Tunisie: Controverse autour d’un projet de loi compromettant l’indépendance de la Banque centrale
En proie à une crise économique et financière aiguë, la Tunisie se penche sur un nouveau projet de loi autorisant au trésor public de se financer directement auprès de la Banque centrale (BCT), suscitant ainsi de vives inquiétudes quant à la préservation de l’indépendance de l’institut d’émission et aux équilibres financiers du pays.
Après son adoption récemment en conseil des ministres, ce texte d’un article unique en cours d’examen au parlement vise à permettre à la BCT de financer le Trésor public à travers des facilités, confirmant les difficultés d’accès aux financements extérieurs auxquelles fait face la Tunisie.
Face à la disette des ressources et au blocage dans les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), l’Etat s’est trouvé obligé selon plusieurs analystes de prendre cette mesure controversée aux conséquences incertaines pour financer un déficit de plus en plus chronique et honorer ses dettes.
Dans un premier temps, le gouvernement compte contracter un prêt de 3 milliards de dinars (885,27 millions d’euros), alors que le texte de loi en question prévoit un plafond de 7 milliards de dinars (1 euro = 3,4 dinars), remboursable sur une période de 10 ans sans intérêts, et avec une période de grâce de trois ans, destiné à financer une partie du déficit budgétaire au titre de l’exercice 2024.
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Si l’impact sur l’inflation qui frôle les 8% en Tunisie a été atténué par le gouverneur de la BCT, Marouane Abassi, l’incidence de ce prêt sur les réserves en devises est inévitable, dans la mesure où la BCT s’attend à une baisse des réserves en devises à 14 jours d’importation, outre le fait qu’il aura une incidence sur le taux de change.
« La conjoncture actuelle demeure difficile en raison du taux d’endettement élevé et du taux de croissance faible« , a déploré Abassi, évoquant d’autres facteurs à l’origine de cette crise comme la régression de l’investissement et de l’épargne et la hausse des importations qui a entraîné un déficit au niveau de la balance des paiements.
De son côté, la ministre tunisienne des Finances, Sihem Namssia a fait savoir que le recours à la BCT permet de financer le remboursement de 3 milliards de dinars qui arrive à échéance le 16 février, expliquant que le projet de loi permettra à l’institut d’émission d’accorder au gouvernement des avances, en cas de besoin.
Si les positions officielles se veulent rassurantes quant aux retombées de cette orientation, les experts et fins observateurs de la sphère économique mettent en garde contre le recours à un tel mécanisme pour redresser des finances publiques déjà asphyxiées.
« Au lieu de réduire la taille de la fonction publique et réduire le gaspillage, le gouvernement tunisien opte pour la planche à billets pour payer la dette et les déficits« , alerte l’universitaire Moktar Lamari, dans des déclarations aux médias.
L’universitaire a qualifié cette mesure de « la plus grave et la plus dangereuse », notant qu’elle aura plusieurs conséquences négatives sur l’économie et surtout sur « la perception de confiance envers l’Etat et envers ses institutions ».
En ce qui concerne l’inflation, l’universitaire a mis en garde contre une détérioration de la valeur du dinar vis-à-vis des principales devises internationales « de manière insidieuse et latente, mais durable », au détriment du pouvoir d’achat des citoyens.
De son côté, l’économiste Aram Belhadj, a reconnu que ce projet de loi pourrait entraîner « des risques inflationnistes et de dérapage, ainsi que retarder la mise en place des réformes indispensables pour les finances publiques« .
Toutefois, l’expert a souligné que l’amendement doit porter sur la modification des objectifs de la BCT, afin de l’impliquer davantage dans les efforts de développement du pays.
La Tunisie prévoit, dans le cadre du budget 2024, la mobilisation de crédits à hauteur de 28,4 milliards de dinars, dont une enveloppe de l’ordre de 16,4 milliards de dinars devrait provenir d’emprunts extérieurs.
Les perspectives d’accéder à des nouveaux financements se sont assombries davantage après que le FMI ait inclus en janvier dernier la Tunisie sur sa « liste négative” pour la première fois depuis son adhésion à l’institution monétaire internationale en 1958. Cette liste regroupe les pays dont la conclusion des consultations a pris des retards dépassant 18 mois, en plus du délai normal de 15 mois, pour des raisons diverses.
Pour accélérer les négociations autour d’un nouvel accord avec la Tunisie, le FMI s’attend à un engagement ferme des autorités tunisiennes à mettre en œuvre un programme de réformes pour restructurer les entreprises publiques tunisiennes accablées par un lourd endettement et lever les subventions sur certains produits de base.
Avec MAP