Taxe carbone au Maroc : Une nécessité pour compétir à l’international
Par Mouhamet Ndiongue
Le Maroc vise à augmenter les recettes fiscales pour mieux financer les politiques publiques et réduire le déficit budgétaire, après que la pandémie du Covid-19 et la crise ukrainienne sont venues augmenter les incertitudes et provoquer une hausse des dépenses.
Pour garder les équilibres macroéconomiques, la réforme fiscale, dont une partie vise à élargir l’assiette fiscale pour soutenir les politiques sociales déclinées le gouvernement, doit permettre de trouver les ressources nécessaires pour l’Etat. Cependant, l’introduction d’une taxe carbone serait un atout considérable pour le Maroc afin de financer ses programmes, mais surtout, permettre une ouverture pour les entreprises du Royaume à compétir à l’international, notamment en Europe où désormais, une sorte de « pass vert » est exigé pour les produits non européens.
La nouvelle législation, le PLF 2022, « vise à renforcer l’efficacité du système fiscal en tant que moyen de financement des politiques publiques », a déclaré le ministre des Finances Nadia Fettah Alaoui. La fiscalité reste une mesure économique par laquelle la croissance économique pourrait être favorisée. La jonction entre une politique fiscale maîtrisée et une croissance économique fait le développement d’un pays. Son principe c’est que si la fiscalité est lourde de manière très importante au niveau d’une économie, il conduira à des distorsions sur les deux principales variables en macroéconomie, à savoir la consommation finale des ménages ainsi que le niveau d’activité l’investissement et cela nuira à la performance de la croissance économique. Cependant, une diminution de la l’évolution de la pression fiscale fait l’hypothèse d’une sous-exploitation du revenu potentiel.
La Trésorerie générale du Maroc (TGR) a indiqué que les statistiques des finances publiques ainsi que les recettes douanières nettes se sont élevées à plus de 51,38 milliards de dirhams pour les neuf premiers mois de 2021, soit une augmentation de 25,4% par rapport à la même période un an plus tôt.
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Le rapport indique également que les recettes nettes des droits de douane ont atteint 8,58 milliards de dirhams en septembre 2021.
Malgré la pandémie, les douanes ont tout de même collecté 91milliards de dirhams l’année dernière, ce que l’ADII a décrit comme « un véritable exploit réalisé dans une conjoncture économique et fiscale difficile ».
Une réforme nécessaire et urgente
Bien que le droit fiscal marocain ait connu de nombreuses réformes depuis les années 1980, la crise du coronavirus a mis en lumière les limites du système fiscal, principalement sur le plan social. Dans ce contexte, la loi-cadre n° 69-19 relative à la réforme fiscale a été « élaborée en application des Hautes Orientations Royales et sur la base des recommandations issues des Assises sur la fiscalité, tenue en mai 2019 ».
Ladite nouvelle réforme fiscale contient plusieurs avantages pour les investisseurs comme, par exemple, la simplification des procédures fiscales, la réorganisation des taux d’imposition, etc.
Toutefois, la Taxe d’accise sur le charbon et le coke de pétrole, le mazout, diesel, essence, GPL et gaz naturel ont été les grandes ressources où l’Etat a fait la belle moisson.
Les recettes fiscales nettes sur l’énergie sont une estimation importante des recettes nettes issues des taxes et subventions sur l›énergie. Les recettes fiscales nettes sur l›énergie au Maroc représentent 1,2% de PIB en 2019 (avant pandémie) contribuant positivement à la mobilisation des ressources intérieures car les impôts dépassent les subventions. Comparé aux autres pays pris en compte dans TEU-SD et pays OCDE.
Prochainement la Taxe carbone
La taxe carbone est une opportunité pour renforcer la compétitivité et le budget de l’Etat et faire du Royaume une destination de production industrielle neutre en carbone.
« Au-delà des contraintes que cette taxe engendrerait pour l’industrie et pour l’exportation, cela pourrait aussi être une opportunité pour renforcer la compétitivité du ‘‘Made in Morocco’’ », a déclaré, le président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Chakib Alj, lors d’une rencontre sur « Le rôle du secteur privé dans une transition bas carbone résiliente au changement climatique ».
Déjà en cours dans plusieurs pays, notamment européens, la taxe carbone pourrait aussi contribuer à l’accélération de l’émergence d’une industrie nationale verte et décarbonée. « Le Maroc s’engage à continuer de montrer la voie de l’ambition climatique dans le cadre de l’Accord de Paris, tout en contribuant pleinement au niveau de ses capacités socio-économiques, actuelles et projetées », a indiqué le président de la CGEM, précisant que cette dynamique s’aligne parfaitement avec le orientations stratégiques à terme du Nouveau Modèle de Développement du Maroc, qui vise à atteindre, d’ici 2030, une part d’énergies renouvelables dans la consommation totale et à faire de l’énergie un levier d’attractivité et de développement.
Selon Chakib Alj, la CGEM avait entamé il y a plusieurs années à travers le lancement de la Morocco Climate Business Initiative (IECM) à la veille de la COP22, une politique de décarbonation qui vise à renforcer les capacités des entreprises nationales par la sensibilisation, la formation, l’accompagnement et le développement.
Au cours des années de déploiement, la CGEM a accompagné plus d’une cinquantaine d’entreprises sur des problématiques liées au changement climatique, a indiqué le président du patronat, ajoutant que « nous sommes signataires d’une convention avec la Fondation Mohammed. VI pour la protection de l’environnement, afin que nos entreprises puissent aller vers une décarbonisation de leurs activités ».
La stratégie vise également à présenter aux opérateurs économiques marocains les différentes solutions pour lutter contre le changement climatique, notamment à travers le Pacte Qualt’air initié par la Fondation et la CGEM depuis 2016, et à les inciter à rejoindre la « Course des compagnons des Nations Unies to Zero » et « Race to Résilience ».
La coalition « Race to Zero » est en effet la plus grande alliance d’acteurs non étatiques, et qui vise à poursuivre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Cette coalition regroupe plus de 3 067entreprises à travers le monde et couvre près de 25 % des émissions mondiales de CO2 et plus de 50 % du PIB.
ENTRETIEN
Rim Berahab, Senior économiste au Policy Center for the New South
Des avantages de la taxe carbone, de la gouvernance de la taxe carbone, de stratégie, du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, Rim Berahab, Senior économiste au Policy Center for the New South, apporte des éclairages sur la taxe carbone, qui pour la sénior économiste « agit comme une incitation fiscale pour influencer le comportement économique ».
l Maroc Diplomatique : Quels pourraient être les avantages de la taxe carbone pour les entreprises marocaines ? Quid des contraintes pour cette mesure ?
– Rim Berahab : Tout d’abord, il faut savoir que la taxe carbone, comme toute autre taxe, agit comme une incitation fiscale pour influencer le comportement économique, par le biais de l’augmentation du prix des activités polluantes. Les taxes carbones ont été introduites par la Finlande en 1990, et en 2021, la Banque mondiale a recensé 65 initiatives de tarification du carbone implémentées dans 45 juridictions nationales, couvrant 21,5 % des émissions mondiales de GES. Il convient également de noter que le débat autour des taxes carbones ne fait pas encore l’unanimité. Certes, la taxe carbone est désormais un changement inévitable auquel les entreprises doivent faire face. En intégrant le coût réel de l’impact des technologies à forte intensité de carbone, cette taxe rend théoriquement les formes d’énergie propres plus abordables en comparaison.
Elle inciterait donc les entreprises à recourir davantage aux énergies plus propres, les encourageant ainsi à concilier la transition énergétique et la croissance économique durable. Cependant, la taxe carbone fait également l’objet de nombreuses critiques. L’une des principales est que cette taxe est dite régressive, c’est-à-dire qu’elle fait peser une charge importante sur les consommateurs, principalement les ménages à faible revenu, car ces derniers devront payer un pourcentage plus élevé de leur revenu pour des produits de première nécessité comme l’essence, l’électricité et la nourriture. En outre, à la suite de la pandémie du Covid-19, de nombreux pays s’inquiètent de l’introduction d’une taxe sur le carbone, à un moment où les économies sont encore en train de se rétablir.
l Quelles sont les mécanismes pour aller vers une taxe carbone au Maroc ?
– Le projet d’introduction d’une taxe carbone au Maroc appelle les décideurs à considérer une série de choix de conception. Le champ d’application de la taxe, qui détermine les produits couverts, et le niveau de taxation sont des points de départ essentiels. Une taxe carbone peut, en effet, être prélevée à n’importe quel point de la chaîne d’approvisionnement énergétique, soit en amont (les fournisseurs de charbon, les installations de traitement du gaz naturel, les raffineries de pétrole), au milieu de la chaîne (les services publics d’électricité), ou en aval (les industries consommatrices d’énergie, les ménages ou les véhicules). La considération suivante consiste à déterminer le taux de la taxe et son indexation. Selon la théorie économique, une taxe sur le carbone devrait être égale au coût social du carbone. Elle est donc censée s’accroitre avec le temps pour refléter l’augmentation des dommages attendus du changement climatique. Par ailleurs, l’impact distributif de la taxe est un des points les plus controversés, et doit donc être soigneusement examiné, car la taxe aura un impact sur les consommateurs, en particulier les ménages à faible revenu. Un autre facteur clé à envisager est la compétitivité de l’économie. Sans dispositions visant à protéger la production locale, une taxe carbone pourrait désavantager les industries nationales à forte intensité énergétique et exposées aux échanges commerciaux par rapport à leurs concurrents internationaux qui ne sont pas soumis à un prix équivalent. Tous les programmes existants de tarification du carbone comprennent des mécanismes visant à répondre à ces préoccupations, tels des quotas basés sur les émissions historiques ou d’exemptions pour certains secteurs. Enfin, vient la question de l’utilisation des recettes générées par la taxe carbone, qu’il s’agisse de les restituer aux consommateurs sous forme de dividendes ou de les réinvestir pour développer les technologies à faible émission de carbone ou renforcer la résilience.
l Comment doit s’opérer l’équité fiscale pour une bonne gouvernance de la taxe carbone au Maroc ?
– Une gouvernance renforcée sera, en effet, nécessaire pour garantir l’équité fiscale en cas d’implémentation d’une taxe carbone, et ainsi favoriser une approche collaborative dans le choix des modalités à appliquer pendant la transition, avec comme élément clé une entente sur l’utilisation des recettes fiscales et sur la cohérence globale de l’évolution des finances publiques. Comme mentionné dans la réponse précédente, l’impact distributif de la taxe a en effet longtemps polarisé les débats. Il s’agit donc d’un point essentiel à étudier si l’on veut garantir l’équité fiscale et l’acceptation de la taxe par le public. En effet, les ménages à faible revenu consacrent une part plus importante de leur revenu à l’énergie que les ménages à hauts revenus. Par conséquent, une taxe carbone qui augmente le coût de l’énergie peut avoir un impact plus significatif sur les ménages à faible revenu. L’affectation d’un certain pourcentage des recettes d’une telle taxe à ces ménages, par exemple, peut compenser la hausse des coûts énergétiques et contribuer ainsi à garantir que la taxe ne pèse pas de manière disproportionnée sur eux. Ce qui est clair, c’est que nous disposons aujourd’hui de suffisamment de connaissances pour résoudre ce type de défis à travers des analyses approfondies, afin d’éviter les externalités potentiellement négatives d’une telle taxe.
l Le Maroc a adopté une feuille de route pour la décarbonation. Quelle serait la meilleure stratégie pour accélérer la feuille de route ?
– En effet, le Maroc a entrepris des efforts ambitieux pour la décarbonation et a déjà obtenu des résultats notables. Détailler en quelques mots la meilleure stratégie pour accélérer cette feuille de route serait assez audacieux. Mais je peux souligner quelques éléments qui ont été largement discutés dans une récente série de Policy Briefs sur la trajectoire de décarbonisation du Maroc, publiée par le Policy Center for the New South en 2021. Il est évident que l’accélération de la décarbonation du Maroc nécessitera des investissements importants. Le Maroc devrait donc se donner les moyens nécessaires pour devenir une destination plus attrayante pour les investisseurs nationaux et internationaux, qui cherchent à tirer parti de sa dynamique de décarbonation. Pour y parvenir, des réformes visant à faciliter les affaires au Maroc pourraient être bénéfiques. Des incitations financières jouent également un rôle primordial pour encourager l’adoption de technologies et de sources d’énergie plus propres au niveau sectoriel, qu’il s’agisse du secteur des transports, résidentiel, de l’agriculture ou de l’électricité. En outre, la mise en œuvre d’un système de tarification du carbone dans certains secteurs à fortes émissions crée certes de nombreuses complexités, mais peut également contribuer à soutenir la transition. D’autre mesures non financières sont également essentielles pour promouvoir la décarbonation, dont on cite des normes techniques et environnementales plus strictes pour les nouvelles constructions et la rénovation des bâtiments ainsi que des réformes institutionnelles et réglementaires pour stimuler la participation du secteur privé. Bon nombre de ces mesures impliquent certes une augmentation du prix de l’utilisation des combustibles fossiles, des mesures compensatoires pour les groupes les plus vulnérables de la société qui supportent ces coûts doivent ainsi faire partie intégrante de l’équation.
l Quelle incidence peut avoir le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne pour les entreprises marocaines ?
– Il est encore tôt pour déterminer l’impact précis du MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières) sur l’économie marocaines. Cependant, certaines conclusions peuvent être tirées sur la base de la proposition officielle publiée par l’UE en juillet 2021. Comme vous le savez, le Maroc et l’UE partagent des liens économiques forts, le MACF affectera donc le Maroc d’une manière ou d’une autre. L’ampleur de cet impact, cependant, reste à déterminer. Certes, il est peu probable que le Maroc fasse partie des pays les plus touchés par le MACF, car ses exportations de produits couverts par le mécanisme sont relativement faibles par rapport à celles d’autres partenaires comme la Russie ou la Chine. Mais dire que le Maroc ne sera pas du tout impacté reflète une vision à court terme, car ce mécanisme peut évoluer pour inclure d’autres produits, en plus de ceux déjà annoncés. En outre, des données récentes ont montré que l’industrie marocaine produit actuellement plus d’émissions par unité de valeur ajoutée que l’UE. Si le Maroc ne décarbonise pas son industrie, le MACF risque donc d’imposer des coûts importants à travers une hausse des tarifs douaniers sur les marchandises marocaines exportées vers l’UE, surtout s’il est étendu à d’autres secteurs à l’avenir. Et comme le prix du système communautaire d’échange de quotas d’émission a récemment dépassé 60 euros par tonne métrique d’émissions d’équivalent CO2, ce coût n’est pas négligeable. Le bon côté des choses c’est que le Maroc poursuit une stratégie de décarbonation ambitieuse depuis plusieurs années, et la proposition de l’UE indique que « les accords avec des pays tiers peuvent être considérés comme une alternative potentielle au MACF, à condition qu’ils garantissent un certain degré d’efficacité et d’ambition pour atteindre la décarbonation d’un secteur ». Bien que les termes de ces accords ne soient pas précisés, cela laisse la porte ouverte à la discussion avec le Maroc. En définitive, la proposition du MACF est un appel pour déployer des efforts de décarbonisation plus concertés et plus complets, car cette proposition signale que les réglementations et la taxation des émissions de carbone vont inévitablement s’intensifier et que le Maroc doit accélérer ses propres efforts de décarbonisation pour y faire face.
l La politique énergétique européenne est très différente de celle marocaine, comment juguler les deux stratégies pour éviter un impact sur l’économie marocaine ?
– Ce n’est en effet pas une tâche facile. Évidemment, chaque pays a la prérogative d’adopter sa propre stratégie qui reflète ses propres priorités, et étant donné les différences dans les structures socio-économiques de l’Europe et du Maroc, leurs politiques énergétiques sont certainement distinctes. Cependant, de nombreux intérêts se chevauchent et des complémentarités existent entre les deux parties, offrant des opportunités intéressantes à saisir. L’ambition de l’Europe de devenir neutre en carbone d’ici 2050 exige une augmentation de l’énergie renouvelable dans leur mix, dont une partie pourrait être approvisionnée par le Maroc à l’avenir. Le Maroc dispose, en effet, d’une riche dotation en énergies renouvelables, qu’il a exploitée avec succès pour diversifier son mix électrique. En 2020, les énergies renouvelables constituent 37% de la capacité installée et environ 20% de l’électricité produite. Actuellement, le Maroc cherche à accélérer sa propre transition énergétique avec des stratégies plus ambitieuses. Le Maroc dispose, en outre, d’un potentiel important pour développer des technologies propres, notamment l’hydrogène vert. En substance, l’alignement de la stratégie énergétique du Maroc sur celle de l’UE nécessite un dialogue équitable entre les deux parties pour explorer les opportunités futures de la décarbonation, tout en veillant à éviter les externalités potentiellement négatives sur l’économie marocaine.