Quelle est la situation des lacs au Maroc ? Réponse du géographe Mohamed Labhar
Le géographe Mohamed Labhar relève que le Maroc connaît, de façon périodique, des épisodes de sécheresse qui peuvent s’étendre sur plusieurs années, impactant entre autres les lacs et les zones, qui enregistraient par le passé des quantités importantes de précipitations.
Dans cette interview à la MAP, le chercheur propose plusieurs solutions afin de préserver les lacs et récupérer les eaux affectées par les changements climatiques.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des lacs au Maroc ?
Le Maroc connaît, de façon périodique, des épisodes de sécheresse qui peuvent s’étendre sur plusieurs années, affectant les grands espaces comme les lacs et les zones qui enregistraient par le passé des quantités importantes de précipitations.
La situation géographique du Maroc, qui dispose des ressources naturelles et des caractéristiques géographiques et géomorphologiques exceptionnelles, a contribué à la constitution de grands bassins d’eau qui tirent leur source de diverses zones montagneuses, dont le Moyen Atlas. Cet espace stratégique au niveau national est considéré comme un réservoir d’eau important pour le Maroc, en raison de la richesse des ressources en eaux superficielles et souterraines qu’il renferme et parce qu’il constitue la source principale des rivières et cours d’eau les plus importants, tels que l’oued Sebou, le bassin d’Oum Errabiâ et le bassin de Moulouya, qui tire une partie de sa source du Moyen Atlas et dispose donc de ressources en eau relativement régulières grâce à l’abondance des précipitations et de sa situation géographique en tant que zone montagneuse sous l’influence des courants océaniques.
Cette situation permet à cet espace de disposer d’importantes ressources en eau grâce aux précipitations et aux chutes de neige qu’il enregistre, que ce soit au niveau des principales sources comme Oum Errabiâ et Sebou, qui se caractérisent par un haut débit grâce à l’importance des ressources en eau disponibles dans la nappe phréatique. Le Moyen Atlas joue un rôle stratégique dans les différents périmètres agricoles, notamment le Gharb, Doukkala et Tadla, et possède un réservoir important d’eaux stagnantes appelées Dayat (lacs) ou Aguelman en langue amazighe. Le Moyen Atlas est connu pour renfermer un nombre important de lacs, d’étangs et de vastes espaces d’eau qui constituent un grand réservoir d’eaux souterraines alimentées par les sources, les apports pluviaux et les chutes de neige. Ce sont donc des écosystèmes exceptionnels au Moyen Atlas qui offrent des services environnementaux, biologiques, économiques et sociaux très importants aux populations locales et aux touristes qui visitent ces régions pittoresques, comme Ifrane et Imouzzer. Ces lacs sont de grande importance pour les populations locales puisqu’ils constituent une zone de pâturage au Moyen Atlas, connu pour être une zone propice pour cette activité, notamment l’élevage caprin. L’étendue des forêts et des plaines, les formations végétales et la grande diversité de végétations spontanées en font une zone de pâturage naturelle pour la population locale qui exerce cette activité depuis des siècles.
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Les sécheresses ont-elles un impact significatif sur les populations locales ?
Le Moyen Atlas est considéré comme une zone nouvellement peuplée, car les tribus et les « confédérations » pratiquaient, jusqu’au début du XXe siècle, la transhumance et les déplacements entre « Almo », « Adrar » (les hautes zones montagneuses), et Azghar (les zones limitrophes), et en marge du Moyen Atlas, telle que le Saïss et le plateau central.
Ces déplacements permanents ou saisonniers ont permis de conserver l’écosystème de cette zone, qu’il s’agisse des forêts ou des lacs, et de garantir la préservation des abondantes ressources du sous-sol de la région. Avec l’expansion démographique observée au cours du XXe siècle, la population est passée de près de 150.000 personnes dans les années 1930 à 950.000 âmes à la fin des années 1990, avant l’apparition de l’exode rural vers les villes voisines, qui a provoqué un ensemble de transformations et de mutations sociologiques au Moyen Atlas et chez la population locale, dont le mode de vie commence à changer et à s’orienter vers l’économie du marché. En plus du pâturage, l’activité principale et la plus importante, la population a commencé à s’intéresser à l’agriculture par l’exploitation des zones proches des forêts et la mise en valeur des terres, notamment à proximité des lacs. Ceci a entraîné un élargissement des terres agricoles, l’introduction des cultures irriguées et la plantation d’arbres fruitiers, telles que les pommes, les poires et les cerises, avec comme conséquence un développement de l’utilisation des machines, du matériel de pompage et de forage des puits, affectant ainsi la nappe phréatique. Le climat est un facteur essentiel dans ces transformations, puisque de nombreux lacs du Moyen Atlas ont connu une baisse de leurs niveaux d’eau, à mesure que la quantité des précipitations a diminué au cours des dernières décennies, ce qui a impacté les ressources en eau que reçoivent ces vastes plaines et dont la principale source est la pluie. L’autre facteur est la diminution du nombre de jours de chutes de neige, qui joue un rôle essentiel dans ces régions. Par exemple, la station d’Ifrane enregistrait, dans les années soixante du siècle dernier, environ 45 jours de chutes de neige, pour passer durant les dernières décennies à seulement 15 jours, ce qui a eu un impact significatif sur les ressources en eau de cette zone. Il y aussi le facteur de la sécheresse, qu’elle soit annuelle ou saisonnière, qui a engendré une diminution du niveau de nombreux lacs, tels que le lac d’Aguelmam Sidi Ali où les facteurs climatiques et naturels affectent périodiquement ses ressources en eau.
Y a-t-il un espoir que les choses redeviennent comme avant ?
Il convient de souligner, d’emblée, que les changements climatiques que connaît actuellement le monde ont affecté l’espace méditerranéen, qui est situé entre la zone au climat doux dans le nord et la zone chaude et tropicale au sud, ce qui en fait l’un des pôles connus pour leurs températures élevées qui provoquent une diminution du volume des précipitations annuelles.
La possibilité pour ces lacs de disposer de ressources en eau permanentes exige de grands efforts, notamment au niveau de la gestion des ressources en eau et des bassins versants environnants pour la préservation du riche patrimoine forestier qui caractérise les zones limitrophes de ces lacs en vue d’augmenter la densité de la végétation et de contribuer à la formation d’un nombre important d’espèces végétales à l’intérieur du milieu forestier. Ces opérations peuvent contribuer à l’augmentation du volume des eaux de pluie qui tombent dans ces zones et qui jouent un rôle essentiel dans l’alimentation des eaux souterraines et la réduction des quantités d’eau qui se déversent en dehors de ces lacs et de ces bassins d’eau. Il est également possible d’envisager des schémas et des plans spécifiques pour chaque lac sur la base d’une étude de ses potentialités naturelles et de ses ressources en eau, et d’établir des partenariats avec les populations locales dans le but de réduire la surexploitation des ressources en eau souterraines. Il convient aussi de réfléchir à la réduction du nombre des exploitations agricoles et de l’utilisation intensive des ressources en eau souterraines, outre la construction de barrages collinaires pour alimenter la nappes phréatique et disposer des ressources superficielles nécessaires à la préservation de l’écosystème de ces lacs.
Avec MAP