Quand la Cour des comptes frappe, elle frappe fort et tout le monde prend à son grade. Cette fois, dans un rapport rendu public ce mardi, l’instance pilotée par Driss Jettou a levé le voile sur les dysfonctionnements gangrénant la gestion des stocks de sécurité au Maroc. Plus qu’alarmante, la moisson des défaillances, carences, anomalies et dérives…, interpelle le Gouvernement et le Parlement à plus d’un titre.
La Cour des comptes vient de livrer un rapport intitulé « Les stocks de sécurité au Maroc » qui s’est penché, pour la première fois, sur cette problématique. D’emblée, la Cour précise que l’analyse du cadre juridique (la loi n° 09-71 de 1971 et les autres réglementations spécifiques aux différentes catégories de produits) et de son évolution montre que celui-ci « reste incomplet et n’apporte pas les définitions et les spécifications nécessaires pour une gestion efficace des stocks de sécurité ». Outre l’obsolescence de ce cadre réglementaire, la Cour pointe du doigt l’effort législatif fourni dans ce sillage en relevant que « certains textes réglementaires prévus accusent un grand retard dans leur publication ». « Depuis leur établissement, l’essentiel des textes n’a pas connu de mise à jour pour apporter les précisions qui s’imposent et tenir compte des évolutions que connaissent les secteurs concernés », déplorent les magistrats de la Cour. Pour ces derniers « ce cadre n’apporte pas de définition précise du « stock de sécurité» qui se trouve confondu avec les stocks outils des opérateurs, destinés à répondre à leurs propres besoins commerciaux et non au souci national de sécurité de l’approvisionnement dans les circonstances normales et exceptionnelles».Tout en pointant du doigt ce manque d’adaptabilité pour certaines catégories de produits comme les médicaments, le présent rapport juge que ce cadre juridique manque d’aspect coercitif et demeure inadapté au contexte des secteurs et des opérateurs. Il note que, par conséquent, les sanctions « ne sont jamais appliquées pour des opérateurs qui se trouvent structurellement en défaut par rapport aux obligations de stockage prévues notamment pour les produits pétroliers ». Et le florilège ne s’arrête pas là, le rapport a mis à nu la quasi-absence du contrôle de l’Etat. « Les modalités de contrôle et de suivi prévues montrent de réelles insuffisances (…) et les dispositions prévues ne sont pas appliquées et les contrôles réalisés pour certains produits, notamment les produits pétroliers, servent à une simple constatation du niveau des stocks sur la base de situations mensuelles sans aboutir à l’application des sanctions prévues ». Cette absence de l’Etat laisse le champ libre devant des irrégularités constatées dans tous les secteurs concernés, notamment, celui des produits pétroliers qui demeurent d’une sensibilité accrue pour l’économie dans son ensemble. En effet, d’après la même source, « les stocks de sécurité des produits pétroliers sont marqués par une insuffisance structurelle par rapport au niveau prévu par la réglementation qui est de 60 jours de consommation pour les produits raffinés chez les distributeurs ». Les magistrats de la Cour ont relevé, dans ce sens, que les écarts sont plus significatifs pour certains produits de grande consommation comme le gasoil et le butane. A titre d’exemple, ils ont constaté pour le premier (gasoil) que les stocks disponibles à fin 2015 ne permettaient de couvrir, en moyenne, que 24,1 jours de consommation. Pour ce qui est du butane, sur la même période (2015), ces stocks ne couvraient que 27,5 jours de consommation. Quant au supercarburant,les inspecteurs de la Cour ont relevé que « les stocks disponibles ne couvraient que 34,8 jours de consommation » en soulignant que la situation la plus critique était celle du fuel, produit névralgique pour les secteurs d’électricité et de l’aviation, « avec des niveaux ne dépassant pas cinq jours de couverture en 2015 ». Idem concernant le pétrole brut, l’obligation réglementaire de détenir 30 jours de ventes n’est respectée qu’à moitié avec des stocks ne couvrant que 15,7 jours de ventes à juillet 2015.
Même décalé d’un an, le rapport interpelle à plus d’un titre à l’heure où le Maroc ne dispose pas d’une raffinerie sur son territoire. Et les rédacteurs du présent rapport prennent le soin de le rappeler. En gros, pour les magistrats de la Cour « l’insuffisance des stocks de sécurité est corrélée à une insuffisance des capacités de stockage ». Hormis le supercarburant qui dispose de capacités de stockage équivalentes à 79 jours de consommation, les autres produits accusent un énorme déficit en ces termes. Le cas du butane et du fuel qui affichent des capacités respectives ne pouvant contenir que l’équivalent de 46 et 26 jours de consommation est très révélateur.
Par ailleurs, le document de 76 pages conclut que « la situation des stocks de sécurité des produits pétroliers qui était déjà problématique avec un marché approvisionné à parts relativement égales par les importations de produits raffinés et de ceux produits par le raffineur local, « se trouve plus risquée après l’arrêt d’activité de ce dernier ». Depuis l’été 2015, le marché national est approvisionné entièrement par l’importation de produits raffinés, ce qui accroît, selon la Cour, « son exposition aux aléas du marché international et fait que les capacités de stockage se trouvent diminuées de celles disponibles, jusqu’à cette date, chez le raffineur local ».
Retraçant nombre de dysfonctionnements dans la gestion des stocks de sécurité, ce diagnostic agrémenté de pistes de réformes appelle l’Exécutif à s’engager sur la voie de la réforme de secteurs plus que stratégiques mais vitaux pour le pays.