Réponse à « Slate.fr » : Le Rif, la drogue, le terrorisme et le mésusage de la déontologie
Depuis longtemps certes, et plus particulièrement depuis quelques temps, nous n’en finissons pas de voir s’écrire des choses sur le Maroc dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles relèvent de la mauvaise foi. Tant et si bien que, malgré toute la bonne volonté du monde, nous ne résistons pas au devoir d’y répondre. Passe encore cette irréductible propension à déformer la réalité et le visage d’un Maroc qui dérange et reste indifférent, passe toujours cette ahurissante volonté de le dénigrer à tout bout de champ…Mais là où le bât blesse, où se conjuguent à la fois calomnie et ignorance, c’est ce genre d’articles qui pêchent manifestement par le réflexe pavlovien de nuire.
Le site Slate.fr, fondé et dirigé par notre ami Jean-Marie Colombani, ancien directeur du quotidien « Le Monde », par ailleurs chroniqueur depuis des années de la chaîne radio Médi1, vient de se fendre d’un article signé Leela Jacinto, grand reporter de politique internationale à France 24 et collaboratrice du journal en ligne. Il porte le titre : « Le cœur du terrorisme international bat au nord du Maroc » ! Au seul regard de ce titre, nous sommes tout de suite comme happés par une évidence, lancée du haut comme un jugement vertical, une affirmation qui ne laisse pas de surprendre, un couperet…Le premier paragraphe du « papier » de Leela Jacinto, une sorte de chapeau intempestif, est à lui seul une fausse-vérité assenée comme un verdict : « Depuis des siècles, les montagnes du Rif sont le refuge des trafiquants, des dealers de cannabis et des criminels » !
Ne voilà-t-il pas une affirmation gratuite, d’autant plus sévère qu’elle est excessive ? Et comme tout ce qui est excessif, elle est donc inutile et insignifiante, pour reprendre un vieil adage de Talleyrand ! Encore une fois, la technique est une sorte de soliloque, elle ne le cède en rien aux raccourcis fallacieux qui, tout au long de quelque douze mille caractères, illustrations comprises, traverse un article incohérent, qui n’a ni unité discursive, ni démonstration ; mais des clichés récurrents. D’emblée le lieu est arbitrairement établi entre « le Rif du cannabis et celui du terrorisme », qualifié de « creuset du djihadisme européen »…Et déjà le recours au terme « Djihad » et non Jihad nous en dit long des lieux communs, conceptualisés par une certaine presse occidentale qui fait amalgame de tout. La grande reporter de France 24, estime que c’est « au Maroc qu’il faut aller, pour retracer des liens remontant les générations jusqu’à l’époque coloniale, traverser la Méditerranée – une mer qui unit bien plus qu’elle ne sépare l’Europe et l’Afrique du nord – et comprendre pleinement ce qui a pu inciter des jeunes hommes à semer le chaos au beau milieu des capitales occidentales ». Donc « époque coloniale et…jeunes hommes semant le chaos… » !
Donc aussi « Au cœur des attentats terroristes (Paris et Bruxelles) qui ont frappé une partie du monde, ces quinze dernières années, il y a le Rif », dit-elle…Aucune nuance, le Rif devient une antienne. Sauf que les derniers terroristes de Paris, de Bruxelles, de Tunisie, du Caire, d’Istanbul et j’en passe ne sont pas tous originaires du Rif, n’ont pas la nationalité marocaine et n’avaient pas plus de dix ans tout au plus « il y a une quinzaine d’années » quand le terrorisme commençait à s’installer. Les attentats terroristes, Madame Leela Jacinto, avaient à l’époque moderne si je puis dire, commencé avec Carlos, de son vrai nom Ilich Ramírez Sánchez, vénézuélien d’origine qui purge la perpétuité dans une prison à Poissy. Ensuite avec les Brigades rouges en Italie , avec Ulrike Meinhoff , Andreas Baader et la bande qui portait le même nom en Allemagne, en Inde, au Pakistan, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, aux Philippines et même en plein New York….C’est dire que le Rif et son kif sont loin et que vos approximations relèvent du pathos obsessionnel…
Et puisque vous tenez à tout prix à tisser un lien factuel entre les « enfants du Rif transplantés en Europe, la marginalisation, leur accès aux réseaux criminels et à la radicalisation », sachez qu’ils ne représentent, en fin de compte, qu’une poignée quasi insignifiante ou nulle dans cette galaxie du terrorisme international qui frappe l’Occident. Abdelhamid Abaaoud, né à Anderlecht et beaucoup d’autres ne sont pas originaires du Rif mais de l’opposé, du Souss…Mohamed Merah n’est pas originaire du Maroc, Mehdi Nemmouche qui a commis l’attentat contre le Musée juif de Belgique à Bruxelles non plus, les frères Kouachi qui ont massacré le personnel de Charlie Hebdo en janvier 2015, leur complice Coulibaly contre le magasin Cacher non plus…
Pour autant, je vous concède que la « cellule de Verviers » et Ayoub al-Khazzani qui a tenté une opération sans succès contre le Thalys en août dernier, Salah Abdeslam et son frère explosés en novembre à Paris, Lâachraoui, l’artificier des attentats de Bruxelles ont des origines marocaines, mais très peu du nord du Maroc qu’ils ont quitté presqu’enfants. Pour autant leur origine, les uns et les autres, n’a jamais été revendiquée comme telle, ni affichée sur leur fronton. Leur point commun n’est ni le Rif, ni le Maroc, ni le cannabis sur lequel vous jetez votre dévolu comme un argument rédhibitoire, mais simplement de partager la haine de l’Occident au même titre que les millions d’islamistes dans le monde, de jeunes des banlieues, et surtout de ne pas pardonner aux sociétés dans lesquelles ils vivent de les avoir « marginalisés » voire exclus…
Avant de commettre leurs forfaits, ils ne se sont pas rendus au Rif pour chercher leur inspiration, et beaucoup d’entre eux n’y connaissent rien à cette région qui n’incarne pas ce sinistre cliché dont vous l’affublez : « pays de drogue, de mafieux, de petits margoulins et de criminels »…Pour les besoins de votre reportage et l’objectivité qui y sied, avez-vous rencontré et interrogé quelques-uns des ces hérauts , fût-ce pour corroborer vos dires et vous conformer à l’éthique et à la déontologie ? Non, bien sûr, vous avez préféré vous en tenir aux clichés, comme cette histoire que le Rif est rebelle aux Rois et au pouvoir central….
Le tournant de Mohammed VI
Oui, à coup sûr, le Rif de l’imaginaire colonial – et vous en êtes victime – fut celui qui, Abdelkrim al-Khattabi le premier combattit les Espagnols et les Français…Comme aussi, il marqua sa résistance dans les premières années de la Libération du Maroc, notamment face au Roi Hassan II. Or, l’avènement du Roi Mohammed VI, en juillet 1999, opéra un tournant décisif , marqué au sceau d’une réconciliation historique et le nouveau Roi n’a pas attendu plus que quelques semaines pour entamer un long périple dans le nord qui l’a conduit dans le Rif, où il a rencontré les fils et les petits-fils du héros Khattabi qui l’ont reçu chez eux dans le cadre de retrouvailles plutôt émouvantes…Depuis lors, le Rif est dans le cœur du Souverain, il est devenu l’une des priorités en matière d’investissements et d’intégration économique, un chantier permanent et un modèle de développement.
Procéder par une territorialisation (rifaine) du terrorisme, la corréler avec le trafic de drogues localisé encore dans le Rif, c’est à coup sûr, pêcher soit par ignorance, soit par une mauvaise foi caractérisée. Les terroristes d’origine marocaine (Frères Bakraoui, frères Abdeslam, Aachraoui, Abaaoud et autres cas isolés) ne représentent, en définitive, qu’une poignée qui s’est distinguée par des actes criminels commis en l’espace de quelques mois, auxquels les médias ont donné un très large écho ! Mais combien d’autres à l’échelle mondiale, et depuis des lustres ! Cela justifierait-il pour autant cette irascible volonté de pointer du doigt le Rif, de le transposer dans une cité, Molenbeeck, au cœur de Bruxelles ? Le fait que cette cité microcosme converti en ghetto abrite, depuis plus de 65 ans, quelque 60% de Belges d’origine marocaine, justifie-t-il cette sanctuarisation médiatique à laquelle, après bien d’autres, procèdent certains titres de presse dont « Slate.fr » ?