Tunisie: Débats présidentiels télévisés, une expérience inédite
L’organisation de trois rounds de débats télévisés depuis samedi à quelques jours seulement de l’élection présidentielle anticipée du 15 septembre, leur transmission en direct sur plus de 11 chaînes de télévision et une vingtaine de radios, leur déroulement dans une ambiance bon enfant et le fort taux d’audimat qu’ils ont rencontré ont, certes, reflété une image valorisante de la vitalité de l’expérience démocratique du pays, sans toutefois chasser le doute qui habite les Tunisiens.
Manifestement, en dépit de la tension persistante qui continue à ponctuer la campagne électorale, de l’animosité qui empreint les relations des candidats en lice qui ont utilisé tous les moyens pour discréditer leurs adversaires et mettre à l’index leur inaptitude à gérer les affaires du pays, les 24 candidats (deux candidats l’un en prison et l’autre en exil n’ont pas pris part à ce débat) qui ont pris part à cet exercice inédit ont respecté l’essentiel.
Hormis le petit incident survenu au cours du troisième round où Hamma Hammami, candidat du front populaire, n’a pas laissé l’occasion échapper pour orienter ses flèches en direction de Youssef Chahed, candidat du parti « Tahya Tounes » (qui se trouve à sa droite) qui a dû lui rendre la monnaie de sa pièce, ce grand oral s’est déroulé dans une atmosphère studieuse et décontractée.
Intitulée « La route vers Carthage : la Tunisie fait son répondre à une multitude de questions réparties sur trois axes en relation avec les missions dévolues au président de la république.
Tous les candidats auront eu un temps de parole chronométré d’un quart d’heure au cours des trois émissions, pour présenter leurs programmes et pour convaincre. Les candidats, tantôt surpris, tantôt pris au piège, ont eu à répondre à des questions tirées au sort, portant sur une diversité de sujets en relation avec les prérogatives du Président de la république à l’instar de la sécurité, des libertés publiques, de l’économie et de la politique étrangère.
Au terme de cet exercice inédit et périlleux, les performances des uns et des autres ont été diversement appréciées.
A l’exception d’une poignée de candidats, les autres intervenants ont brillé, dans leur majorité, par leur décalage et, surtout, par la pauvreté de l’argumentaire qu’ils ont eu à développer, voire même par leur incapacité à séduire et à convaincre.
Au regard du caractère imprévisible des prochaines élections, qui se caractérisent par l’existence d’une pléthore de candidats qui se télescopent par leur appartenance aux mêmes mouvances et ce nonobstant l’étiquette d’indépendants qu’ils tentent de faire prévaloir, de nombreux observateurs de la scène politique soutiennent que ces débats n’ont pas été d’un grand secours pour des Tunisiens habités par le doute et l’indécision et qui ont espéré, à travers ce grand oral, avoir des motifs pour fixer définitivement leurs choix.
Il faut avouer que les Tunisiens n’ont pas boudé cet événement. En témoignent les 3 millions de téléspectateurs qui ont suivi le premier débat du 7 septembre dernier, annonce, non une certaine fierté Hassen Zargouni, P-DG de Sigma Conseil, bureau spécialisé dans l’évaluation de l’audimat et les sondages politiques.
La chaîne publique « Wataniya 1 » a vu 1.789.000 téléspectateurs suivre le débat avec une part de marché de 42,9%. Pour une première, ces chiffres montrent l’intérêt que portent les Tunisiens à ces élections jugées cruciales. Cela est d’autant plus vrai qu’avec plus de 7 millions d’inscrits pour les élections, le premier débat a touché près de 42% des personnes qui, potentiellement, devraient être au rendez-vous avec les urnes le 15 septembre prochain.
Malgré les points positifs enregistrés au niveau de la forme, sur le plan du fond, les résultats restent mitigés.
Au terme de ces trois grandes soirées de débats télévisés, l’on ne sait pas encore si les Tunisiens ont pu avoir une vision claire qui leur permet d’opter franchement pour un candidat précis ou à fortiori d’avancer un candidat super favori.
Face aux enjeux parfois difficiles à cerner du scrutin, les prestations des candidats n’ont pas donné le résultat escompté et ceux qui ont tiré leur épingle du jeu forment une minorité.
Selon les analystes, six candidats ont pu donner une bonne impression. Il s’agit respectivement de Mohamed Abbou, du courant démocratique, de Mohsen Marzouk, du parti « Machroou Tounès », de Abir Moussi, du parti destourien libre, de Mehdi Jommaa d’ »Al Badil », de Youssef Chahed de « Tahya Tounes » et dans une moindre mesure de « Abdefatteh Mourou » d’Ennahdha.
Ces derniers candidats n’ont pas eu à souffrir des approximations, leurs réponses ont été souvent précises et concises qu’il s’agisse des problématiques de la sécurité nationale, des réformes essentielles à entreprendre, des priorités de la diplomatie tunisienne, de la promotion des libertés et du renforcement des attributs de l’Etat civil.
Une minorité de candidats a réussi à produire des prestations justes moyennes, tout en se contentant dans des approximations et des réponses vagues.
C’est le cas notamment, selon les mêmes observateurs, de Mongi Rahoui du Front Populaire, Elyes Fakhfakh, d’ »Ettakttol », Abid El Briki de « Tunisie en Avant » et Hamma Hammami de « la coalition du Front Populaire », Moncef Marzouki, d’ »Al Harak », Safi Said (indépendant) et Said Aidi, de Beni Watani qui ont « versé dans un discours plutôt démagogique et creux, ne parvenant pas à séduire ni à convaincre ».
Enfin, le reste du groupe formé par au moins dix candidats, a déçu suscitant parfois s’agissant notamment d’Abdelkerim Zbidi (candidat indépendant mais soutenu par de nombreux partis et ONG), pourtant considéré comme l’un des favoris, questionnements et interrogations.
Le cas de ce dernier a constitué un véritable mystère, au regard des difficultés qu’il a éprouvé en matière de communication, de l’incohérence des réponses qu’il a fourni et de sa faible réactivité. C’est aussi le cas de Kais Said (indépendant), de Selma Elloumi, (parti « Amal Tounes »), Hamadi Jbali, (indépendant/courant islamiste), Seif Eddine Makhlouf (indépendant/islamiste), Hatem Boulabiar (indépendant/islamiste), Neji Jalloul, indépendant, Omar Mansour, indépendant, Sghaier Ennouri, indépendant ou enfin Lotfi Mraihi de l’union populaire républicaine.
Dans le brouillard ambiant, il faudra attendre le 15 septembre pour avoir une juste appréciation des chances des candidats en lice et espérer que les 7,8 millions d’électeurs inscrits soient présents à l’appel pour départager les candidats.
Il est à noter que le nombre de bureaux de vote s’élève à 13.834 dont 13.450 bureaux à l’intérieur du pays et 384 bureaux à l’étranger.
L’annonce des résultats préliminaires de l’élection présidentielle est prévue pour le mardi 17 septembre et ceux définitifs seront annoncés après expiration des recours, soit le lundi 21 octobre. Au cas où aucun des candidats n’obtiendrait la majorité absolue des voix (plus de 50%) lors du premier tour, un deuxième tour sera organisé dans les deux semaines suivant l’annonce des résultats définitifs du premier tour.