Soins psychiatriques, un fléau presque oublié ?

Au Maroc, les soins psychiatriques traversent une crise profonde. Les hospitalisations dans les établissements psychiatriques s’étendent souvent sur plusieurs années, voire toute une vie. Cette réalité, soulignée par le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, révèle une pression extrême sur le système de santé mentale du pays, caractérisée par des hôpitaux surpeuplés et des retards à répondre aux besoins urgents des patients.

Des hospitalisations interminables et des infrastructures surchargées. Dans les cinq régions étudiées par la Cour des comptes, le taux d’occupation des lits psychiatriques a explosé, passant de 88 % en 2020 à 112 % en 2022. Ces chiffres illustrent une réalité alarmante : les établissements admettent des patients au-delà de leur capacité, compromettant la qualité des soins et aggravant les conditions de prise en charge. Cette surcharge a pour conséquence directe de priver les patients en détresse de soins immédiats, une situation critique pour ceux dont l’état requiert une intervention urgente.

Un quart des lits disponibles sont occupés par des patients ne relevant pas nécessairement de soins psychiatriques. Cette situation inclut les sans-abri, des individus isolés socialement atteints de maladies chroniques, ainsi que des patients rejetés par leur famille. Le rapport met en évidence les admissions parfois injustifiées, réalisées dans le cadre d’initiatives comme « Karama », qui, bien qu’animées par une intention louable, restreignent l’accès pour ceux dans le besoin.

Chaque année, environ 3 200 hospitalisations sont perdues à cause de ces pratiques, ce qui exacerbe la tension sur un système déjà saturé. À cela s’ajoute un taux de réadmissions anormalement élevé, atteignant en moyenne 67 %, voire 90 % dans certains établissements. Ce phénomène met en évidence des lacunes majeures dans le suivi des patients après leur sortie, entraînant des hospitalisations prolongées qui amplifient encore la pression sur les infrastructures.

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Le rapport de la Cour des comptes identifie des défaillances structurelles majeures dans l’organisation des soins. L’absence de services sociaux spécialisés, tels que des foyers pour sans-abri ou des centres d’accueil pour patients atteints de maladies chroniques, contribue à la surcharge des hôpitaux psychiatriques. Parallèlement, les familles, souvent démunies et sans soutien suffisant, refusent de prendre en charge leurs proches, aggravant ainsi la situation.

Sur le plan juridique, des complications surgissent à travers des recours systématiques contre les décisions de sortie des patients jugés incompétents. Par ailleurs, la pratique des admissions forcées, censée être réservée aux cas présentant un danger imminent, est souvent détournée, sans justification médicale ou légale suffisante. Cette dérive accentue la surcharge des établissements et complique l’accès pour les patients ayant un besoin urgent d’aide psychiatrique.

Un cadre juridique adapté face à un impératif pour le changement

Face à ces constats, la Cour des comptes appelle à une réforme en profondeur du système de santé mentale. Parmi ses recommandations, figure l’élaboration d’une stratégie nationale intégrée, articulée autour de la prévention et du traitement. Une meilleure répartition des établissements psychiatriques à l’échelle nationale est également préconisée, afin de garantir un accès équitable et universel aux soins.

Le rapport insiste également sur le renforcement de la coopération entre les secteurs sanitaires, sociaux et judiciaires. Il prône le développement de systèmes de suivi épidémiologique et de collecte de données pour une meilleure planification et allocation des ressources. Par ailleurs, la lutte contre la stigmatisation des troubles mentaux reste une priorité. Des campagnes de sensibilisation et des programmes de formation pour les professionnels de santé non spécialisés sont envisagés pour favoriser le dépistage précoce et l’orientation des patients vers des structures adaptées.

La Cour des comptes plaide pour la mise en place d’un cadre juridique modernisé, tenant compte des spécificités des soins psychiatriques. L’objectif est d’assurer une synergie efficace entre hôpitaux, services sociaux et instances judiciaires, afin de répondre aux défis actuels.

En définitive, l’amélioration des soins psychiatriques au Maroc repose sur une mobilisation collective. Réduire la surcharge des institutions et offrir des soins dignes et accessibles nécessite des réformes ambitieuses et une volonté politique forte. L’enjeu est non seulement médical, mais aussi sociétal, pour redonner dignité et espoir à des milliers de patients en détresse.

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