Séisme au Maroc : vers une nouvelle approche territoriale
Par Monceyf Fadili (*)
Le tremblement de terre qui a frappé le Maroc le 8 septembre 2023 a surpris autant par son intensité que par les dégâts occasionnés, avec 3.000 morts, 5.500 blessés et des dizaines de milliers de foyers sans abri. De magnitude 6,9 avec pour épicentre Ighil (80 km au Sud-Ouest de Marrakech), il a été ressenti en Algérie, Espagne et Portugal. Il n’est pas sans rappeler le séisme d’Agadir de 1960 qui causa la mort de 12.000 personnes et détruisit la ville dans son intégralité, et celui d’Al Hoceima en 2004, qui fit plus de 600 victimes. Le Maroc, proche des plaques africaine et eurasienne, demeure une zone à risque sismique.
Sur instruction royale, un certain nombre de dispositions ont été mises en place, parmi lesquelles un plan de secours, d’assistance et d’accompagnement des victimes à l’échelle des provinces d’Al Haouz, Taroudant et Chichaoua, et la constitution d’un comité interministériel en charge de l’élaboration d’un programme de reconstruction des zones sinistrées.
Une réactivité et une mobilisation à la mesure du séisme
La force d’intervention des différents corps représentés par l’armée, la gendarmerie et la protection civile s’est avérée d’une rare efficacité, dans une configuration topographique montagneuse, traduisant la capacité de mobilisation d’équipes préparées aux situations d’urgence, et leur coordination sous la supervision d’un commandement unifié sur des champs complémentaires : génie militaire pour l’ouverture des pistes entravées par les éboulements ; installation des camps d’accueil ; unités médico-chirurgicales pour les premiers soins et la prise en charge des blessés ; logistique pour l’acheminement des équipements et matériels d’urgence ; secours héliportés appuyés par des drones pour couvrir les zones inaccessibles ; équipes de secourisme, de sauvetage et de déblaiement. Egalement les équipes de recensement des pertes humaines et matérielles, et les équipes de soutien psychologique pour diriger les survivants – notamment les femmes, enfants et personnes âgées – vers les structures d’accueil.
Un dispositif dont la réactivité s’est révélée à la mesure de la secousse tellurique, complété d’un vaste élan de générosité citoyenne, par l’acheminement de convois de denrées alimentaires et d’équipements de première nécessité, et par une mobilisation pour le don de sang. Sans omettre les équipes en provenance de pays éprouvés dans les secours de première urgence, donnant un sens à la solidarité et à la coopération internationale.
Conformément au processus de reconstruction, le Cabinet royal annonçait trois mesures phares :
- l’ouverture d’un compte spécial dédié à la reconstruction, qui a franchi le seuil des 10 milliards DH (plus d’un milliard $) ;
- l’attribution d’une aide d’urgence de 000 DH (3.080 $) aux ménages sinistrés, 140.000 DH (14.400 $) pour les logements totalement effondrés et 80.000 DH (8.230 $) pour les logements partiellement effondrés ;
- un budget prévisionnel de 120 milliards DH (12,34 milliards $) sur 5 ans, pour un programme intégré couvrant les 6 provinces et préfecture sinistrées (Marrakech, Al Haouz, Taroudant, Chichaoua, Azilal, Ouarzazate), soit 4,2 millions d’habitants.
Une catastrophe naturelle dans un espace marqué par la pauvreté
La destruction, totale ou partielle, de plus de 6.000 douars dans un rayon de 50 km de l’épicentre du séisme, sur des hauteurs variant entre 1.000 et 2.000 m – jusqu’à 2.500 m sur les crêtes – donne l’ampleur de l’échelle de la reconstruction, en termes de désenclavement, relogement, résorption des déficits sociaux et promotion d’activités économiques. Des chantiers qui font ressortir les lourds déficits inhérents au monde rural, particulièrement en zone montagneuse, que le tremblement de terre vient de rappeler avec force.
C’est en effet l’habitat rural, fait de pisé, de pierre et de bois, mais aussi les différentes formes d’habitat informel et non-réglementaire, qui sont les plus vulnérables aux séismes et à leurs conséquences dévastatrices. A l’instar de la majorité des catastrophes naturelles, ce sont les populations pauvres qui subissent le plus de pertes, en raison du retard criant qui caractérise le monde rural en termes d’infrastructures et de desserte, d’équipements et services de base. Un lourd tribut que paient les provinces d’Al Haouz, Taroudant et Chichaoua, qui figurent parmi les plus pauvres du Maroc. Les deux premières provinces comptent à elles seules 80 % des douars détruits et 90 % des morts et blessés.
Les programmes d’appui au monde rural et aux zones de montagne qui se sont succédé au cours des trente dernières années ont permis d’améliorer les conditions de vie, à travers l’électrification et l’ouverture de pistes, l’éducation de base et les centres de soins, mais l’éparpillement des douars (33.000 à l’échelle nationale), accentué par l’enclavement des zones de montagne et la quasi- absence d’activités économiques génératrices de revenus, n’ont pu endiguer le fléau de la pauvreté et la fracture entre monde rural et monde urbain – sur le plan territorial, entre le littoral atlantique des plaines, articulé autour du corridor urbain Kénitra-Rabat-Casablanca-El Jadida, et le Maroc intérieur des plateaux, montagnes et espaces oasiens.
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Une fracture qui génère un flux migratoire vers les villes de 200.000 personnes par an.
En 1996-1997, le Programme de priorités sociales – connu sous le sigle arabe « BAJ » –, retenait les provinces d’Al Haouz, Taroudant et Chichaoua parmi les 14 prioritaires, sur les 75 provinces et préfectures du Maroc, dans le cadre de l’appui à l’éducation et la santé de base en milieu rural, et la promotion nationale. Ce programme était relayé en 2005 par l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain) axée sur la lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, pour des actions de développement du préscolaire (Al Haouz), activités génératrices de revenus pour les jeunes (Taroudant) et accès aux services sociaux de base (Chichaoua).
Un ensemble de programmes et projets dont les effets induits sur les territoires, l’amélioration des conditions de vie et la réduction de la pauvreté restent à confirmer, si l’on se réfère au rapport du Conseil économique, social et environnemental (Saisine 21/2017, Chambre des Représentants), qui notait que « les avancées réalisées par ces projets et programmes n’ont pas contribué à améliorer réellement les conditions de vie des populations vivant dans les zones de montagne », de même qu’ils « ont été souvent conçus, sans une vision intégrée ni des approches adaptées aux particularités de ces zones ». Une évaluation confirmée par la Cour des comptes (2017) qui relevait le « faible taux d’utilisation des ressources du Fonds », l’« absence d’instruments et mécanismes de suivi et de contrôle des opérations », et des « failles organisationnelles au niveau du suivi des projets ».
Une reconstruction entre réorganisation spatiale, sécurité et intégration
Une première estimation avance la construction de 50.000 logements, pour une population évaluée à 300.000 habitants. Reloger s’avère une urgence, qui implique l’élaboration d’une stratégie unifiée entre les différents intervenants, tout en favorisant l’approche participative. Une démarche prise en charge par le comité interministériel constitué sur instruction royale, en attendant la proche création d’une agence pour la reconstruction des provinces sinistrées.
Dans cette perspective, une nouvelle approche spatiale est à considérer pour la phase de reconstruction, compte tenu du nombre de douars sinistrés (6.210) et de leur éparpillement (zones enclavées, faible desserte, habitats difficiles d’accès), de l’impact de destruction (rayon de 50 km), et du déficit persistant d’infrastructures et d’équipements, dans un contexte climatique hostile (gel et neige) durant la période de décembre à mars.
Autant de facteurs qui ne militent pas en faveur d’une reconstruction in situ selon les méthodes traditionnelles, pour des questions d’optimisation des coûts, de délais d’exécution, de mobilisation de la main-d’œuvre, de rationalisation des infrastructures et équipements sociaux, mais aussi de sécurité, l’habitat vernaculaire ayant montré sa grande vulnérabilité aux séismes.
Une relocalisation planifiée et concertée est l’une des alternatives pour une reconstruction viable, qui s’accompagne d’un logement décent, salubre et sécurisé, dans un environnement intégré disposant des services essentiels – qui font défaut aux douars –, tout comme en termes de formation qualifiante et d’opportunités d’activités génératrices de revenus, que les zones de montagne ne peuvent offrir, en dehors des activités de petit élevage et d’arboriculture, de faible rendement.
La province d’Al Haouz, qui est la plus affectée en pertes humaines et dégâts matériels, présente les atouts et les opportunités d’un redéploiement des douars les plus touchés, dans un environnement social, culturel et linguistique (Tachalhit) n’excédant pas un rayon de 30 km. Un dispositif dont l’articulation serait la R203 rejoignant Marrakech à Taroudant par Tizi N’Test, sur la portion Asni
– Talat N’Yaaqoub. Un tronçon de route régionale qui dépend du Cercle d’Asni, parcouru par trois communes ayant statut de Caïdat : Asni (21.000 hab.) ; Ouirgane (7.000 hab.) ; Talat N’Yaaqoub (7.700 hab.), relayés par Ijoukak (7.000 hab.) et Imgdal (5.500 hab.) ; soit une distance de 50 km à une moyenne d’altitude de 1.200 m.
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Un environnement caractérisé par un encadrement administratif relayé par les structures institutionnelles ad hoc, desservi en transports, disposant d’un cadre de construction viable, des équipements de base (électricité, eau potable, assainissement, télécommunications), complété par l’accès à l’éducation et la formation, les soins de santé et les échanges portés par les marchés hebdomadaires. Un minimum requis pour promouvoir l’équité territoriale et combler le déficit de justice sociale.
Le modèle de construction doit être pris en charge par l’Etat et sous son contrôle, en partenariat avec les bureaux d’études techniques et le secteur privé. Un compromis de parti architectural en R+1 peut être étudié, dans une relation entre structure en béton, fondations et façonnage des ferraillages appropriés, avec murs de remplissage en pierre ou terre crue, pour optimiser les bilans thermiques, sur la base de normes, standards et réglementation en matière de construction parasismique, absents de l’habitat traditionnel.
Reconstruire dans les meilleurs délais est aujourd’hui le maître-mot. Une urgence qui pose la question des choix et alternatives, des modalités et moyens de mise en œuvre, pour un chantier
inscrit dans la durée qui devra faire appel à un processus de concertation, afin de répondre aux attentes et besoins des populations sinistrées, tout en assurant un environnement sécurisé.
Pour la jeunesse des douars, laissée-pour-compte, il s’agit d’une opportunité d’ouverture et d’intégration au monde, notamment les filles, exposées à l’abandon scolaire, au mariage précoce et à la corvée d’eau et de bois. Pour les habitants des provinces touchées par le séisme, la reconstruction doit redonner espoir en une vie meilleure, ainsi que dans les autres espaces de montagne, dans une démarche d’intégration territoriale, d’émancipation sociale et de dignité humaine.
(*) Monceyf Fadili : Expert international en planification urbaine et développement territorial / Ancien Conseiller ONU-Habitat