Transformer nos systèmes alimentaires pour la santé de la population, de l’environnement et de l’économie

Tribune

Par Juergen Voegele (*)

Alors que le monde est confronté à l’urgence de la crise alimentaire, il est important de rappeler que ce problème n’est pas apparu du jour au lendemain. La guerre en Ukraine n’a fait qu’accélérer et accentuer l’attention sur la crise : les prix des denrées alimentaires étaient déjà en hausse avant le début du conflit, et la faim gagnait du terrain. En cause, notamment, le changement climatique, qui figure parmi les principaux facteurs d’aggravation de cette montée de l’insécurité alimentaire. La hausse du nombre de personnes dans le monde qui souffrent de la faim n’a jamais été aussi élevée, alors même que la production alimentaire mondiale a presque quadruplé entre 1961 et 2020 et qu’elle a augmenté de 50 % ces deux dernières décennies.

La situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui exige plus que jamais une transformation de nos systèmes alimentaires, afin de les rendre plus durables et capables de nourrir une population mondiale qui ne cesse de croître. Un système alimentaire performant contribuera à développer le capital humain, à sortir les populations de la pauvreté et à renforcer la résilience climatique.  Or notre système alimentaire mondial entraîne actuellement des coûts sociaux, économiques et environnementaux cachés estimés à 12 000 milliards de dollars par an, en générant notamment près d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Il pousse également les consommateurs à se tourner vers des aliments nocifs pour la santé du fait du coût trop élevé d’une nourriture saine.

La poursuite du statu quo n’est pas tenable. La manière dont nous traitons l’agriculture et les systèmes alimentaires doit être entièrement repensée, pour véritablement transformer nos modes de production, de transport et de consommation. 

Le Forum mondial de l’alimentation et de l’agriculture 2023 (a), qui se tient à Berlin, est l’un des grands rendez-vous réunissant ministres et experts de l’agriculture du monde entier. Il sera l’occasion de discuter des options stratégiques disponibles, de mutualiser les expériences et de convenir d’actions concertées pour concrétiser la transformation des systèmes alimentaires.

L’un des principaux chantiers de cette transformation concerne les modalités du soutien à l’agriculture et à l’alimentation. Les pays y consacrent chaque année plus de 700 milliards de dollars. Ce soutien public, certes nécessaire, est en grande partie mal ciblé : il encourage souvent des pratiques de production non durables et ne profite que trop peu aux agriculteurs, qui perçoivent seulement 35 cents pour chaque dollar d’aide.

Prenant essentiellement la forme de mesures de soutien des prix, de subventions aux intrants agricoles et de versements directs aux producteurs, ces aides pourraient être réorientées pour mettre en œuvre des politiques respectueuses de l’environnement et inciter les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles adaptées aux enjeux du changement climatique. Les pouvoirs publics pourraient aussi rediriger leurs financements vers le soutien au secteur privé en atténuant les risques liés aux investissements qui intègrent des critères environnementaux et sociaux plus exigeants. Ou encore promouvoir le recours à de nouvelles technologies prometteuses, comme l’utilisation d’additifs alimentaires pour le bétail qui réduisent les gaz à effet de serre, ou des modes de production du riz moins émetteurs de méthane.

L’adoption de bonnes politiques publiques réduirait les distorsions de prix, favoriserait une croissance résiliente et durable de la productivité et renforcerait les chaînes de valeur. Avec, à la clé, de meilleurs résultats en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, une hausse des revenus pour les agriculteurs et une plus grande optimisation des ressources publiques,

Autre défi : la complexité et la fragmentation extrêmes du système alimentaire mondial. Malgré des augmentations significatives de la production, le système est inefficace et source de gaspillage, engendrant en même temps l’abondance et la faim. Des défaillances qui s’expliquent en partie par un manque d’accès à l’information chez les agriculteurs et au sein de marchés où la rigidité des systèmes favorise des coûts de transaction élevés.

Une meilleure utilisation des données et des technologies numériques peut permettre de relier les 570 millions d’exploitations agricoles dans le monde aux 8 milliards de consommateurs. Le développement d’une agriculture connectée permettra aussi d’améliorer les rendements, limiter les déchets, faire baisser les coûts et diminuer la pollution, soit autant d’éléments qui contribueront grandement à réduire les inégalités et la faim dans le monde.

Par conséquent, les solutions existent, même s’il n’y a pas de recette universelle. Chaque pays doit faire face à ses difficultés spécifiques et définir les choix et les stratégies qui lui permettront d’atteindre les résultats recherchés. En définitive, transformer les systèmes alimentaires au service du développement implique d’analyser la situation au prisme du contexte local et d’étayer le processus d’élaboration des politiques sur des concertations multipartites et inclusives.

La Banque mondiale s’est dotée d’un programme (a) conçu pour aider les pays à transformer leurs systèmes alimentaires, avec l’objectif d’éliminer la faim d’ici à 2030. Ce programme bénéficie du soutien financier de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la Commission européenne et de la Fondation Bill et Melinda Gates. Nous collaborons actuellement avec 25 pays afin de trouver les angles d’attaque qui permettront, pour chacun d’entre eux, de réorienter les politiques et aides agricoles, développer les modèles économiques nécessaires pour stimuler les financements du secteur privé, promouvoir une agriculture climato-intelligente, intégrer les innovations numériques et déployer des stratégies en faveur de l’accessibilité financière d’une alimentation saine et nutritive.

Le Groupe de la Banque mondiale et ses nombreux partenaires se tiennent prêts à travailler avec les gouvernements et l’ensemble des parties prenantes en favorisant l’échange de connaissances sur les politiques et les investissements capables de transformer le système alimentaire mondial. Et le Forum mondial offre précisément à ceux qui œuvrent dans les champs de l’agriculture et de l’alimentation l’occasion de partager des expériences précieuses en vue de parvenir à récolter le triple bénéfice de la transformation des systèmes alimentaires : la bonne santé de la population, de l’environnement et de l’économie.

(*) Vice-président pour le Développement durable, Banque mondiale

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