de coopération équilibrée offre une alternative concrète et inspirante pour des puissances comme les États-Unis, en démontrant qu’un développement inclusif, fondé sur des partenariats équitables et des projets structurants, peut répondre aux aspirations africaines tout en s’intégrant dans une dynamique géopolitique mondiale plus coopérative.

Pour les États-Unis, notamment sous une potentielle administration Trump, s’aligner sur cette vision marocaine pourrait revitaliser la politique américano-africaine en l’ancrant dans les dynamiques locales et les aspirations africaines. De plus, les liens historiques entre les États-Unis et l’Afrique – en particulier avec le Maroc – fournissent une base pour ce partenariat. Historiquement, le premier traité de paix et de commerce américain a été signé avec le Maroc, le premier pays à reconnaître l’indépendance des États-Unis. Ce Traité d’amitié et de paix maroco-américain de 1786, toujours en vigueur aujourd’hui, symbolise une alliance de longue date qui pourrait inspirer une nouvelle ère de coopération économique et sécuritaire à l’échelle du continent.

Cependant, l’Afrique se trouve confrontée à des défis complexes, mêlant enjeux géopolitiques, sécuritaires et climatiques. Les activités terroristes qui ravagent le Sahel, les menaces croissantes à la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée, les insurrections persistantes dans le nord du Mozambique, ainsi que les crises chroniques en Afrique centrale, mettent en évidence la nécessité d’une stratégie cohérente, spécifiquement adaptée aux réalités locales. À cela s’ajoutent les impacts dévastateurs du changement climatique, qui exacerbent les inégalités et frappent de plein fouet les populations les plus vulnérables, provoquant sécheresses, inondations et une insécurité alimentaire croissante. Ces défis exigent une mobilisation mondiale urgente, fondée sur une solidarité active. Les grandes puissances, en particulier les États-Unis, ont une responsabilité majeure à assumer non seulement en soutenant les efforts africains pour atténuer les conséquences de ces crises, mais également en favorisant des initiatives locales axées sur la résilience, l’adaptation et le développement durable. Ce soutien doit aller au-delà des déclarations d’intention pour s’inscrire dans une action concrète et durable, à la hauteur des enjeux internationaux.

Pour la nouvelle administration de Donald Trump, repenser les relations entre les États-Unis et l’Afrique offre l’opportunité de resserrer les liens avec le continent et de positionner les États-Unis comme un partenaire de développement de confiance. Une approche moderne, inspirée du Traité de paix et d’amitié maroco-américain, pourrait être une inspiration et poser ainsi les bases d’une coopération fructueuse dans un monde marqué par des géopolitiques en mutation.

Adopter une nouvelle perspective sur l’Afrique impose aux États-Unis de reconnaître que le continent est bien plus qu’un réservoir de ressources ; il est un partenaire essentiel pour garantir la stabilité mondiale. Avec des nations africaines jouant un rôle clé dans la cohésion régionale et le développement, cette dynamique offre une occasion unique de bâtir des alliances basées sur le respect mutuel et de soutenir l’intégration et la croissance durable de l’Afrique. Dans cette optique, pour répondre aux aspirations africaines, les États-Unis doivent abandonner une approche utilitariste et privilégier un partenariat équitable, reposant sur le transfert de savoir-faire et un soutien concret aux initiatives locales. L’Afrique n’a plus besoin de promesses, mais d’actions tangibles qui valorisent pleinement son rôle central dans l’avenir géopolitique et économique mondial.

Cherkaoui Roudani

Expert en Géostratégie et Sécurité

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