Reports du voyage de Tebboune en France, ses exigences paranoïaques pour un accueil « royal » et l’embarras de Macron au pied du mur…

Chronique algérienne

Par Hassan Alaoui

Finalement, Abdelmajid Tebboune parviendrait-il à effectuer sa visite d’Etat en France en juin comme cela vient d’être annoncé ? Alors qu’elle était prévue et tambour battant programmée officiellement en mars pour les 2 et 3 mai prochains, cette visite du président algérien Abdelmajid Tebboune en France a été sans prévenir reportée ex-abrupto. Les observateurs qui suivent le dossier franco-algérien et au-delà, maghrébin, sont surpris voire ébahis de ce report in extremis qui obéit à d’autres considérations que les inavouables raisons invoquées par les deux gouvernements.

Pourquoi cette annulation d’un Sommet franco-algérien fixé en mars par Macron et Tebboune  et inscrit, pourtant, dans un processus de normalisation qui n’a eu de cesse de faire de sa tenue les choux gras de la presse algérienne ? Quelle est la raison de ce recul significatif ?

Bien entendu, aucun communiqué officiel susceptible de nous en convaincre n’est venu, d’un côté comme de l’autre, nous dire la vérité ni de nous éclairer. Les deux parties, autrement dit le gouvernement français et celui de l’Algérie, s’en sont tenus au principe du « motus et bouche cousue », laissant la presse, algérienne notamment, plonger dans l’habituelle et rédhibitoire opacité et verser dans les conjectures avec cette propension à la fantasmagorie. Reportée sine die, voilà la seule explication fournie aussi bien à l’Elysée qu’au Palais de la Mouradia d’Alger.

Cela ne nous empêchera nullement de creuser un tant soit peu dans le contexte bilatéral d’abord, régional ensuite pour réunir les éléments susceptibles de nous fournir un éclairage à cet égard et les recouper avec nos propres informations. En décidant il y a plusieurs mois de se rendre en France, notamment au mois d’août dernier juste après la visite de Macron en Algérie,  Abdelmajid Tebboune entendait bien – et n’arrêtait pas de l’annoncer autour de lui – d’en faire un événement marquant, une visite d’Etat sans précédent, distinctive,  sans commune mesure avec toutes celles que la France organise d’habitude aux autres chefs d’Etat. Autrement dit, la faste aidant, M. Tebboune a exigé un protocole d’accueil spécial, digne des grands Rois, comportant une promenade fanfaronnée sur les Champs Elysées et l’Arc de Triomphe, une cérémonie au monument des Invalides et, pourquoi pas, pendant qu’on y est, un dîner à Versailles, à la Table de Louis XIV dans la Galerie des Glaces ?

Des arguments fallacieux d’Alger

Anne-Marie Descôtes, secrétaire générale du Quai d’Orsay, diplomate chevronnée,  en a eu pour son grade lorsqu’elle s’est rendue à Alger le 16 avril dernier pour rencontrer son homologue Amar Belani et s’entendre dire que Tebboune a décidé de reporter son voyage à Paris au prétexte que la situation sociale française lui faisait craindre le pire. La diplomate française avait pour mission de coordonner l’organisation de cette visite d’Etat, au niveau de l’accueil, des parcours, d’un éventuel discours au Parlement français, voire des menus détails . Cependant, la partie algérienne, traduisant des caprices de Tebboune a invoqué, entre autres, l’instabilité qui sévit en France et demandé l’ajournement . Argument fallacieux vite rejeté par l’Elysée, car la vérité toute crue est que les dossiers sur lesquels devaient discuter et se mettre d’accord les deux chefs d’Etat n’étaient pas prêts et de loin…Un constat amer qui confirme, à vrai dire, une incurie bilatérale et le quasi échec de tout ce qui a été décidé solennellement lors des visites successives à Alger de Macron au mois d’août 2022 et de sa première ministre Elisabeth Borne en octobre suivant.

Les observateurs s’accordent à dire que rien n’a avancé dans ce sens, les deux parties se contentant de proclamations vertueuses sans résultats tangibles, dénotant l’ambiance suspicieuse, jamais surmontée en effet et faite de méfiance et de sous-entendus. A preuve  la levée de boucliers auprès des anciens adversaires français de l’Algérie, pieds noirs, harkis établis dans l’Hexagone ou simplement membres du Rassemblement  national (RN) ou de la droite modérée qui expriment leur ferme opposition à cette normalisation brinquebalante algéro-française.

Cela dit, il semblerait même que le président Tebboune, argumentant avec illusion que la réconciliation franco-algérienne constituerait un tournant dans l’histoire, ait fait exiger auprès de la Secrétaire générale du ministère français des Affaires étrangères le même accueil que la France avait réservé en juillet 1999 au Roi défunt Hassan II, dix jours avant son décès. Rien que ça … Il est vrai que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Comme si Macron pouvait être de la même trempe ou bénéficier de la même popularité légitime que Jacques Chirac ! Comme si la relation privilégiée entre les deux chefs d’Etat de l’époque, en 1999, pouvait prévaloir encore de nos jours et justifier l’espoir qui l’animait autrefois.

Emmanuel Macron le funambule

Emmanuel Macron, jouant le funambule et le Terminator a détruit la relation privilégiée entre la France et le Maroc et, bien évidemment, opté pour un alignement unilatéral sur l’Algérie. Les accolades et le baiser aux parfums de pétrole et de gaz qu’il avait si chaleureusement et impudemment distribués à Alger au président Tebboune au mois d’août dernier, ne laissaient pas de nous surprendre mais confirmaient en revanche l’insoutenable opportunisme dont il fait sa doctrine d’Etat, sa philosophie foireuse.

C’est dire que les exigences de Tebboune pour sa visite en France ne peuvent pas ne pas choquer l’Establishment parisien. Parce que le président algérien n’a aucune légitimité historique, ni un passé prestigieux et encore moins le souvenir d’un rôle majeur joué qui, bon an mal an, eût pu justifier les fastes d’accueil posés comme une condition sine qua non à la République française. Celle-ci est à présent mal-en-point au regard des manifestations qui la déchirent, la divisent et la déstabilisent tout simplement pour cause de crise sociale consécutive à celle de la réforme des retraites. La presse algérienne se fait fort de dresser une comparaison avec le report de la visite il y a quatre semaine du Roi Charles d’Angleterre  en France, qui a préféré l’annuler et la reporter. L’exemple invoqué par nos confrères algérien tombe si mal en effet que Charles III d’Angleterre est un Roi et son accueil justifierait a contrario le protocole royal, fastueux et emblématique que la France en désordre, sens dessus-dessous ne pouvait lui assurer.

Crainte d’un boycott en France

Aux dernières nouvelles, on nous annonce que les préparatifs de la visite de Tebboune à Paris laissent beaucoup à désirer, autrement dit, ils ont foiré, et l’analyse du contexte bilatéral nous rappelle en effet que la dernière visite d’un chef d’Etat algérien en France, Abdelaziz Bouteflika en l’occurrence arrivé au pouvoir une année auparavant, remonte à 2000, ouvrant paradoxalement un boulevard de malentendus tout aussi tenaces, persistants et portant l’estampille plus de la crise que de l’entente. Le voyage de Bouteflika à Paris, marqué par un discours solennel à l’Assemblée nationale française, était en vérité boycotté par les députés de droite et un certain nombre de Français.

L’ombre d’un boycott  similaire, notamment de la part des députés de droites, comme aussi de mouvements de protestation de militants d’organisations des droits de l’Homme et d’opposants au régime militaire d’Alger, plane sur cette visite reportée théoriquement à juin prochain. De report en report, comme si le mauvais sort jetait son dévolu poisseux devant les pas de Tebboune à l’ombre d’un Chengriha qui est à Tebboune ce que les janissaires étaient au Pacha de Turquie, un soupçonneux vigile, la parade souhaitée par Tebboune aurait-elle lieu ? Effacerait-elle subitement le souvenir des dernières crises entre les deux pays, notamment celle suscitée par l’affaire Bouraoui qui a provoqué, soi-disant l’ire de Tebboune ?

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