Les réseaux sociaux sont-ils en train de bouleverser notre rapport à la vérité?
Dossier du mois
Hicham Daoudi, Fondateur de la Compagnie Marocaine des OEuvres et Objets d’Art, Président d’Art Holding Morocco
La culture digitale, annonce-t-elle un nouveau pouvoir?
Comme des centaines ou des milliers de Marocains, je me prends au jeu de parler d’actualité ou, parfois, de l’éviter, soigneusement, tant que je ne maîtrise pas le sujet. C’est que les réseaux sociaux nous noient d’informations qui nous interpellent ,parfois ou nous scandalisent. Ces informations, nous les classons, aujourd’hui, aisément, en trois catégories distinctes :
Fiables et utiles (sources connues, diffusées par des journalistes et des scientifiques qui traitent de deux versants d’un sujet et qui livrent des conclusions et des interprétations factuelles).
– Stériles mais agréables (informations people, nouvelles de vos amies, contenus musicaux, archives de films) qui vous détendent.
– Malintentionnées et haineuses (articles orientés avec des titres chocs, aux contenus creux, discours de propagande où se mêlent racisme, antisémitisme, homophobie, intolérance et intégrisme).
La troisième catégorie est celle qui m’interpelle, personnellement, le plus, et qui déchaîne mes colères car j’y vois le bras invisible d’un nouveau pouvoir : celui de la haine au service de groupements d’intérêts invisibles. Si Donald Trump a immortalisé l’expression Fake News, nous constatons, même à notre modeste niveau au Maroc, le poids que cela représente, aujourd’hui, dans notre paysage médiatique et politique, obligeant nos ministères à émettre, parfois, des démentis ou clarifier des actes pour calmer les grondements populaires.
Intox sur les réseaux sociaux, l’effet papillon
Les réseaux sociaux deviennent, partout dans le monde, l’outil de diffusion de messages «toxiques» auprès des masses grâce à une forme de séduction habile distillée par certaines images, propos accessibles, et titres angoissants capables de faire basculer un électorat vers un camp déterminé, radicaliser des populations en exerçant une forme de séduction, ou nourrir le sentiment d’angoisse capable de prendre en otage toute une population. La technique est ancienne et a toujours existé sauf qu’elle était véhiculée, auparavant, par des affiches ou des articles de journaux confidentiels qui touchaient un faible public (ces produits étaient très facilement détectables et effaçables parfois à la sortie même des imprimeries).
Le pouvoir démultiplicateur des réseaux sociaux a sorti ce type d’informations et de propagande de l’anonymat pour l’institutionnaliser au même titre que les informations crédibles, leur donnant la même visibilité sur les réseaux sociaux, créant un «véritable coup d’état» intellectuel.
Nous l’avons vu lors de la campagne anglaise du Brexit, de l’élection américaine (avec les mails diffusés par wikileaks), des printemps arabes, de l’embrigadement étranger de Daesh, de l’impact de la culture digitale et ses résultats. La culture digitale haineuse ou angoissante force, désormais, les pouvoirs établis ou les balaye, obligeant, aujourd’hui, tous les gouvernements du monde à garder en permanence un oeil rivé sur les différentes blogosphères car un «accident» peut si vite arriver, une vidéo virale ou une image peuvent anéantir ou ruiner un travail gouvernemental de plusieurs années.
Lieu d’affrontements idéologiques contemporains
Au Maroc, la culture digitale est l’outil et en même temps le terrain de conflit privilégié entre les camps conservateurs et progressistes de notre société, autour de sujets clivants comme la place de le femme dans la société, les dysfonctionnements sociaux et politiques, et bien sûr, le plus grand tabou que représente le poids du champ religieux.
Nul doute pour nous que tous ces combats idéologiques s’y jouent en ce moment même et qu’il ne faut pas délaisser ce terrain qui requiert surtout l’attention de nos politiques, des intellectuels, et de la société civile. À terme, il est important que ces grands médias sociaux ne puissent plus être inondés par des sources qui ne seraient pas accréditées après tout un travail de vérification. J’appelle, de mes voeux les plus chers, que la culture digitale soit orientée vers le renouveau scientifique, la transition écologique, le pacifisme et le mieux vivre ensemble en diffusant des « contenus propres », c’est-à-dire vérifiés et qui ne servent aucune propagande invisible.
Les gouvernants du G7 et du G20 semblent conscients du danger que cela représente, aujourd’hui, et réfléchissent aux actions menées pour lutter contre ce fléau. Espérons qu’au Maroc aussi nos politiques s’inscriveront dans cette lutte pour réduire la toxicité des faux contenus qui pullulent sur la toile.