Un certain 18 Novembre…
Chaque année, le 18 Novembre, le Maroc fête son indépendance. La date n’est pas exacte à proprement dit, puisque l’indépendance fut déclarée le 02 Mars 1956. Cette première date commémore la fête du trône, fêtée pour la première fois à Salé dès 1930, dix-sept ans après l’installation du double protectorat franco-espagnol, qui dura 42 ans, de 1912 à 1956.
Je ne sais pas si la jeunesse d’aujourd’hui, dans sa grande majorité connaît ces dates, ni le combat que menèrent les Marocains, hommes et femmes pour recouvrir l’indépendance. J’en doute fort. Et pourtant, des milliers de Marocains ont lutté âprement pour que nous puissions vivre aujourd’hui dans la liberté et la dignité. Et ce ne fut ni facile, ni aisé. Le Maroc, vieille nation, existant depuis 1200 ans, a toujours été jaloux de son indépendance, et c’est pour cela qu’il fut la proie, à travers les âges, à de multiples convoitises : omeyyades, abbassides, turques, portugaises, anglaises, espagnoles et françaises.
Toutefois, il arrive qu’un jour, s’estompe cette lutte incessante pour la liberté, non par manque d’hommes, ni de volonté, mais surtout de moyens. Ce ne fut pas propre à notre pays, et toutes les nations et civilisations africaines qui connurent ce moment de déclin, au 19° siècle, où d’autres pays plus forts, plus riches, mieux dotés en armes et soldats aguerris, s’abattirent sur eux, dans un élan expansionniste que les historiens nommèrent « l’impérialisme ».
Le Maroc face aux impérialismes.
Le Maroc subit cet impérialisme, mais de manière graduelle. Ce fut d’abord la bataille d’Isly en 1844, quand notre pays perdit la guerre contre les armées du Général Bugeaud, en venant à la rescousse de l’Emir Abdelkader. Il s’ensuivit les premières capitulations imposées par les vainqueurs.
Ce fut par la suite la guerre hispano-marocaine de Tétouan en 1860, où le Maroc, battu par les armées du général Leopoldo O’Donnell, fut contraint de payer une lourde dette de guerre de 100 millions de pesetas, argent que notre pays n’avait pas et qu’il dût emprunter auprès des banques européennes, avec la garantie de l’Angleterre. En contrepartie, il dut céder les revenus de la douane dans la plupart de ses ports.
À partir de ce moment, un long moment de déclin de l’empire marocain aboutira sur plusieurs conférences internationales, initiées pourtant à la demande du Maroc qui cherchait à jouer les puissances étrangères les unes contre les autres, mais qui débouchèrent sur l’amorce d’un dépeçage en règle du pays.
Ce fut d’abord la conférence de Madrid en 1880 et celle d’Algésiras en 1906, qui sonnèrent définitivement le glas de l’indépendance économique et politique du Maroc, ouvrant la marche vers une lente prise de contrôle du pays par la France et l’Espagne. Le Maroc fut amputé de vastes territoires, principalement à l’Est et au Sahara. Ainsi le Gourara, le Touat, Tidikelt et les terres allant jusqu’à Aïn Saleh furent annexées à l’Algérie par la France. Le Rio de Oro et la Sakia Al Hamra, ainsi que l’enclave de Sidi Ifni furent occupés par l’Espagne.
Pourtant ce qui finit par affaiblir définitivement le pays, furent les multiples séditions opérées par les tribus qui refusèrent, de plus en plus, l’autorité du Sultan. Par la suite, une multitude d’incidents aux frontières algéro-marocaines, à Marrakech et à Casablanca, menèrent à l’occupation de cette ville et de celle d’Oujda dès 1907.
L’instauration du double protectorat Franco-espagnol
Les traités du protectorat signé en mars 1912 avec la France et en Septembre de la même année avec l’Espagne, amorcèrent l’occupation du pays. Pourtant, celles-ci ne purent pénétrer le pays assez facilement et endurèrent une très forte résistance, au nord comme au centre et au sud du pays. Ce fut tout d’abord la révolte d’El Hiba Mae El Ainin, puis celle des Zayans conduits par le Caïd Moha ou Hammou en 1914 et qui dura jusqu’en 1921, celle du Rif avec Mohamed Ben Abdelkrim Khattabi de 1921 à 1926. Le pays ne sera totalement conquis que vers 1934 avec la fin de la résistance des tribus des Ait Atta au Jbel Saghro, menés par le Caïd Assou Ou Basslam.
Le protectorat français, avait été voulu « civilisationnel et pacifique » par le premier Résident général Hubert Lyautey. Ce général, catholique monarchiste, avait veillé à garder les formes traditionnelles de gouvernance trouvées au Maroc symbolisées par le système du Makhzen, du Sultanat et des Vizirs, en évitant au maximum l’administration directe du pays par la France.
Pour le reste du pays, il privilégia une politique d’administration dite des «Grands Caïds», à qui il déléguait l’administration faciale du pays, des officiers des «affaires indigènes» et des administrateurs civils, assurant la gestion effective des affaires. Ceci qui permit de préserver les apparences d’une «pacification» douce du pays et de pouvoir rallier à lui les de dernières tribus rebelles.
Vers l’administration directe et le début du mouvement national
Mais ce système ne pouvait durer longtemps, et la guerre du Rif, et notamment la bataille d’Anoual, mit fin à cette gestion idyllique des affaires marocaines. L’administration directe remplacera ce système féodal, poussée en cela par les convoitises des colons, arrivés en masse d’Algérie et qui voulaient s’accaparer, coûte que coûte, les richesses du pays. Et c’est cette administration directe, qui fut la première et funeste erreur du système du protectorat.
Si le protectorat, principalement français, apporta la modernité au Maroc, il n’y apporta pas la civilisation européenne pour autant. S’étant installé dans l’administration directe, le colonialisme français au Maroc n’avait plus rien à envier à ce qui se passait ailleurs comme en Algérie ou en Tunisie. Certes on construisait des routes, on ouvrait des hôpitaux et on construisait des barrages, mais les Marocains subissaient la servitude du colonialisme. Les villes modernes n’étaient réservées qu’aux seuls Européens, les «autochtones» étaient confinés dans les médinas où des gourbis et des bidonvilles étaient aménagés en périphérie des centres urbains. Les Marocains restaient très peu scolarisés, et ne pouvaient accéder qu’à des emplois subalternes. La liberté de circulation était sévèrement surveillée et les terres les plus fertiles étaient confisquées par des colons, venus principalement d’Algérie.
Les débuts du mouvement national
Cette situation aboutit à l’émergence de nouvelles formes de résistances, urbaines cette fois-ci, dès le début des années 30 avec la promulgation du Dahir berbère, que le protectorat voulut imposer pour séparer juridiquement les populations berbères du reste des autres populations du pays. Cette résistance naquit instantanément, dans les villes de Salé tout d’abord, puis s’étendit à d’autres villes comme Fès, Rabat, Marrakech, pour connaître son apogée, vingt ans plus tard, à Casablanca. Si l’histoire ne retient que certains grands noms ayant marqué ce mouvement national comme Allal Al Fassi, Ahmed Balafrej, Mehdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid, Fquih Basri, Abdallah Ibrahim, Hassan Ouazzani ou M’hammed Boucetta, Mbarek Bekkaï-Lahbil, ce long chemin vers l’indépendance doitson émergence aussi à des intellectuels, des hommes d’affaires ou à de simples commerçants, moins connus ou oubliés comme les frères Said et Abdelkrim Hajji, Abou Bakr Kadiri, Abdelatif Sbihi, Mekki Naciri, Ahmed Lyazidi, Abdelkhaleq Torrès, Mehdi Bennouna, Brahim Roudani, Mohamed Zerktouni, Mohamed Benabdjelil, Abdelkebir El Fassi, Mohammed El Fassi, Tahar Zniber, Seddik Ben Larbi, Kacem Zhiri, Zaid Ou Hsaïn ou Skounti, Rahal Meskini, Abbas Messâdi, Mouha Ou Said Ouirra, Mohamed Hassar, El Hachmi El Fillali, Hoummane El Fetouaki, et tant d’autres, obscures chevilles ouvrières d’un élan patriotique que le protectorat ne put arrêter.
Doucement, l’idée d’un mouvement national commençait à s’installer dans le pays, touchant toutes les couches sociales, devenant de plus en plus consciente de la nécessité de lutter pour l’indépendance.
Le Sultan Mohammed Ben Youssef revint au pays le 16 novembre 1955, après avoir passé 2 ans, 2 mois et 27 jours en exil forcé à Ajaccio en Corse et plus tard à Antsirabé à Madagascar.
Des femmes au cœur du mouvement national
Ce mouvement fut aussi dynamisé par beaucoup de femmes, comme Malika Al Fassi, signataire du manifeste de l’indépendance en 1944, mais aussi par d’autres, d’autres moins connues comme cette Hidna, soeur d’un résistant, qui avait assassiné l’officier Valdivia, durant la guerre du Rif ou l’autre rifaine Aïcha Bent Bou Ziane, qui aurait joué un rôle important dans la bataille d’Anoual en 1921 où les armées espagnoles furent refoulées jusqu’à Melilia; ou encore Mamat Al Farkhania, Aïcha Al Ouarghalia et Haddhoum Bent Al Hassan. Au Moyen Atlas, Itto fille de Mouha ou Hammou Zayani a mené la lutte aux côtés de son père et l’a poursuivie même après la mort de ce dernier en 1921, jusqu’à ce qu’elle soit elle-même tuée.
Mais c’est une jeune femme, princesse de son état et fille du Sultan qui marqua les esprits, et qui, le 11 avril 1947, un jour après le discours de Mohammed V de Tanger, apparut en public à visage découvert et prononça un discours pour la scolarisation et l’émancipation de ses concitoyennes. Par ce geste et cette audace, le Sultan voulait signifier aux yeux du monde que le Maroc ne réclamait pas seulement son indépendance, mais qu’il entrait de manière irrévocable dans la modernité, coupant court avec des siècles de repli sur soi. Ce discours de Tanger, allait sceller définitivement l’alliance du Sultan avec le mouvement national naissant.
Rôle du Maroc dans les deux conflits mondiaux
Malgré les affres subis durant le protectorat, le Maroc, par la voix de ses deux Sultans successifs Moulay Youssef et Sidi Mohammed Ben Youssef, sut trouver le ton juste et s’engager auprès de la France durant les deux conflits mondiaux de 14-18 et de 39-45. Des milliers de tirailleurs et de goumiers prêtèrent main forte aux armées françaises et aux côtés des forces alliées. Les armées marocaines seront aux premières lignes durant ces conflits et perdirent des milliers d’hommes sur les champs de batailles européens. Cette aide précieuse lui fut reconnue par les dirigeants alliés lors de la conférence d’Anfa en 1943, qui se tint à Casablanca, en présence du Président américain Roosevelt, du premier ministre britannique Churchill, du chef de la France Libre, le général De Gaulle et du Sultan Mohammed Ben Youssef. Le Maroc s’engagera une nouvelle fois aux côtés de la France lors du conflit indochinois, quelques années plus tard.
La fin du protectorat
Sentant assez tardivement le vent tourner, le protectorat se raidit soudain, nommant des résidents généraux brutaux, comme les généraux Juin et Guillaume, qui ne tardèrent pas à durcir le ton, envoyant les nationalistes en prison et tentant d’imposer leurs lois controversées au seing du Sultan. La résistance de celui-ci fut héroïque et malgré la révolte des Caïds à la solde du protectorat, il n’abdiqua pas son pouvoir, préférant être déposé de son trône et envoyé en exil surveillé à Madagascar en Août 1953, que d’accepter d’abdiquer.
Des troubles violents essaimèrent dans tout le pays, les Marocains unis et refusant la déposition de leur Sultan légitime, menèrent des actions de désobéissance civile et des attentats contre tous ceux qui supportaient le colonialisme.
Un homme ordinaire, Allal Ben Abdallah symbolisa cette lutte héroïque quand il attaqua, un jour de prière du vendredi, le convoi du Sultan fantoche Ben Arafa imposé par les Français, en lieu et place du Sultan légitime Mohammed Ben Youssef.
La cause marocaine commença alors à avoir de plus en plus de retentissement à l’échelle internationale où des sympathisants en nombre, vinrent soutenir ce mouvement qui s’affirmait au fil des ans et réclamant l’indépendance comme seule alternative possible. Parmi les plus célèbres d’entre eux : André Maurois, François et Claude Mauriac, Jacques Lemaigre-Dubreuil, Georges Izard, François Mitterrand, Jean et Françoise Lacouture, Charles-André Julien ou des années avant, Chakib Arsalane et Rachid Reda. Face à la recrudescence des violences dans les grandes villes et même dans les campagnes, la France se résolut à rappeler le Sultan Ben Youssef de Madagascar et l’installa en France, dans la région parisienne, et débuta les négociations sur le statut futur du Maroc. Le Sultan Mohammed Ben Youssef revint au pays le 16 novembre 1955, après avoir passé 2 ans, 2 mois et 27 jours en exil forcé à Ajaccio en Corse et plus tard à Antsirabé à Madagascar. Il fut accueilli, à son retour au Maroc, le 16 Novembre 1955, dans une liesse indescriptible, tant les Marocains étaient devenus attachés à la personne de leur souverain, longtemps maintenu en exil. L’indépendance fut définitivement déclarée le 02 Mars 1956 par la fin du traité du protectorat français. Le protectorat espagnol quant à lui, s’acheva en Avril de la même année…
Par ce geste et cette audace, le Sultan voulait signifier aux yeux du monde que le Maroc ne réclamait pas seulement son indépendance, mais qu’il entrait de manière irrévocable dans la modernité, coupant court avec des siècles de repli sur soi.
Que dire de cette épopée, soixante-trois ans après l’indépendance ?
Les Marocains dans la diversité de leurs langues, cultures, vécus, surent être unis dans l’adversité, attachés à leur monarchie qui est le ciment de la nation marocaine depuis ses débuts, il y a 1200 ans de cela. Les héros et héroïnes de cette épopée mériteraient qu’on élevât un Panthéon à leur gloire, car ils avaient accepté d’endurer les affres de l’emprisonnement, du bannissement, de l’exil ou du martyre pour que leur pays puisse retrouver sa liberté.
Les évocations mémorielles n’ont de sens que si l’on transmet aux générations futures l’héritage de ces hommes et femmes, épris de liberté et de justice.
Il est grand temps d’enseigner, de faire savoir et de glorifier le combat de tous ces enfants du Maroc, qui un jour, ont refusé que leur pays soit dominé, asservi et colonisé par une puissance étrangère, aussi civilisatrice soit-elle. Cela a un nom : la Liberté. Une notion ancrée dans cette terre marocaine depuis qu’elle a vu le jour et dont le prix a été chèrement payé par ses enfants.
Bien que la France et l’Espagne ont colonisé le Maroc durant 42 ans, il n’en reste pas moins que nous avons une communauté de destin avec ces deux pays, qui sont demeurés proches culturellement et économiquement avec nous. C’est un atout qu’il faut renforcer. S’il est nécessaire de faire le bilan du colonialisme dans tous ses aspects bons ou mauvais, il n’en demeure pas moins qu’il faut avoir l’intelligence de se projeter dans l’avenir et ne garder dans son coeur ni haine ni remontrance et construire une alliance forte avec ces nations bâties sur le respect mutuel et une coopération fructueuse.
RACHID BOUFOUS