Subvention accordée aux artistes : Une polémique qui divise le monde de la Culture
Comme chaque année, la répartition des subventions destinées aux artistes fait polémique sur la toile, mais cette fois-ci, le sujet s’est amplifié avec la crise Covid. Si plusieurs artistes ont remis en question le choix du département de la Culture, d’autres ont pointé du doigt la faiblesse des budgets attribués aux projets artistiques sélectionnés. Le sujet divise la scène artistique marocaine et le ministre de tutelle tente de s’expliquer.
Tout a commencé, quand la célèbre chanteuse Latifa Raafat a décidé de faire une vidéo sur les réseaux sociaux, le 29 septembre, interpellant le ministère de la Culture sur les critères de sélection des 459 projets relatifs au domaine de la musique, de la chanson, des arts de la scène et chorégraphiques. Ceux-ci sont désormais bénéficiaires du programme de soutien du domaine artistique. Une répartition jugée « injuste », selon cette artiste de renom, qui a accusé le département de tutelle d’octroyer des centaines de milliers de dirhams à des personnes non liées au domaine de l’art. Ses propos ne sont pas passés inaperçus. Plus d’un million d’internautes ont suivi sa vidéo sur les réseaux sociaux.
Elle n’était pas la seule à dénoncer cette distribution. Plusieurs syndicats se sont montrés « étonnés » quant aux noms figurant sur la liste des attributaires du soutien exceptionnel pour l’année 2020, notamment, le Syndicat artistique des droits voisins (SADV), le Syndicat artistique des producteurs et auto-producteurs (SAPA), ainsi que le Syndicat des auteurs et compositeurs indépendants marocains (SACIM), qui ont publié un communiqué conjoint le 30 septembre. Ces derniers ont pointé la faible couverture allouée au secteur de la musique, alors que ce secteur englobe un grand nombre de professionnels, entre artistes, musiciens, techniciens, administrateurs, etc. Notons que ceux-ci se sont retrouvés sans revenus depuis le début de la pandémie, suite à l’annulation des festivals, soirées, cabarets et théâtres…
Ces professionnels dénoncent également la « discrimination » que subissent certains courants artistiques lors de la sélection des projets bénéficiant du soutien. En conséquence, les SADV, SAPA et SACIM ont profité de l’occasion, pour montrer leur refus absolu de « mépriser l’artiste marocain à travers des solutions provisoires et partielles ».
De son côté, le président du syndicat des auteurs et compositeurs indépendants marocains, Issam Kamal a adressé une lettre ouverte au chef du gouvernement, ainsi qu’aux ministres de la Culture, de l’Intérieur et de la Santé, appelant à « la réouverture des cafés concerts, des salles de spectacle, des théâtres et de tous les lieux de travail des artistes ». Dans ce sens, cet artiste a alerté sur la situation des professionnels du spectacle, « la vie de centaines de milliers d’artistes, de techniciens, d’administratifs et de leurs familles, dépend directement du secteur culturel, de l’événementiel et du spectacle ». Accusant l’Exécutif de « politique d’autruche », ce jeune chanteur n’a pas hésité à pointer l’absence d’une vraie politique sociale pour cette tranche de la population (artistes, techniciens et administratifs du spectacle et de l’événementiel), qui est « dans la précarité totale ».
Sur la toile, beaucoup d’internautes ne voyaient pas l’utilité d’accorder des subventions aux artistes, encore moins à des individus méconnus de la scène artistique ou encore des artistes qui en bénéficient chaque année au détriment d’autres. Alors que les médecins, par exemple, qui étaient en première ligne dans la lutte contre la Covid, n’auraient bénéficié d’aucune sorte d’indemnité. Le sujet a été complètement déplacé de son contexte et pris une dimension « populiste ». Ainsi, une vague de critiques par les internautes aurait visé les artistes tributaires de ce programme.
En revanche, plusieurs artistes ont décidé de renoncer à la subvention qui leur a été attribuée, à l’instar de Nouaâmane Lahlou qui a demandé ainsi à la tutelle de verser ladite somme au fonds Covid-19. Dans une déclaration accordée à MAROC DIPLOMATIQUE, ce chanteur, une des icônes de la chanson marocaine, nous a expliqué qu’il s’est rétracté parce que les gens n’ont pas saisi qu’il ne s’agit pas d’un soutien, mais plutôt d’une aide à la production artistique. « Puisque je suis un peu sous les lumières, je ne voulais pas me mettre dans une situation de doute vis-à-vis de mon public marocain que j’adore, alors que j’ai toujours veillé à soigner mon image depuis 30 ans. J’ai décidé, donc, de ne pas prendre cette subvention, bien qu’elle fût destinée à la production artistique », nous dit-il. Son choix aurait été critiqué par certains artistes, qui ont trouvé que cela aurait décrédibilisé davantage cette subvention.
Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que ce sujet se transforme en polémique, mais cette année il prend de l’ampleur suite à la crise covid. « C’est une fausse polémique due à une mauvaise communication du ministère de la Culture, puisque l’appellation “programme exceptionnel de soutien” a induit beaucoup de personnes en erreur, alors c’était son rôle d’apporter des éclaircissements à l’opinion publique », souligne Lahlou, en disant qu’il comprend la colère des gens, puisque la pandémie a eu de lourds impacts socioéconomiques sur les Marocains.
Il également rappelé que ce programme de soutien a été mis en place il y a 11 ans et que les montants alloués par le programme exceptionnel de soutien ne sont pas si importants puisqu’ils couvrent à peine 60% des dépenses d’un projet artistique. D’autant plus que l’artiste doit s’acquitter de la moitié de la somme reçue en impôts (20% en TVA et 30% en IGR). « On doit justifier au Fisc et au ministère de la Culture chaque dirham dépensé avec des factures », fait-il savoir.
La réaction d’El Ferdaous ne s’est pas fait attendre. Le ministre de la Culture a tenté d’expliquer le choix de son département, en indiquant qu’au moins 70% des bénéficiaires doivent être détenteurs de la carte d’artiste (ou candidats à son obtention) pour être éligibles. Il a également précisé que plus de 80% des 459 porteurs de projets retenus en 2020 n’ont pas bénéficié du soutien en 2019. En somme, ils sont plus de 2.400 détenteurs de la carte d’artiste qui devraient bénéficier des 459 projets retenus au titre de 2020.
Le ministre a rappelé, dans ce cadre, la situation dans laquelle se sont retrouvés de nombreux artistes depuis le début de la pandémie. « Le coup très dur porté par la pandémie à l’activité culturelle laisse beaucoup d’artistes et de collectifs culturels sans carnet de commandes ni perspective de mécénat ou de sponsoring », précise-t-il, rappelant que plus 3.700 détenteurs de la carte d’artiste (ancienne ou nouvelle) de bénéficier des dispositifs “TadamonCovid” (Ramed et informel), soit un taux de 70% d’acceptation des dossiers.
Par ailleurs, El Ferdaous a annoncé que le ministère lancera dans les prochaines semaines une consultation avec ses différents partenaires pour préparer la mise en œuvre de ce chantier stratégique et structurant.