Rabat Capitale Africaine de la Culture passe le flambeau à Brazzaville et Kinshasa

Monceyf Fadili (*)

La capitale du Royaume du Maroc aura été le centre d’une intense activité culturelle, en 2022-2023, donnant la réelle mesure du soft power de la culture, aujourd’hui considérée comme le quatrième pilier du développement durable avec la dimension économique, sociale et environnementale.

C’est à travers le prisme de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLU Afrique) et de son large réseau de villes et collectivités territoriales qu’a émergée la célébration des capitales africaines de la culture, une initiative adoptée par les gouvernements régionaux et locaux d’Afrique lors du 8ème sommet Africités(Marrakech, novembre 2018). Le Comité exécutif de CGLU Afrique a porté son choix sur la ville de Rabat sous le label « Rabat Capitale Africaine de la Culture », dont les villes de Brazzaville et Kinshasa prennent aujourd’hui le relais comme deuxième capitale africaine de la culture.

La Ville de Rabat au carrefour de la culture africaine

Une centaine d’évènements artistiques ont ponctué la célébration de la capitale, selon une déclinaison marquée par l’esprit de créativité à travers les arts plastiques et la littérature, la poésie et la musique, le théâtre et le cinéma, la danse et la mode, notamment la 14ème édition du FIMA (Festival international de la mode en Afrique) et le MOCA (Movement of Creative Africas).

En termes de participation, on retiendra plus de 1.500.000 spectateurs, 4.000 artistes et 3.000 professionnels engagés dans les différentes activités culturelles. Des résultats issus d’une programmation riche et diversifiée ; une infrastructure et une logistique appropriées ; des capacités d’accueil performantes ; l’implication des parties prenantes à la culture et au développement local, y compris la société civile ; un appui institutionnel au plus haut niveau, la célébration de Rabat Capitale Africaine de la Culture ayant été organisée sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et ayant bénéficié d’un soutien fort du gouvernement du Maroc à travers le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, le ministère de l’Intérieur, ainsi que la Wilaya et la Ville de Rabat.

Parmi les nombreux résultats qu’il faut mettre à l’actif de la célébration de Rabat Capitale Africaine de la Culture figure d’une part la création du Label « Copyright Friendly » adopté par le Forum des maires sur la Culture sur proposition de la rencontre MOCA regroupant les professionnels des arts, de la culture, des industries créatives et du patrimoine ; et d’autre part la demande exprimée par les leaders des gouvernements régionaux et locaux d’Afrique à l’endroit de la Conférence des ministres africains de la Culture de voir la célébration de la Capitale Africaine de la Culture inscrite au calendrier officiel des évènements reconnus et soutenuspar l’Union africaine.

La Conférence des ministres de la Culture organisée à l’occasion de la célébration de Rabat Capitale Africaine de la Culture a, dans sa déclaration finale, exprimé le « soutien au renforcement et à l’amélioration de la coopération culturelle bilatérale et multilatérale entre nos Etats Africains, pour atteindre les objectifs du développement durable en soulignant l’importance d’investir dans la richesse et la diversité des capacités culturelles, civilisationnelles et patrimoniales ».

On notera que la ville de Rabat a réussi à relever le défi de la célébration de la culture à l’échelle du continent, forte d’un capital culturel à valeur universelle, Rabat étant inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO (2012), et d’une stratégie urbaine valorisant le patrimoine culturel dans le cadre du programme « Rabat Ville lumière, Capitale Marocaine de la Culture » (2014) ; des atouts que confirme l’élection de Rabat (avril 2024) à la présidence du Réseau international pour l’éclairage urbain – Lighting Urban CommunityInternational (LUCI), devenant la première ville africaine et arabe à la tête d’un réseau de 73 villes.

Brazzaville et Kinshasa : deux villes pour une capitale africaine de la culture

La désignation de Brazzaville (Congo) et Kinshasa (République démocratique du Congo, RDC) deuxième Capitale Africaine de la Culture pour les années 2024-2025 est intervenue lors de la 30ème session du Comité exécutif de CGLU Afrique tenue le 6 novembre 2023 à Lagos, Nigeria, suite à la candidature commune que ces deux villes ont présentée, en réponse à l’appel à candidatures lancéen juin 2023.

En choisissant de présenter une candidature commune pour être la Capitale Africaine de la Culture, les villes de Brazzaville (2 millions d’habitants) et Kinshasa (17 millions d’habitants), les deux capitales nationales les plus proches au monde ont tenu à rappelerl’importance de la culture pour ériger des ponts entre les peuples,par-delà des frontières héritées de la période coloniale. Cette célébration mettra en lumière l’excellence de la culture bantoue multiséculaire mais aussi contemporaine, structurée autour du bassin fluvial du Congo, deuxième bassin forestier au monde aprèscelui de l’Amazone.

L’engagement des deux villes en faveur de la célébration a été confirmé lors de la commémoration, le 24 janvier 2024 à Brazzaville, de la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante – instaurée par l’UNESCO en 2019 –, pour honorer les cultures du continent et des diasporas africaines dans le monde. Lors de cette cérémonie, le logo de Brazzaville et Kinshasa « Capitale Africaine de la Culture 2024-2025 » a été officiellementprésenté.

Il est à rappeler que ces capitales bénéficient d’une reconnaissance culturelle et patrimoniale internationale à travers l’UNESCO. Brazzaville (2013) et Kinshasa (2016) ont en effet rejoint le Réseau des Villes créatives de l’UNESCO dans le domaine de la musique, une expression culturelle où elles se distinguent avec Praia (Cap-Vert, 2017) et Essaouira (2019), au sein d’un réseau international de 350 villes couvrant 7 domaines créatifs : Artisanat et arts populaires ; Arts numériques ; Design ; Film ; Gastronomie ; Littérature ; Musique. Une démarche qui répond aux ambitions des deux capitales, le réseau ayant pour objet de « promouvoir la coopération avec et entre les villes ayant identifié la créativité comme un facteur stratégique de développement urbain durable ». Parmi les initiatives à retenir :

Brazzaville accueille, tous les deux ans, le Festival Panafricain de Musique (FESPAM, 1996) avec 3.000 artistes, 300 experts, 150 journalistes et des centaines de milliers de spectateurs ; le Festival international des musiques traditionnelles « Feux de Brazza » dédié à la tradition africaine ; « Ici C L’Afrik » ; la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) ; « Brazza Gospel » ; l’école de peinture de Poto Poto, reconnue à l’international. Toutesces initiatives contribuent à la création d’emplois et au développement local ; elles sont largement soutenues par la municipalité de Brazzaville, qui a lancé le programme « Musique, Développement local et Cohésion sociale ».

Kinshasa bénéficie de son aura de berceau de la rumba congolaise, musique puisant dans le fonds culturel local et les influences outre-Atlantique, au point d’associer les deux villes à l’empreinte de la musique congolaise. Depuis 2017 se tient le Festival Kin Malebo, évènement musical et artistique autour de l’héritage de Papa Wemba, diva de la rumba et dont le jour du décès (24 avril) a été proclamé par l’Union africaine « Journée africaine de la musique ». D’autre part, Kinshasa dispose de l’un des meilleurs centresd’enseignement supérieur artistique en Afrique, l’Institut national des arts (INA) consacré à la formation des comédiens et des musiciens. Kinshasa s’avère l’un des centres créatifs parmi les plus prolixes en Afrique.

Les atouts et les opportunités du binôme Brazzaville-Kinshasa

L’un des atouts majeurs de Brazzaville-Kinshasa Capitale Africaine de la Culture est sans doute la rumba congolaise ; une consécration qui reconnaît à la République du Congo et à la RDC leur contribution à la musique universelle, tout comme aux valeurs du panafricanisme et à la mémoire africaine. Pour poursuivre cette dynamique commune dans le domaine de la culture, Brazzaville et Kinshasa se sont dotées d’un outil commun, la Commission spéciale de la coopération entre Brazzaville et Kinshasa (COSPECO), qui sera la cheville ouvrière pour la célébration de Brazza-Kin, Capitale Africaine de la Culture.

Il faut rappeler que durant la célébration de l’excellence de la Culture Africaine et Afro-descendante à Brazzaville et Kinshasa, les deux villes et leur pays verront leur culture célébrée dans au moins cinq villes volontaires, une par région d’Afrique. Un appel àmanifestation d’intérêt pour accueillir une semaine congolaise dans les villes des différentes régions sera lancé dans la foulée de l’organisation du passage du témoin entre Rabat première Capitale Africaine de la Culture, et Brazza-Kin, deuxième Capitale Africaine de la Culture. Des consultations sont en cours pour arrêter, d’un commun accord, la date de cérémonie du passage du drapeau de la Capitale Africaine de la Culture, à organiser à Rabat.

Le lancement de cette deuxième édition de la célébration de la Capitale Africaine de la Culture marque assurément un tournant dans la reconnaissance de la culture comme un levier majeur de transformation structurelle de l’Afrique, pour créer l’estime de soi et le juste sentiment d’appartenir au berceau de l’humanité et à la contribution de la civilisation de l’universel. Avec 1 jeune de moins de 18 ans sur 2 au monde vivant en Afrique, il est indéniable que le potentiel de créativité de l’Afrique est immense. Il s’agit à présent, par des politiques et stratégies locales, nationales et panafricaines appropriées, de s’appuyer sur ce potentiel pour hisser la culture parmi les priorités politiques en Afrique, afin que le continent prenne une plus grande part dans les échanges mondiaux de lacréation artistique, des œuvres culturelles et des industries créatives.

La célébration de la Capitale Africaine de la Culture ambitionne d’atteindre cet objectif. S’associer à cette célébration de différentes manières est un acte de soutien à la diplomatie culturelle, unanimement reconnue comme l’une des voies les meilleures pour la construction d’un monde de compréhension mutuelle, de concorde et de paix.

Monceyf Fadili : Expert international en planification urbaine  et développement territorial, Ancien Conseiller UN-Habitat

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