Séisme au Maroc : une reconstruction au défi de multiples contraintes
Par Monceyf Fadili (*)
Un an après le séisme de magnitude 6,9 qui a frappé la région de Marrakech le 8 septembre 2023, faisant 3.000 morts, 5.500 blessés et des dizaines de milliers de sans-abri, se pose la question de l’avancement de la reconstruction, des modalités de mise en œuvre et des délais impartis, dans un environnement soumis à des contraintes économiques et sociales, que le tremblement de terre n’a fait qu’accentuer.
L’une des premières initiatives consécutives au séisme aura été l’instruction royale pour la mise en place d’un plan de secours, d’assistance et d’accompagnement des populations sinistrées, et la constitution d’un comité interministériel chargé du programme de reconstruction.
Un fonds d’aide d’urgence de 20.000 DH (2.050 $) a été débloqué aux familles sinistrées, premier versement à la reconstruction ou à la réhabilitation des logements, complété d’une aide mensuelle de 2.500 DH (250 $) – logements totalement ou partiellement détruits – concernant 64.000 familles sur 11 mois, soit 1,760 milliard DH.
Une reconstruction entre contraintes physiques et processus de mise en œuvre
La zone du séisme couvre une superficie de 53.135 km2 représentant cinq provinces (Al Haouz, Azilal, Chichaoua Ouarzazate, Taroudant) et une préfecture (Marrakech), pour une population estimée à 2.600.000 hab. et 578.000 ménages (Haut-Commissariat au Plan, HCP – 2023). L’environnement majoritairement montagneux, les difficultés d’accès et l’habitat dispersé – plus de 6.000 douars en partie ou totalement détruits – ont été les premières contraintes rencontrées par les équipes de secourisme et de déblaiement représentées par l’armée, la gendarmerie et la protection civile.
Un constat que révèle l’ampleur de la catastrophe : sur les 244 communes que compte le territoire, 169 communes sont sinistrées (69%). Sur cet effectif, 57% concernent les seules provinces d’Al Haouz et Taroudant, les communes d’Al Haouz étant entièrement sinistrées. Le déblaiement des logements détruits, des routes et des pistes rurales aura été l’une des priorités ; effectuée à plus de 90%, cette opération a permis de rétablir la circulation des personnes et l’acheminement des biens et matériaux nécessaires à la reconstruction.
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Parmi les principales contraintes physiques rencontrées figurent le relief (1.000 à 2.000 m d’altitude), les routes accidentées et une desserte par piste rurale qui accentue l’enclavement, la distance moyenne du logement à la route goudronnée étant de 6 km ; 8 km dans la province d’Azilal, avec de fortes disparités (moyenne nationale de 3 km).
Il est à noter que le processus de construction a été lancé dans un contexte de démarrage simultané des travaux, en présence d’une main-d’œuvre peu nombreuse et peu qualifiée, et de contraintes liées à l’acheminement des matériaux de construction.
Autant de facteurs qui inscrivent, de facto, le processus de reconstruction dans le temps long, si l’on tient compte des nécessaires étapes de montage technique et administratif liées au constat de l’état du bâti, et au fait que la reconstruction in situ a été adoptée par la quasi-totalité des populations sinistrées.
Les principales phases du processus de reconstruction concernent l’étude géotechnique en laboratoire public, le plan architectural avec structure antisismique (fondations – poteaux – poutres – dalles), l’autorisation de construire et le suivi des travaux.
Pour rappel, trois tranches de versement allouées à la reconstruction suivent la première tranche d’aide d’urgence, sur la base d’un dépôt de dossier auprès des collectivités territoriales et d’un suivi, pour un total de 80.000 DH. Parallèlement, une aide financière directe de 140.000 DH est attribuée par tranches pour les logements totalement détruits, soit un total de 55.000 autorisations de construire déposées, pour des logements à l’origine précaires et vulnérables aux tremblements de terre, si l’on considère que 50% des logements sont constitués de pisé ou pierre – 60% pour Al Haouz – et 42% en béton armé, briques ou parpaings.
Une reconstruction avancée : le cas de Télouet
La commune rurale de Télouet est située à 80 km au Nord-Ouest de Ouarzazate, chef-lieu de province. D’une superficie d’environ 1.000 km2 et d’une altitude moyenne de 1.800 m, elle fait partie des espaces sinistrés d’altitude et enclavés, la quasi-totalité de ses 45 douars étant desservis par piste.
La commune compte 15.000 habitants pour 2.500 ménages, soit 6 personnes par ménage (moyenne de 4,5 pour l’ensemble des zones sinistrées).
Sur les 745 maisons démolies, le taux d’avancement des travaux varie entre 60% et 70%, incluant la reconstruction et le confortement du bâti. Le parti constructif des logements est la brique de terre cuite, ou le parpaing dans la plupart des cas. Un choix délibéré des habitants pour des raisons de rapport entre coûts et délais d’exécution, et compte tenu de l’absence de main-d’œuvre qualifiée dans les techniques de construction en pisé et en pierre, qui représentent moins de 5% de l’ensemble des constructions.
La totalité des habitations est soumise aux normes antisismiques.
Une nécessaire structure de coordination et de suivi pour la reconstruction
A septembre 2024, sur les 58.000 familles ayant perçu un premier versement de 20.000 DH, 36% avaient perçu un deuxième versement, 15% un troisième versement et seulement 1,6% un quatrième versement, soit 939 familles. Un faible taux, au regard de l’état de précarité des familles et du nombre de sans-abris qui s’apprêtent à affronter un deuxième hiver.
Un premier bilan révèle qu’un an après le séisme et pour la seule province d’Al Haouz, où la quasi-totalité des logements a été détruite (23.360), 1.000 logements ont été achevés (5%), au titre de la reconstruction et de la réhabilitation ; très peu, compte tenu de la situation d’urgence et du rythme attendu de la reconstruction. Une situation similaire de retard est à relever quant aux conditions d’hébergement des populations sans-abri. Sur un total de 27.000 ménages à l’échelle de la province d’Al Haouz – dont les logements ont été partiellement ou entièrement détruits –, 8.200 occupent des tentes (30%) dans une situation de sous-équipement et sous des températures contrastées, négatives l’hiver, caniculaires l’été.
Ces retards en matière de relogement, qui posent avec acuité le retour des populations à la vie normale, intègrent un vaste programme de reconstruction générale des provinces sinistrées selon quatre composantes : (i) la reconstruction des logements et la réhabilitation des infrastructures ; (ii) le désenclavement et la mise à niveau des territoires ; (iii) la résorption des déficits sociaux ; (iv) l’encouragement de l’activité économique et de l’emploi.
Sur un programme prévisionnel de 120 milliards DH (12,3 milliards $) sur cinq ans (2024-2028), les composantes relatives à la résorption des déficits sociaux et à l’encouragement de l’activité économique représentent 82% de l’enveloppe consacrée au post-séisme, témoignant de l’urgence d’un vaste plan de rattrapage et de mise à niveau des provinces sinistrées, parmi les plus pauvres au Maroc : le taux de pauvreté monétaire des zones sinistrée est de 8% pour une moyenne nationale de 4,8%, et plus de 20% de la population d’Al Haouz vit en situation de vulnérabilité économique, le double de la moyenne nationale (12,6%).
Des indicateurs qui, au-delà de l’urgence du relogement et du rétablissement du lien social, interpellent sur la dimension d’un processus de développement à moyen terme, dont la programmation et la mise en œuvre doivent avoir pour cadre une structure dédiée à la reconstruction, fédératrice des parties prenantes à la reconstruction aux niveaux institutionnel, élu et associatif.
Le projet d’une telle structure s’est imposé au lendemain du séisme à travers le décret-loi portant création de l’Agence de développement du Haut Atlas (Bulletin officiel, 5 octobre 2023), établissement public ayant pour mission la supervision du programme de reconstruction et de réhabilitation des zones sinistrées, en coordination avec l’ensemble des départements et acteurs concernés.
Cet établissement, dont la feuille de route était censée être effective après sa promulgation, n’est pas opérationnel à ce jour, le chantier de la reconstruction relevant du comité interministériel coordonnée par le Chef du gouvernement, notamment relayé par les ministères de l’Intérieur, de l’Equipement et de l’Habitat. Un manque certain, là où une structure mandatée, aux objectifs et missions impartis, aurait donné tout son sens à la volonté politique d’inscrire la création d’un établissement public selon une démarche de reconstruction d’urgence et une vision stratégique territoriale.
Une telle structure serait à même de donner une réelle portée au processus de décentralisation préconisé par la Constitution de 2011, et d’impliquer les Régions de manière active, conformément à leurs prérogatives, les provinces et préfecture sinistrées relevant des Régions de Béni Mellal-Khénifra, Drâa-Tafilalet et Marrakech-Safi. L’opportunité d’une approche concertée et partagée en faveur d’espaces laissés-pour-compte, pour un développement territorial inclusif et durable.
(*) Monceyf Fadili
Expert international en planification urbaine et développement territorial
Ancien Conseiller UN-Habitat