Regards critiques sur la décision du conseil de la concurrence relative aux pratiques anticoncurrentielles entre architectes
Par Youssef Oubejja, Docteur en Droit Economique
La mission transversale de régulation de la concurrence conférée au conseil de la concurrence en fait un organe doté du pouvoir décisionnel à travers l’instruction et la sanction des pratiques anticoncurrentielles et le contrôle des concentrations sur le marché national.
A l’image de toutes les autorités administratives indépendantes de régulation de la concurrence du voisinage, nous assistons bel et bien dans notre pays à un dynamisme du conseil à travers la signature d’accords de coopération et d’échanges d’expériences avec d’autres pays européens. De même outre les avis émis par le conseil, nous relevons par ailleurs une mise en application de son pouvoir de sanction que cela soit dans le cadre de procédures contentieuses ou négociées quoique étant peu nombreuses.
Dans le cadre de la dernière décision de transaction conclue entre le Conseil et l’ordre national des architectes qui constitue l’une des procédures négociées prévues par la loi, nous constatons en revanche que celle-ci est à notre sens critiquable à plusieurs égards et ce pour plusieurs raisons.
Avant d’aborder amplement ces critiques il est à rappeler qu’il existe a coté des procédures contentieuses ordinaires consacrées par la loi des procédures négociées qui présentent l’avantage de parer à la lourdeur des procédures contentieuses en vue de pallier à la difficulté d’apporter les preuves de commission des pratiques anticoncurrentielles. Au Maroc la loi 104-12 consacre les différentes procédures négociées, de clémence de transaction et d’engagement, en attribuant au conseil de la concurrence la compétence de les mettre en œuvre
Indéniablement ces dernières sont au cœur des politiques de régulation de la concurrence, et se présentent comme une alternative, aux dispositions exclusivement sanctionnatrices des normes de la concurrence. L’envahissement du droit négocié, de la branche du droit de la concurrence, est l’une des nouveautés apportées par la loi 104 -12. La consécration des procédures d’engagement, de clémence et de transaction, par cette loi, hisse le Maroc au rang des pays qui se sont dotés d’instruments normatifs et substantiels conforme aux standards internationaux, en vue de permettre en principe une régulation efficace des marchés.
Le rôle ainsi poursuivi par les autorités à travers l’introduction des procédures négociées en matière de régulation de la concurrence, est de permettre aux autorités de régulation de se doter d’outils flexibles associant davantage les acteurs du marché à leur processus décisionnel et de renforcer ainsi leur rôle de régulateur en dehors des contraintes procédurales de la régulation contentieuse[1].
Les nouvelles procédures négociées ainsi introduites dans le dispositif légal de la régulation de la concurrence, constituent une rupture avec le droit imposé, qui a perduré sous l’impulsion de l’ancienne loi 06-99, et un outil permettant au Conseil de la concurrence d’engager de véritables négociations avec les acteurs du marché, en vue de lutter efficacement contre les pratiques anticoncurrentielles.
Faire l’éloge de l’intérêt apporté par ces nouvelles procédures n’est pas contestable compte tenu de leurs avantages évoqués plus haut. Cependant dans le cadre de l’entente relevée dans le secteur des prestations architecturales tout récemment il nous parait que le montant de transaction conclu entre le conseil et l’Ordre national des architectes reste insignifiant. Ce dernier ne peut nullement compenser le dommage causé à l’économie en général et aux consommateurs en particuliers, et atteste d’un abandon par le régulateur du rôle prioritaire de dissuasion dont il doit faire preuve. Dans le traitement de cette affaire, il semblerait que le régulateur ait préféré inopportunément la célérité en abandonnant son rôle de dissuasion qui se doit avant tout d’être efficace.
L’ampleur du dommage causé par l’entente relativement à l’introduction d’un barème minimum des prix des prestations architecturales couplé à une répartition des marchés a eu pour conséquence de relever les prix au-delà de ce qui ils auraient été dans une situation de concurrence effective. La négociation du montant de la transaction estimée à 500 000 Dh nous semble même en l’absence de données économiques quantitatives à la disposition du public disproportionnée par rapport à l’ampleur du dommage causé par ces pratiques anticoncurrentielles. La réduction significative du montant de l’amende en dépit de l’acceptation du chef d’accusation imputable au conseil national des architectes, tout en s’abstenant de se défendre et de contester les griefs qui lui sont notifiés ne constitue pas l’essence d’une véritable transaction qui prenne en considération les intérêts en jeu. Cette réduction doit être raisonnable alors qu’en l’espèce le conseil de la concurrence se devait de négocier bien à la hausse ce montant. Cette accord de transaction est de nature à donner un signal négatif aux consommateurs qui se voient leurs intérêts bafoués purement et simplement mais aussi aux opérateurs économiques qui peuvent aussi être victimes de ces pratiques.
De même si la loi autorise les opérateurs victimes de ces pratiques de saisir la justice pour la réparation de leur dommage en dépit de la conclusion de l’accord, celle ci consacre à l’opposée des restrictions de saisine inutiles pour les associations de consommateurs, en maintenant le critère de l’utilité publique figurant dans l’ancienne loi 06-99. Il est à signaler qu’à ce jour aucune association ne bénéficie de cette qualité. Cette situation est de nature à priver le Conseil d’une source d’information importante qui peut révéler les dysfonctionnements concurrentiels des marchés, et prive les consommateurs de pouvoir se faire entendre, sachant que c’est eux qui paient le prix d’une pratique anticoncurrentielle, plus particulièrement en cas d’entente.