Soyons présents!
Bientôt, il nous faudra voter. Oui, mais voter pour quoi? Pour qui? Vaste problème auquel les Marocains, pour la plupart, semblent avoir répondu par une sorte d’aquabonisme récurrent… De sorte que chaque individu, chaque électeur, chaque électrice potentielle, s’étant ou ne s’étant pas inscrit pour voter, considère que voter ne sert à rien… Pire! Que voter serait une sorte d’exercice politique à l’envers! Voter, au-delà de ne servir à rien, sert au contraire à faire que les choses ne se fassent pas, ou bien que les choses ne servent que les mêmes, qui eux ne seraient là que pour se servir… Quelle erreur!
Oui, bien sûr, nous avons connu les années de la démocratie tronquée, ce temps du grand vol électoral – époque de la vente et de l’achat des voix… Celles où de braves gens sont transformés en autant de contingents achetés, bien malgré eux, ou selon leur propre volonté, c’est-à-dire agissant selon les règles d’un cynisme de bon aloi, non pensé comme tel, cynisme qui leur permettait de s’attirer les bonnes grâces de tel caïd, de tel pacha… Et qui mettait à la tête de leur commune, des hommes, – et je dis bien des hommes, jamais aucune femme – qui dirigeaient les destinées de ces braves gens comme des estomacs qu’il faut gaver, et des gueules qu’il faut fermer!
Mais voilà, soyons honnêtes : ce temps du kidnapping, ce temps du grand détournement politique est révolu… Ayons, par ces temps qui courent, l’honnêteté de le constater, et de le dire… Et ce, particulièrement depuis un certain 25 novembre 2011, depuis qu’une nouvelle Constitution – dont l’application, en ce qu’elle contient de pleinement démocratique reste, par parenthèse, loin d’avoir touché à ses fins, – depuis que ce qu’il est, non pas vain, mais encore trop triste de nommer Printemps arabe… Depuis tout cela, nous avons vu une formation politique, ayant une véritable idéologie, prendre certes non sans difficulté les rênes de notre quotidien politique.
Qui peut alors… Qui peut encore prétendre que voter ne sert à rien? Dès lors que c’est précisément des urnes que sort le récent destin politique qui est le nôtre? Alors, que l’on soit pour ou contre les idées, le tempérament, l’art politique en somme… De notre chef de gouvernement et de ses hommes… Plus que de ses – trop rares – femmes… Qui peut encore dire que la politique n’est pas faite des aspirations des Marocains, en sorte que ce qui s’est produit, répétons-le, un 25 novembre, et ce malgré, souvenons-nous, la difficulté de former un premier gouvernement, ces cent jours qui furent difficiles, ce sauvetage opéré par un PPS venu «sauver» la démocratie… Bref, ces premières décisions qui n’en étaient pas, beaucoup de faux débats et d’impossibles mais non moins promises réformes sur le fond – justice, éducation, santé, – le sacro-saint trio de tout État qui se veut un État, sinon parfait, mais du moins décent…
Et puisque nous parlons un peu du passé, nous n’oublierons pas non plus comment nous avons assisté à des débats, sans fond, d’une médiocrité rarement atteinte! De la parole sur rien, des mots chargés d’ego, mais sans fondement aucun… Lorsque le pays réclamait, et réclame toujours, d’ailleurs, un travail de modernisation, une vision claire – le mot est presque devenu vide de sens… Lorsque le débat se trouve ailleurs que dans l’interpellation, sur le mode animalier, de la vulgarité crasse, des responsables politiques, et que les Marocains sont, probablement, sur bon nombre de questions, beaucoup plus capables que leurs responsables politiques – on pense toujours aux trois mêmes grandes questions, auxquelles s’ajoutent, aujourd’hui, plus profondément encore, celles de la liberté, de la lutte contre le terrorisme réel, mais aussi psychologique! Celle aussi et surtout du recouvrement d’une identité paisible, non pas faite de guerres intestines et de mise à l’index de l’autre, d’une identité sans anathème, sans ces milliers de doigts qui se pointent sur l’homme ou la femme différents et désireux de vivre sans avoir à se cacher.
D’une identité dont ceux qui parlent d’elle, en parlent en hommes et en femmes libres, responsables. Et non pas en donneurs de leçons, nous assignant ainsi à résidence identitaire, nous obligeant à n’être qu’une chose quand la chance de notre pays, est d’avoir été la terre de tant de passages, de brassages! Quand la vraie force du Maroc, ce qui le rend unique est qu’il n’est pas fait d’une seule et même chose!
Oui, le vrai débat, la vraie question est de savoir qui, chez le personnel politique, sera en mesure demain… de dire le Maroc. Et de le faire dans les termes qui soient les plus proches de ce qu’il est, de ce qu’il sera, avec les millions d’hommes et de femmes qui y vivent, y vivront, le font. Et le feront… A ce titre, cette question de ce que nous sommes, ce que nous devons et pouvons être est centrale. Elle est au cœur de ce que nous devrions nommer notre doctrine de l’avenir.
Alors, si doctrine il y a, ou doit avoir, c’est par l’engagement qu’elle pourra s’écrire, qu’elle pourra, après avoir été rédigée, comme on rédigerait un contrat avec demain, oui, c’est en faisant un véritable usage du verbe faire, du verbe faire l’avenir, que nous verrons si nous l’écrivons comme il se doit, c’est-à-dire nous-mêmes.
Et c’est précisément là qu’agir devient non pas un simple acte, mais la vérification la plus réelle, la plus évidente du rapport que nous entretenons avec nous-mêmes. Car la question et la seule qui se pose aujourd’hui est bien la suivante : avons-nous ou pas le désir de notre pays, le désir de son avenir qui sera, ou plutôt ne peut pas être autre chose que celui d’un pays où régneront le droit, la justice, ou chaque citoyen devra recevoir une éducation, des soins, avoir une vie de qualité que mérite chaque homme, chaque femme, permettant à chacun de prendre sa place dans sa société, sa région, sa ville, son quartier…
Alors, si la question est de savoir si nous avons, ou pas, le désir de notre pays, vu en ses termes, l’autre question qui se pose est de savoir si nous sommes capables d’agir, dans le sens d’un désir qui est, on ne le dira jamais assez, le propre des citoyens libres et responsables.
Car nous ne pourrons plus, – nous ne pouvons déjà plus du reste – dire que nous ne pouvons pas agir, que nous ne pouvons rien faire pour changer les choses! Nous ne pouvons pas faire comme si la société civile n’existait pas, comme si les réseaux sociaux – avec tous leurs défauts – ne pouvaient pas infléchir le cours des choses! En un mot, faire comme si nous n’avions pas été là, lorsque des injustices crasses furent commises, lorsque nous sommes sortis dans les rues, que nous le faisions dans le respect de la loi et de nos idéaux… Non, nous ne pouvons plus faire comme si nous n’étions pas là! Sauf à nous redécouvrir cyniques… Sauf à considérer qu’un temps révolu serait notre présent! Ce qui serait, dans les deux cas, soit nous mentir, soit oublier le parcours que beaucoup d’entre nous ont effectué, ces dernières années.
Dans les deux cas, ces propositions sont irrecevables!
Ainsi, avons-nous rendez-vous avec nous-mêmes, avec notre avenir, qui n’attend que nous, avec le Maroc de demain, auquel il nous faut croire aujourd’hui, en allant voter, massivement, pour nos idées, fussent-elles contradictoires! Car le vrai nom de la démocratie, c’est le choc des opinions… Mais un choc empreint de respect, de dignité, de responsabilité.
Ne pas voter, pour ces élections régionales et communales, c’est dire Non à tout ce que nous avons fait, c’est dire Non à tout ce que nous sommes et à tout ce que nous voulons devenir. C’est dire Non à notre désir d’avenir! Et qui dit avenir, se doit d’employer le synonyme de ce mot, le seul vrai synonyme qui est le mot de Jeunesse…
Et ainsi faut-il s’adresser à la jeunesse de ce pays qui sait bien ce qu’elle veut, mais qui peut souvent ignorer que c’est aujourd’hui qu’elle fait la place qui sera la sienne demain… Oui, car demain, c’est-à-dire dans dix, quinze ans, ceux qui seront à la tête des entreprises et des institutions de ce pays qui se doit d’être au meilleur des aspirations qui sont les siennes, oui, ceux-là ont vingt ans, aujourd’hui!
Et c’est à eux, aussi, et surtout, de savoir agir, de savoir dans quel type de société ils veulent vivre… Celle qui soit plus juste, dispensant une éducation à même de leur ouvrir les portes qu’ils méritent de voir ouvertes pour eux, veulent-ils, par exemple, plus de liberté, plus de mobilité sociale, veulent-ils, pour parler sans détour, que le fils de la bonne d’aujourd’hui soit l’ingénieur, le ministre, le professeur d’université de demain? Ou croient-ils que le futur n’est que la simple ou peut-être injuste continuation du présent… Et qu’il faut être un killer pour réussir… Jusqu’au jour où un autre killer, plus dur, plus puissant, vous tue, avec le sourire… Cette tentation de s’adapter à un monde sans pitié existe chez les jeunes… Mais ils doivent la combattre, car elle est la pire des tentations!
Si c’est le cas, il ne faudra pas se plaindre de vivre dans un monde où les fils de… de demain étaient déjà les mêmes fils de… d’hier… Il ne faudra pas se plaindre que la liberté, l’autonomie, le respect, les places au soleil se distribuent toujours de la même et seule façon, c’est-à-dire par les mêmes, et pour les mêmes!
Mais faisons un rêve. Et n’essayons même pas d’entrevoir un Maroc dont ses jeunes, aussi connectés, aussi pressés d’exister, ne seraient pas capables de se brancher sur leur propre devenir! Ce serait une idée absurde, idiote, une idée noire. Croyons plutôt en un pays, le Maroc, dont ses jeunes sentent en eux monter un puissant désir d’avenir, ressentant leur propre puissance d’exister! Croyons en un pays dont les jeunes n’ont pas attrapé la maladie du cynisme, des jeunes dans le corps politique desquels on n’a pas encore inoculé le virus de la pire maladie, celle du déni d’avenir. Celle de l’absence… Croyons au contraire en un pays où vit une jeunesse présente, celle qui fera le pays de demain. Celle qui, aujourd’hui, va voter pour ce même pays dont elle fera l’avenir. Et avec eux, à leurs côtés, ces Marocains qui dirigeront le Maroc de demain, soyons présents!