Supériorité de la monarchie
Il a plu à Dieu tout puissant de rappeler de cette vie passagère dans sa miséricorde le dernier très illustre et très glorifié Prince Philip, Duc d’Édimbourg… Mari de Sa Très Excellente Majesté Elizabeth la Seconde par la Grâce de Dieu du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord et de Ses autres Royaumes et Territoires, Reine, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi, Souverain du Très Noble Ordre de la Jarretière, que Dieu puisse la préserver et la bénir d’une longue vie, santé et honneur et de tout le bonheur terrestre.»
Proclamées par le héraut d’armes de l’ordre de la Jarretière alors que le cercueil du Prince Philip descendait dans la crypte de la chapelle Saint Georges où il attendra celui de Sa Majesté la Reine pour être, enfin, tous deux ensevelis et unis dans la mort dans la Chapelle funéraire de Georges VI, ces formules en apparence de circonstance résumaient la solennité de l’instant et la force symbolique de la Monarchie. À l’extérieur, le peuple britannique – devant le monde fasciné par l’événement – suivait la cérémonie à la télévision, uni dans la compassion, en une même émotion et une seule nation.
La leçon de Walter Bagehot (m. 1877) demeure. L’avantage d’un monarque, par sa dignité est incalculable. C’est, tout d’abord, un gouvernement intelligible. Il parle à l’imagination des peuples bien plus que ne le font la nature d’une Constitution, l’action d’une assemblée, le rôle des partis, la formation invisible de l’opinion publique dominante. Le monarque est la seule personne qui soit investie complètement et durablement de l’autorité de l’État : le Roi ne peut mal faire; le Roi ne meurt pas. Dans le droit anglais, The Crown désigne à la fois l’État et l’ensemble des autorités gouvernantes : la Reine, le gouvernement et les deux chambres du Parlement.
La pérennité d’une famille sur un trône ramène la gloire de ses titres au rang de l’existence humaine. Il n’est que de citer l’enthousiasme du peuple pour un mariage princier, son émotion à la perte du monarque ou d’un Prince de la famille royale. Paradoxalement, à l’époque contemporaine, les drames intimes humanisent les membres d’une vieille dynastie. Il en est de même pour les activités quotidiennes de la famille décrites par le Court Circular publié dans la presse. Il est plus significatif pour les citoyens que la Reine ait reçu un chef d’État étranger, visité tel pays, écrit à tel gouvernement que de déceler les intentions réelles ou cachées de l’action ou des déclarations des ministres ou les manœuvres des parlementaires. À plus forte raison, la mort du Prince consort soude la nation autour de la Reine : le Premier ministre Boris Johnson renonce à assister aux funérailles du Prince Philip pour céder sa place à un membre de la famille réduite au minimum en raison de l’épidémie. Le parlement écossais ― pourtant souvent turbulent ― dont la session est close en raison de la campagne électorale se réunit pour rendre hommage au Prince qui est duc d’Édimbourg.
Ensuite, la Monarchie anglaise apporte au pays et au gouvernement la cohésion de la Religion. La Reine est Défenseur de la Foi, comme le Roi du Maroc est Commandeur des croyants. Ce lien spirituel ― indépendant de l’aventure intime de la foi pour chaque individu ― renforce la légitimité du souverain, crée l’allégeance et donc l’obéissance à la «Couronne», notion moins floue que l’obéissance à la loi dont un président français put évoquer «la force injuste». Lors du couronnement, le serment de la Reine l’engage jusqu’au terme de sa vie et son mari est son premier «homme lige, corps et âme, à la vie à la mort».
Dans les circonstances exceptionnelles, ce lien avec le peuple est ravivé par la parole du Roi garant de l’honneur et de la morale nationale. Cela fut illustré avec rigueur par la Reine Victoria, le Roi Georges V et la Reine Mary. La Reine Elisabeth II a su régler avec doigté les tensions au sein de la famille royale. Les écarts de certains de ses membres, la mort accidentelle de la Princesse de Galles, puis les épreuves telles que le décès de la Princesse Margaret, de la Reine-mère, le rejet d’une monnaie qui ne porterait pas l’effigie de la Reine, la longue crise politique du Brexit ont témoigné de l’attachement populaire à la monarchie.
En effet, la Reine, chef de la nation, incarne l’unité nationale. Un président de la république ― n’est que le premier personnage du pays et son conjoint n’occupe qu’une place précaire et artificielle. Or pour cette nation si peu portée à l’abstraction philosophique, il serait incongru de changer de chef tous les quatre ou cinq ans. La Reine représente le Royaume-Uni dans l’ordre international et le gouvernement aux yeux des Anglais. À ce titre, elle donne son assentiment et signe les traités, elle a présidé le G20, surmontant les incartades de certains chefs d’État ou de gouvernement ou de leurs conjointes. Mais c’est surtout envers la Nation que la Reine apparaît comme la garante de l’unité du pays et de la nation, en dépit de la dévolution qui a accordé au Pays de Galles, à l’Écosse et à l’Irlande du nord un gouvernement local et un parlement.
Outre ses messages de Noël, Sa Majesté intervient rarement et toujours à bon escient.
Chacun se souvient de l’admirable discours de Georges VI, en 1939 :
«I said to the man who stood at the Gate of the Year, Give me a light that I may tread safely into the unknown.» And he replied, «Go out into the darkness, and put your hand into the Hand of God. That shall be to you better than light, and safer than a known way». En écho, en 2020, en quelques minutes qui valaient mieux qu’un long discours, la Reine a su rasséréner la Nation devant l’épidémie, lui rendre confiance en la resituant dans sa longue tradition de détermination et d’équanimité «I want to reassure you that if we remain united and resolute, then we will overcome it. We should take comfort that while we may have more still to endure, better days will return…».
Parce qu’ils sont la mémoire de l’Histoire et des coutumes, les rois sont les garants de l’unité, des libertés et de l’avenir des nations. La cérémonie de funérailles du Prince Philip en a montré avec sobriété la grandeur.