Russie-Ukraine : les points de bascule sécuritaires et géopolitiques
Par Amine Ryad
Guerre, crise, opération spéciale, conflit armé… les termes sont sélectionnés et choisis pour décrire l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Quelque soit le terme pour qualifier « diplomatiquement » la réalité d’un conflit armé, lui bien réel, sur le terrain, entre deux belligérants, les attributs d’une guerre sont bien là.
Invasions territoriales, violences et combats par armées et militaires interposés, morts par centaines dès les premiers jours, fuite de civils et des réfugiés par dizaines de milliers hors des zones de conflits, condamnations internationales et diplomatiques en des termes forts de l’agresseur désigné, la Russie, sont les réalités d’un conflit armé qui fait basculer le monde dans une nouvelle ère. La doctrine de la paix entre les géants de ce monde sur laquelle reposait la dissuasion nucléaire s’est écroulée sous nos yeux. Elle n’est plus ce « garant de paix » qui s’appuyait sur la responsabilité et l’engagement convenu de « non agression mutuelle », de crainte de déclencher un cataclysme planétaire et existentiel, d’où l’humanité ne pourrait en sortir indemne.
Des points de bascule se profilent à l’horizon sur la scène mondiale. L’Europe qui repense en profondeur sa conception de la politique de défense héritée de l’après-guerre mondiale de 1945 désormais perçue comme caduque. Des pays chantres du pacifisme après les traumatismes de la seconde guerre mondiale, comme l’Allemagne le Danemark et la Suède, qui se réarment massivement de crainte pour leur sécurité nationale. Les Etats-Unis qui, ne savent plus comment réagir et protéger ses alliés dans ce conflit vu l’impuissance à engager l’instrument de défense que représente l’OTAN. Celle-ci est habilement désignée par les dirigeants Russes, comme la cause principale du conflit dissuadant l’Europe et les Etats-Unis, d’interférer à moins d’une escalade, selon le Kremlin, vers l’inconnu en cas d’usage de la force de l’OTAN.
Des alliances et contre alliances diplomatiques entre blocs de puissance cristallisent différentes postures parmi les pays qui composent le monde d’aujourd’hui selon les jeux d’intérêts et de pouvoirs que suscitent ce conflit aux allures de troisième guerre mondiale. Le choix des positions diplomatiques entre soutiens, neutralités, réserves et retenues, non alignement…se déploient parmi la panoplie classique des postures diplomatiques. Chaque État et gouvernement puise dans son répertoire d’intérêts et des visions d’un monde de plus en plus complexe, les éléments de langage qui lui conviennent pour exprimer sidération, condamnation, réprobation, soutien.
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L’arme des sanctions saura-t-elle faire plier le Kremlin ?
Comme toujours, les principales victimes sont les populations civiles qui pour certains choisissent la résistance armée et pour les plus nombreux, la fuite pour se protéger des violences guerrières.
Les réponses apportées par les États Unis et leurs alliés se polarisent sur une nouvelle forme de guerre à caractère morale et économique destinée à isoler la Russie et impacter son économie avec l’espoir très ténu d’une opposition intérieure qui obligerait les dirigeants à stopper « les opérations militaires ». L’arme des sanctions internationales saura-t-elle faire plier le Kremlin ? Rien n’est moins sûr mais leur impact n’est pas à négliger sur la durée. Les sanctions à caractère personnel de l’oligarchie russe pourraient en effet semer le doute sur l’utilité et le prix à payer de cette guerre aux finalités elles mêmes « douteuses ».
Les objectifs recherchés par le Kremlin d’accroître sa zone de sécurité vitale ne sera pas garantie car l’OTAN y trouve une justification à son renforcement ainsi qu’une plus grande acceptabilité politique et sociale à cela. L’Europe, de son côté, retrouve une unité mise à mal ces dernières décennies. Les Etats-Unis redeviennent le pivot stratégique de la sécurité mondiale et renforceront leurs alliances sécuritaires ainsi que leur arsenal stratégique de renseignement et de présence militaire à un niveau jamais atteint auparavant face à une menace devenue palpable et réelle que représenterait la Russie. Celle-ci à son tour cherchera à briser son isolement en réactivant des alliances potentielles avec la Chine, voire avec l’Inde, dans un monde de demain qui se redessine sur le plan des rapports de forces sécuritaires, politiques et géo-économiques au travers de ce conflit.
L’Afrique et le Monde arabe quant à eux, restent les spectateurs passifs comme devant un spectacle d’une « guerre des titans » et continueront de former l’espace privilégié d’enjeux sécuritaires et géopolitiques qui les dépassent. A moins de savoir en tirer des enseignements, de se ressaisir, de cesser leurs divisions et de redéfinir leur positionnement stratégique sur une base renouvelée des valeurs d’autonomie et de souveraineté, de démocratie, de paix et de sécurité. Pour l’instant, les uns et les autres, au contraire s’observent et ne savent pas où « donner de la tête » et/ ou pour certains du moins à en rester éloigné et feignant d’être non concerné pour ne fâcher personne. Triste spectacle que la scène géopolitique mondiale actuelle.