Sénégal: Le pouvoir et l’opposition à couteaux-tirés à la veille des législatives
Les élections législatives au Sénégal sont prévues le 31 juillet 2022. Elles sont cristallisées par l’opposition entre la liste soutenant le président Macky Sall et la liste de la coalition dénommée « Yewwi Askan Wi » (Libérer le peuple), dirigée par le candidat, arrivé 3èm à la dernière élection présidentielle, Ousmane Sonko. Ces élections se déroulent dans le contexte d’une montée des luttes sociales et des mobilisations populaires, contestant à la fois la politique intérieure et extérieure du gouvernement de Sall.
Au Sénégal, les élections législatives s’inscrivent sur le fond d’une montée de l’opposition qui atteste à la fois le développement des mouvements sociaux et les résultats électoraux.
Sur le plan intérieur, il est reproché au président du Sénégal, Macky Sall, la dégradation de la situation économique des classes populaires et une mauvaise gouvernance. Sur le plan extérieur, la critique porte sur l’alignement du Sénégal sur les sanctions contre le Mali en particulier.
En janvier 2022, les élections municipales ont consacré une victoire de l’opposition à Dakar ainsi que dans les 2 plus grandes villes du pays. Cette défaite gouvernementale survient après une longue bataille d’opinion et juridique entre le camp du pouvoir et l’opposant Ousmane Sonko. Le 11 février 2021, l’opposant fut ainsi accusé de viol. Placé en garde à vue puis relâché sous contrôle judiciaire et interdit de sortie du territoire national, il dénonce ces poursuites comme étant « une tentative de liquidation politique ». La convocation de Sonko a occasionné des manifestations dans tout le pays où ses partisans ont fait face aux forces de l’ordre pour exiger sa libération. Ces affrontements violents ont lieu dans plusieurs villes du Sénégal, entre manifestants ont fait un bilan de14 morts et des centaines de blessés.
Ces manifestations populaires du mois de mars sont telles que le gouvernement sénégalais est contraint de libérer Ousmane Sonko, qui appelle à la poursuite des mobilisations de manière pacifique. C’est ce contexte global que s’ajoute l’annonce de l’invalidation de la liste de l’opposition par le Conseil constitutionnel, le 3 juin dernier. Cette annonce a suscité la colère populaire. La manifestation prévue le jour même de cette annonce est interdite et finalement autorisée le 8 juin.
Lors de cette manifestation du 8 juin dernier une foule de plus de 300 000 personnes est au rendez-vous et la colère également. Le porte-parole du gouvernement, Oumar Gueye, déclare ainsi, au lendemain de celle-ci, « des rebelles venus du Sud du pays (de la Casamance, une région en proie à une rébellion, qui a débuté depuis 1980, ndlr) ont profité de la manifestation de « Yewwi Askan Wi » à Dakar pour s’infiltrer dans la capitale ». Ce faisant, l’opposition s’insurge contre les propos du porte-parole du gouvernement, qui selon eux, « vise à tester et préparer l’opinion publique sénégalaise à des mesures plus radicales pour faire taire cette opposition devenue dangereuse ».
De son côté, le leader du mouvement patriotique et anti-impérialiste, Guy Marius Sagna, commente comme suit cette accusation. Sur sa page Facebook, il charge le président sénégalais et l’accuse d’être : « le premier rebelle au Sénégal. La rébellion néo-coloniale menée par le président Macky Sall n’a que trop duré… », accuse Sagna le président Sall.
Guy Marius Sagna relie la situation sénégalaise aux enjeux internationaux pour plusieurs raisons. La première raison est l’importance géostratégique de ce pays lui conférant, selon l’économiste et géographe de la Sorbonne, Gérard François Dumas, « un rôle de plaque tournante dans les différents échanges entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique ».
La deuxième raison est historique et politique. Au moment des indépendances, l’ancien colon s’appuya sur l’ancien président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, qui accède ainsi au pouvoir avec la bénédiction de Paris. Depuis, les gouvernements successifs à Dakar ont soutenu indéfectiblement Paris dans les politiques africaines.
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Ainsi, pour toutes les stratégies françaises en Afrique, le Sénégal devint ainsi un des piliers les plus sûrs de la politique africaine de Paris.
La troisième raison est économique avec l’ouverture l’année prochaine de l’exploitation d’un important champ de gaz et de pétrole dans l’Atlantique. La production future est estimée à 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié par an en 2023 et pourrait atteindre 10 millions de tonnes en 2030. Les réserves de ce qui pourrait bien devenir l’un des plus grands champs gaziers d’Afrique, appelé la Grande tortue est estimé à 1400 milliards de mètres cubes de gaz dans les eaux maritimes mauritaniennes et sénégalaises.
Dans un contexte de guerre du gaz, en toile de fond la guerre en Ukraine où la stratégie États-unienne contre la Russie consiste à priver celle-ci du marché européen pour ses exportations d’hydrocarbures. Pour ce faire, elle propose de compenser le gaz russe par son gaz et son pétrole de schiste, complété par des approvisionnements secondaires. La décision israélienne d’exploiter une nappe libanaise entre dans cette logique. Selon l’opposition et quelques voix dissidentes au Sénégal, le probable soutien de Paris à Macky Sall entre dans cette logique. Le président Sall déclare, à l’occasion de la crise en Ukraine, « nous sommes prêts, nous au Sénégal à travailler dans une perspective d’alimenter le marché européen en gaz naturel liquéfié. » Cette déclaration a ravivé les tensions entre le pouvoir et l’opposition.