Les sondages d’opinion, entre les fondements juridiques et le souci de la transparence électorale

 

L’interdiction des sondages d’opinion à caractère politique en prévision des prochaines législatives a suscité la polémique entre ceux qui la jugent nécessaire pour garantir la transparence du scrutin et ceux qui la qualifient d’ »incompréhensible » à l’ère où l’enquête d’opinion fournit, au service des décideurs, des indicateurs sur les préférences et comportements de l’opinion publique dans tous les domaines.

Cette décision, qui intervient quelques semaines avant les législatives du 7 octobre, la deuxième consultation du genre sous la Constitution de 2011, a été justifiée, dans un communiqué du ministère de l’Intérieur, par l’exigence de « préserver la crédibilité et la transparence du processus électoral et éviter tout ce qui est de nature à contribuer à l’orientation de la volonté et des choix des électeurs ».

Les positions des partis politiques ont varié entre les partisans de l’interdiction et les détracteurs qui estiment qu’au lieu d’interdire il fallait combler le vide juridique en légiférant sur la question, alors qu’il était temps de disposer d’un mécanisme pour exercer une sorte de contrôle indirect sur les partis politiques. La dirigeante au sein de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), Hasnaa Abou Zeid, a jugé que l’interdiction est une bonne décision en l’absence d’un cadre juridique régissant l’organisation des sondages politiques et la publication de leurs résultats, compte tenu de la nature de ce genre d’enquêtes qui sont réalisées par des médias et de la difficulté de généralisation de leurs résultats sur la société marocaine.

En plus, a-t-elle ajouté, cette opération technique obéit à une série de procédures et de règles ayant trait notamment à la sélection de l’échantillon et à l’extrapolation des résultats, lesquels éléments ne sont pas possibles actuellement.

La principale problématique est liée à la difficulté de déterminer l’échantillon et ses appartenances politiques et idéologiques, a-t-elle expliqué à la MAP, précisant que le corps électoral est beaucoup plus vaste que les utilisateurs d’Internet et des réseaux sociaux, sans oublier la possibilité de voter plusieurs fois qui remet en cause l’intégrité des résultats des sondages électroniques. De son côté, Younes Marzouki, chercheur en sciences politiques, a estimé que cette décision serait judicieuse en l’absence d’un cadre juridique régissant les sondages, notamment sur le volet des moyens techniques utilisés et leur éventuelle influence sur l’intégrité des résultats, une donne dans laquelle le ministère n’assume aucune responsabilité, puisque c’est l’affaire des médias notamment électroniques.

De même, a-t-il ajouté, les résultats des sondages risquent d’influencer l’opinion et la biaiser vers une partie au détriment d’une autre, notant, toutefois, que le gouvernement aurait dû mettre en place un cadre juridique encadrant cette opération et confier la supervision des outils techniques à des organes spécialisés et crédibles.

Il a, à ce titre, insisté que le texte juridique devrait associer la culture de la liberté et la capacité de s’exprimer de manière objective, en sensibilisant le citoyen aux droits et devoirs que lui garantit la Constitution, afin de réunir les conditions de crédibilité et d’impact pour cette opération.

De son côté, l’universitaire Miloud Belkadi, enseignant de la communication politique, a considéré que cette interdiction, qui s’explique actuellement par une réalité politique marquée par des conflits et rivalités entre courants politiques au Maroc, est justifiée en l’absence d’un texte régissant les sondages et les organes qui y sont en charge, notant que le problème est juridique plus que politique.

Toutefois et compte tenu des initiatives visant la moralisation de la vie politique, il a estimé urgent de promulguer une loi qui organise les sondages, enquêtes et études liés aux questions politiques, en vue de permettre aux partis d’évaluer l’adhésion des citoyens à leurs programmes et politiques et l’efficacité de celles-ci, ainsi que pour éviter l’instrumentalisation des sondages par certaines parties.

Pour ce chercheur, la polémique qu’a suscitée la décision du ministère de l’Intérieur s’explique par l’importance des sondages dans les expériences démocratiques comme étant un mécanisme de formation d’une opinion publique consciencieuse et responsable, un facteur d’animation de la vie publique et de connaissance de l’orientation générale du vote, un levier de promotion de la recherche scientifique dans le domaine politique et électoral, mais aussi un outil de contrôle sur les partis et les instances en charge de l’organisation des élections.

Dans un communiqué rendu le 22 août dernier, le ministère de l’Intérieur avait décidé l’interdiction de « réaliser ou de publier des sondages d’opinion à caractère politique par quelque moyen que ce soit, sous peine d’une poursuite judiciaire et qui prendra un caractère pénal pour toute publication faite lors de la période allant du 15-ème jour précédant le début de la campagne électorale jusqu’à la fin de l’opération de vote ».

Le ministère, qui a justifié cette décision par le souci de préserver la crédibilité et la transparence du processus électoral, avait jugé qu’en l’absence d’un cadre législatif régissant les sondages d’opinion et leur contrôle, ces derniers demeurent « imprécis et partiels » dans la majorité des cas.

En dépit des divergences de vues au sujet de cette décision, il y a unanimité quant à la nécessité d’ouvrir un débat public pour combler le vide juridique concernant les sondages, une initiative qui devrait contribuer à la promotion des pratiques électorale et démocratique et constituer un mécanisme de contrôle par les électeurs sur leurs élus, à l’instar de nombre d’expériences démocratiques de par le monde.

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