Qui est Tedros Adhanom Ghebreyesus, l’Africain à la tête de l’OMS ?
Le Directeur Général de l’OMS est, aujourd’hui, la cible des critiques de Donald Trump, qui a décidé de retirer sa large contribution financière à l’organisation. Accusé d’adopter des positions en faveur de la Chine, sa gestion de la crise a été fortement remise en question, notamment par les Républicains qui ont demandé qu’il se retire de l’Organisation. Qui est donc le « Dr. Tedros » ? Aurait-il placé l’OMS à la merci de la Chine ?
Entre science et diplomatie
Agé de 55 ans et originaire d’Ethiopie, Tedros Ghebreyesus est titulaire d’une Licence en biologie de l’Université d’Asmara. Il poursuit avec un Master en immunologie des maladies infectieuses, à Londres, avant d’effectuer un Doctorat en santé communautaire de l’Université de Nottingham.
Le Dr. Tedros n’a pas effectué d’études en médecine mais dispose d’une longue expérience dans le domaine de la Santé, domaine auquel il a apporté son savoir, à travers la publication de nombreuses recherches, notamment sur le paludisme. En 2009-2011, il préside le Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme. Il a également joué un rôle actif dans la réponse de l’Union africaine face à l’épidémie de l’Ebola et dans la promotion des recommandations de l’OMS. Il bénéficie donc d’une expérience directe dans les interventions d’urgence aux épidémies, sur le terrain (en Afrique, et à présent, en Chine). En 2013, il exerce comme Président du Conseil Exécutif de l’Union africaine, il sera l’un des fers de lance du programme Horizon 2063. Il succédera à la Chinoise Margaret Chan à la tête de l’OMS, en 2017, où il sera élu pour un mandat de 5 ans. Il s’agit, par ailleurs, du premier candidat à avoir été élu par l’Assemblée Mondiale de la Santé et la première personne africaine à remplir cette fonction. Dès son arrivée, il fera de la thématique des femmes, des enfants mais aussi de la couverture sanitaire universelle une des priorités de l’Organisation, probablement en hommage à un de ses frères décédé alors qu’il n’avait pas reçu les médicaments nécessaires à ses soins.
Le patron de l’OMS revêt une double casquette. En plus de ses compétences dans le domaine de la Santé, il compte également une longue carrière politique en Ethiopie. En effet, le « Dr. Tedros » a servi comme Ministre des affaires étrangères de 2012 à 2016 et Ministre de la Santé de 2005 à 2012, mandat durant lequel il a mené une réforme complète du système de la Santé du pays.
Au cœur de la tempête
Le patron de l’OMS se trouve donc en première ligne dans la gestion de l’épidémie à l’échelle internationale. Si son élection à la tête de l’OMS a fait jaser de nombreuses personnes, parce qu’il n’est pas médecin et pour ses origines africaines, il doit, à présent, affronter la tempête Trump, qui l’a désigné comme bouc émissaire dans sa mauvaise gestion de la pandémie, ce qui a fait chuter la cote de popularité du président américain.
Il est donc accusé de collusion avec la Chine, notamment après avoir déclaré qu’il n’y avait aucune preuve de transmission du virus d’humain à humain, en janvier. Par ailleurs, ses positions critiques vis-à-vis de la suspension des vols à destination et en provenance de la Chine par les Etats-Unis ont mis le feu aux poudres. L’OMS multiplie les polémiques, on l’accuse également de ne pas avoir laissé les experts se rendre en Chine pour évaluer la situation. Les autorités taiwanaises ont également exprimé leurs inquiétudes après que des avertissements de maladies pulmonaires sur leur territoire avait été ignorés (Taiwan, non représentée à l’OMS).
La Chine, un ami rentable pour l’OMS ?
Toutes ces décisions mènent à s’interroger sur de possibles liens entre l’OMS, ou son patron avec la Chine. Si la Chine est, certes, un important contributeur au budget de l’OMS, son apport est relativement faible en comparaison avec celui des Etats-Unis qui s’élève à plusieurs centaines de millions de dollars.
Selon une recherche publiée en 2019, l’aide de la Chine en faveur du continent africain a pris un important virage à l’issue du 3e FOCAC en 2006, notamment dans le domaine de la Santé. La construction d’hôpitaux et de centre de prévention du paludisme constituait un axe important du Soft-Power chinois en Afrique.
Loin d’être désintéressé, il est normal que l’Empire du Milieu cherche avant tout son propre intérêt avant celui de ses partenaires. Par ailleurs, l’ex-président de Médecins Sans Frontières en Allemagne, Tankred Stöbe, a révélé, dans la revue américaine Foreign Policy, comment la Chine exerce son influence, notamment sur les pays asiatiques comme le Laos, le Cambodge ou la Thaïlande. Il est arrivé qu’à des réunions, des représentants Chinois disent : « Chers amis d’Asie du Sud-Est, nous souhaitons poursuivre une bonne coopération. Il est clair pour nous que vous devez garder vos frontières ouvertes, sinon, il nous faudra repenser notre amitié » a-t-il déclaré. Ainsi, le Cambodge ou encore le Pakistan ont été contraints de conserver les vols.
Si l’OMS était sous le contrôle et l’influence des puissances occidentales durant ces 20 dernières années, il est naturel que la Chine commence, à son tour, à exercer son influence dans le domaine sanitaire. Elle agit donc comme une puissance régionale selon l’expert Osman Dar, toujours dans la même revue. Et pour cause, lorsque la Chine a déclaré l’épidémie endiguée pour la première fois, plusieurs millions de dollars d’aides en équipement médical ont été acheminés vers le continent. Le milliardaire fondateur de AliBaba, Jack Ma a envoyé pour 1,1 million de kits de dépistage, 6 millions de masques et 60 000 combinaisons de protection à usage médical et écrans faciaux en Ethiopie, chargée de la logistique et de l’approvisionnement du continent. Pour rappel, Ethiopian Airlines était encore l’une des rares compagnies aériennes à continuer à desservir la Chine.
Si le penchant pro-chinois de l’OMS ou de son patron n’est pas prouvé à ce jour, force est de rappeler que l’OMS est également contrainte à ne pas reproduire les erreurs du passé. À l’heure où l’on fustige l’Organisation pour son temps de réaction, la gestion de l’épidémie du H1N1 par Margaret Chan, ancienne Directrice Générale de l’OMS pendant 10 ans, lui a également valu des critiques, pour avoir semé la panique dans le monde entier.