Les réseaux sociaux sont-ils en train de bouleverser notre rapport à la vérité?
Dossier du mois
Brahim Sallaki, Journaliste
La formidable renaissance du café du commerce
L’image est quasi-universelle : les citoyens attablés s’échangent des vidéos, des titres aguicheurs de sites web, des photos on ne peut plus réelles, chacun jurant, parole d’expert, détenir l’indélébile vérité. L’agora est hélas devenue inaudible, assourdissante de statuts facebookiens, hurlant chacun ses convictions tantôt sûres, tantôt tourmentées. Le réseau social a enfanté le média social. Ce dernier avançant, inéluctablement, vers un maillage pervers annonçant l’avènement du mainstream totalitaire. Car il est aussi tentateur que le malin. Il est facile pour le rédacteur, fut-il professionnel, de s’écarter, d’un si tout petit peu, de la déontologie du rapport de l’information. Face à la déferlante des émoticônes, il pourrait être même doux, voire sécurisant de se laisser bercer dans le bon sens du courant. Un peu de paresse aidant, le sujet se dilue dans la forme, pour le fond, attendant l’éclaircie. La fulgurance de la parution sur Facebook a de quoi rendre vert de rage les médias traditionnels. La seule option reste un contenu plus fouillé, plus détaillé.
La surenchère guette, au risque de ne plus informer, mais plutôt chercher à émouvoir, voire choquer. Au-delà des affrontements idéologiques qui ne connaissent, eux, aucune limite dans la manipulation et le mensonge, on assiste à l’émergence d’une débauche de délations et de dénonciations publiées à l’emporte-pièce, photos à l’appui parfois. Passé le premier statut publié, l’objet ciblé est alors, exponentiellement, condamné, puis porté au gibet. C’est la fin, l’ordalie est prononcée, le droit à l’oubli n’existe pas sur la toile. On constate déjà, hélas, que la modération des commentaires n’est plus ce qu’elle fut. La grossièreté le dispute à l’accusation gratuite, bien à l’abri de pseudos eux-mêmes révélateurs. Inexorablement, le réseau social entraîne, par ses dérives, le quelque peu de sérieux qui subsiste dans la presse électronique. À tel point que certains sites satiriques sont parfois gobés au pied de la lettre. «Oui, je l’ai lu sur Internet» et c’est parole d’évangile. La chasse aux clics devient alors jeu de cliques, surfant sur le moindre événement pour émerger du lot. Se faire un nom dans ce milieu est l’affaire de minutes, voire de secondes, et dans ce sprint final, qu’importe le chemin… Le journaliste est emporté par la foule et inversement. La boucle est bouclée et le cercle se referme.