Tunisie : Manifestation et contre-manifestation sur fond d’attentisme et d’incertitude
Deux manifestations ont été organisées, samedi en milieu de journée en plein centre-ville de Tunis, pour exprimer deux visions antinomiques de la Tunisie ainsi que de sa gouvernance. Pourtant, ces deux camps ennemis défendent un même objectif : « sauver la démocratie tunisienne ».
Les premiers, qui semblent se réveiller d’une longue somnolence, s’opposent aux mesures décidées depuis le 25 juillet 2021 par le Président Kaïs Saïed en vertu de l’article 80 de la Constitution, notamment la suspension des activités de l’Assemblée des représentants du peuple et le limogeage du chef du gouvernement.
Ils crient à la « dérive autoritaire, au coup d’Etat » et expriment leur inquiétude quant à l’avenir de l’expérience démocratique tunisienne.
Il s’agit de formations politiques comme Ennahdha (parti islamiste), grand perdant du séisme survenu à cette date, El Karama (islamiste radical), « Qalb Tounes » dont le président est aujourd’hui détenu en Algérie pour cause de franchissement illégal des frontières et des composantes de la société civile qui entendent marquer leur refus du gel des activités du parlement et de l’amendement de la Loi fondamentale.
Les seconds sont les inconditionnels du chef de l’Etat qui se sont mobilisés pour la circonstance pour exprimer leur adhésion au changement survenu le 25 juillet dernier qui, à leurs yeux, fut un acte salvateur de la démocratie et du pays de la prédation d’une classe politique et d’un système qui est à l’origine de tous les maux dont souffre une Tunisie, au bord de l’implosion politique, sociale, et de la banqueroute financière.
Manifestement, presque deux mois après l’activation par le président Saïed de l’article 80 de la Constitution, le gel des activités du parlement, le limogeage du chef du gouvernement et d’un certain nombre de ministres et de hauts responsables, un sentiment d’exaspération et de craintes commence à se faire sentir.
Selon certains analystes, l’attentisme, l’indécision, les arrestations et les interrogations de députés, de personnalités politiques, d’avocats, les assignations à résidence de plusieurs personnalités de la société civile, les restrictions aux voyages imposées aux chefs d’entreprises comme aux hauts cadres de l’Etat, aux élus ainsi qu’à leurs familles ont fini par créer un « climat délétère ».
Le samedi 18 septembre 2021, la Tunisie est apparue à nouveau divisée, aux prises de l’incertitude et du doute.
D’ailleurs, les protestataires qui ont répondu à un appel publié sur les réseaux sociaux représentent en majorité le parti islamiste, mais également d’autres composantes de la vie politique et de la société civile ainsi que des figures de la gauche.
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Tous ont tenu à souligner l’urgence d’un retour au fonctionnement normal des institutions.
Jawhar Ben Mbarek, spécialiste en droit constitutionnel et ancien conseiller à la présidence du gouvernement, n’y est pas allé des mains mortes, affirmant que les Tunisiens manifestent aujourd’hui pour « protéger notre liberté et nos droits après avoir constaté des indices concordants de régression portant atteinte au processus démocratique ».
Iyadh Elloumi, député proche de « Qalb Tounes » estime que la principale demande aujourd’hui est de lever les mesures exceptionnelles et de mettre fin à la suspension des travaux du Parlement.
Le député indépendant, Safi Saïd, qui a marqué ces derniers jours sa distance vis-à-vis du président tunisien a annoncé son soutien aux manifestants.
Face à cette foule un peu compacte, quelques dizaines de partisans de Kaïs Saïed ont réclamé une dissolution pure et simple du Parlement, scandant des slogans anti-Ennahdha et hostiles à son chef Rached Ghannouchi, président du Parlement gelé estimant que « les mesures exceptionnelles permettront de sauver la Révolution et de remédier à un dysfonctionnement catastrophique des institutions du pays depuis plus d’une décennie ».
Pour certains, le parlement a été la source du mal et les élections 2019, entachées de grandes irrégularités a propulsé aux devants de la scène une classe politique inapte qui assume la responsabilité de la déliquescence de l’état, de l’aggravation du péril terroriste, des difficultés économiques et du désespoir des Tunisiens.
En attendant des mesures concrètes, sans cesse reportées, la Tunisie continue à vivre dans l’expectative, le doute et une sorte de flou total.