Sommet pour l’avenir et pacte des futurs, le Maroc pour une réforme du multilatéralisme

Par Abdelhak Zegrari (*)

Il s’est tenu au siège de l’Onu un Sommet du Futur, suivi de la 79e Assemblée Générale et de la Semaine du Climat ; un agenda chargé pour les dirigeants du Monde, confrontés à des défis gigantesques dans un contexte brûlant. En effet, les bouleversements géopolitiques provoqués par les conflits armés en  Ukraine et au Moyen Orient,  la concurrence commerciale et technologique féroce entre les États-Unis et la Chine, ainsi que l’accélération de la transition énergétique et l’accès aux matières premières essentielles ont amené  chaque pays  à réévaluer ses principes de souveraineté et d’autonomie stratégique.

Grâce à une activité diplomatique effrénée,  le Maroc a plaidé pour une réforme profonde du multilatéralisme et appelé  à faire de l’Afrique une priorité de l’action de l’Onu sur le plan économique et sécuritaire, avec des « partenariats sur un pied d’égalité ».  Adaptant sans cesse sa stratégie, le Maroc a mis en avant le choix d’investir dans la relance par le biais d’une transition vers les énergies renouvelables et le développement durable.

Dans une approche holistique, le Pacte adopté est vaste et comprends des domaines inédits, comme la transition numérique et comprend et une Déclaration sur les générations futures, ouvrant la voie à de nouvelles opportunités et à des possibilités inexploitées. Il  couvre un large éventail de questions, notamment la paix et la sécurité, le développement durable, le changement climatique, la coopération numérique, les droits de l’homme, l’égalité entre les hommes et les femmes, la jeunesse et les générations futures, ainsi que la transformation de la gouvernance mondiale.

Paix et développement humain

Deux ans et demi après le déclenchement de la guerre en Ukraine et un an après celle du Moyen Orient, les perspectives de règlement pacifique semblent de plus en plus aléatoires, tant les enjeux géopolitiques figent la position des camps en présence. Devant un Conseil de sécurité à l’encéphalogramme plat, la résignation semble prévaloir, le Droit international remis en cause devant l’impunité des agresseurs. Pour rappel, il y a actuellement dans le Monde une cinquantaine de conflits armés, c’est-à-dire que la moitié de la population vit dans des zones en guerre ou à proximité. Or, pour réaliser un développent harmonieux et permettre l’épanouissement de tous, la paix est indispensable. « Il ne peut y avoir de sécurité sans développement, mais il ne saurait y avoir de développement sans sécurité » (Kofi Annan). Et les solutions les plus efficaces ne peuvent être trouvées que dans la coopération.  Dans l’ordre mondial actuel, les conflits coûtent 17% de l’économie mondiale ; on est dans une situation de 80% de rapports de force et 20% de rapports de droit.

Lire aussi : ONU: Aziz Akhannouch souligne l’engagement du Maroc pour la mise en oeuvre du Pacte pour l’avenir

Multilatéralisme à la carte

 Le monde est confronté à des crises en cascade qui provoquent de profondes souffrances aujourd’hui et portent en elles les germes de dangereuses inégalités, de l’instabilité et du chaos climatique de demain…La transformation mondiale pour un monde désirable pour tous, suppose la prise en compte que l’économie n’est pas une finalité, mais un moyen d’atteindre les ambitions sociales et environnementales. Un grand nombre de pays en développement sont  frappés par le chaos climatique se trouvent confrontés au surendettement. Leurs paiements d’intérêts ont quadruplé ces dernières années. Les institutions et les cadres de la gouvernance mondiale, du Conseil de sécurité au système de Bretton Woods, ne sont plus adaptés à la réalité du XXIe siècle. Le multilatéralisme « à la carte » est le modus operandi des grandes puissances pour agir dans le sens de leurs intérêts nationaux, reniant ainsi les engagements pris dans la Charte des Nations Unies. La nécessité de réformer la gouvernance n’a jamais été aussi grande, notamment le Conseil de sécurité et l’architecture financière internationale, le droit au développement, la gouvernance numérique et la question environnementale. Les pays du Sud Global sont donc appelés à participer activement à l’élaboration d’une nouvelle charte, d’un nouvel ordre, au-delà des obstacles de leur politique nationale et de la géopolitique. C’est la voie vers un monde multipolaire, avec de nouvelles possibilités de leadership sur la scène mondiale et de nouvelles institutions fortes et efficaces pouvant garantir la paix et la justice.  Les positions des Etats membres sur la réforme du Conseil de sécurité ne s’inscrivent pas dans une logique globale Nord/Sud. Elles tendent plutôt à refléter les intérêts politiques et de sécurité, les alliances, la taille et les relations avec les voisins immédiats et régionaux et avec les puissances dominantes. La divergence porte sur la question fondamentale et stratégique de l’utilisation du droit de veto, de sa limitation ou abrogation, et de l’augmentation des sièges permanents ou non.

Crise climatique et mobilité humaine

Aujourd’hui, il est clair que le changement climatique n’est plus un problème d’avenir, mais bel et bien du présent. Il est à l’origine de graves catastrophes naturelles, de l’élévation du niveau des mers, de la désertification et l’augmentation des températures sur tous les points du globe ; et ses impacts les plus graves sont effectivement ressentis dans les pays du Grand Sud, et principalement au Sahel, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, où des millions de personnes sont confrontées à une pénurie d’eau croissante, à la désertification et à la dégradation des sols, pour n’en citer que quelques-uns. Ces impacts ont de sérieuses implications pour le développement humain, la sécurité alimentaire, la politique de développement humain,  la stabilité politique, et une tendance croissante aux déplacements des populations. Ce qui fait du changement climatique l’une des plus grandes menaces de ce siècle, est qu’il affecte directement des secteurs d’activité interdépendants, comme l’agriculture, l’industrie, l’eau, le tourisme, l’assainissement, la santé, l’énergie, l’environnement et la biodiversité. Ses variations lentes, combinées à d’autres vulnérabilités socioéconomiques, auront un impact significatif sur les conditions de vie des populations et conduiront à une perte considérable de productivité .

L’histoire des migrations internes en Afrique du Nord a toujours été une histoire d’écart de développement entre les zones rurales  et les zones urbaines ; Il est donc trop complexe de déterminer la part exacte du changement climatique dans la migration dans les zones rurales. Les facteurs des déplacements  évoluent autour de la pénurie d’eau, de l’altération de la productivité des cultures, les épisodes de chaleur répétés, ainsi que des événements météorologiques extrêmes. La plupart des pays ont des stratégies nationales pour atténuer les effets du changement climatique, mais les actions visant à atténuer les effets sur les déplacements forcés restent limitées. Les vulnérabilités économiques, sociales et politiques  ne devraient pas automatiquement déclencher des flux migratoires. La mobilité humaine en tant que stratégie d’adaptation  apparaît comme le dernier recours, lorsque d’autres stratégies ont échoué.

Le rapport Groundswell de la Banque mondiale prévoit des scénarios très alarmants dans les régions voisines du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, puisqu’un total de 86 millions de personnes pourraient être contraintes de se déplacer à l’intérieur des frontières nationales d’ici 2050. Il  aide à mettre un visage humain sur un problème de développement croissant qui oblige des populations à se déplacer en situation de détresse pour échapper aux effets à long terme du changement climatique. Bien  entendu, ces migrations environnementales ou climatiques auront pour destination principale le continent européen ; le Maroc étant la principale route migratoire de la Méditerranée occidentale, de nouveaux défis seront à relever, en collaboration avec les partenaires de l’UE et de l’Afrique de l’Ouest.

Concernant le financement de l’atténuation et l’adaptation au changement climatique , les besoins en investissement s’élèvent à 212 milliards de dollars par an d’ici 2030. Or, ces investissements se font sous forme de prêts et non de dons, les pays pollueurs ne voulant pas être tenus pour responsable du financement des « pertes & dommages ». Tous les regards seront tournés vers Bakou pour la COP29, où les pays les plus vulnérables devront faire preuve d’unité face aux pays riches.

Combler le fossé entre ce qui est dit et discuté au siège des Nations unies et la manière dont cela se traduit en politique aux niveaux national et local reste un défi persistant. L’attention et l’interrogation au niveau national sur la manière dont les préoccupations sont représentées à l’ONU font partie intégrante de la gouvernance mondiale démocratique et de la responsabilité

L’adoption du pacte n’est pas une fin mais un début pour la réforme de la gouvernance mondiale multilatérale. Des priorités ont été reflétées dans le pacte ainsi que l’urgence de passer de la rhétorique à l’action,  la nécessité de respecter les engagements pris et l’instauration d un ordre international plus équitable.

 Reste à promouvoir la notion de paix économique qui, à la différence de l’économie de la guerre et de l’économie de la paix, ne met pas l’accent sur le profit comme une fin en soi, mais comme une contrainte nécessaire à un système économique pérenne valorisant la contribution au bien commun à travers la dignité qu’il confère aux personnes.

(*) Abdelhak ZEGRARI, chercheur

(Migration & Développement durable ECOSOC / ONU)

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