Un livre majeur : Seddik Maaninou, l’étoile du témoin et l’histoire de la Marche verte
Par Hassan Alaoui
Voici un livre qui se lit d’un seul trait et ne tombe pas des mains. Un livre de témoignage de près de 180 pages denses, profondes, colorées d’une lumière de journaliste professionnel, témoin de l’histoire, grand homme et mémorialiste de renommée. « La Marche verte », imprimé par les Editions Bouregreg et signé Seddik Maaninou.
Il est notre ami et…notre aîné, je céderais à ce devoir de gratitude pour dire : il est aussi notre maître ! Pendant quarante ans, il a ployé son ombre d’acteur décisif sur le champ médiatique marocain en tant que journaliste de télévision, de témoin privilégié des événements – je précise de tous les événements – qui ont marqué la vie politique et institutionnelle de notre pays. Aux premières loges comme dans les soubassements et les arrières plans de la société marocains, avec les puissants, les riches, les modestes et les démunis, Seddik Maaninou garde la même prestance digne et joyeuse, sur fond d’une humilité qui est à sa culture ce que le socle est à ses origines. Une famille de Tanger installée ensuite à Salé, là où sévissaient la culture, le combat politique et intellectuel, le nationalisme pur et dur et le savoir-faire que les voisins immédiats Rbatis et autres emprunteront…
La silhouette au pas calme, artistique d’une certaine manière nous est restée habituelle par la simplicité qu’elle inspire. « Un homme important » mais qui ne voulait ni cherchait à l’être, encore moins à le devenir. Il était issu de l’enseignement, du sacerdoce public comme on dit, avant de rejoindre le métier de la presse et plus exactement de la télévision devenue son vivier. Quant l’affaire du Sahara a commencé officiellement en cette année cruciale de 1974, Seddik Maaninou y assistait comme un citoyen impliqué déjà. Dans une conférence de presse organisée en septembre 1974, mémorable par ses accents et sa portée historique, le Roi Hassan II annonça que l’année 1975 serait « l’année de la libération du Sahara » et sa décision de saisir la Cour internationale de Justice ( CIJ). Dans son livre, Seddik Maaninou décrit avec force détails et des témoignages exclusifs les péripéties de cette période majeure qui précède la Marche verte, nous met quasiment dans la confidence des décisions que le Roi prenait au jour le jour et dont, journaliste propulsé, il était le témoin privilégié. On dira volontiers qu’il fut placé dans le « starting-book » et quasiment dans les secrets d’Alcôve.
Le rôle que jouera alors Seddik Maaninou pour animer l’émission de télévision spéciale à la demande du Roi, explicative, communicative et populaire, constitue un fait d’arme exemplaire, vu les conditions – matérielles et morales – qui n’étaient guère disponibles. Un exemple de bravoure parce qu’il fallait tout créer de toutes pièces , entre installation de matériel, élaboration et diffusion du contenu et des images, une foi chevillée au corps, la vertueuse pédagogie qu’on lui connaît à Seddik, l’irrépressible besoin de convaincre et cette graine de professionnalisme issue des tripes qui n’a jamais disparu quand bien même il serait devenu le secrétaire général du Ministère de la Communication et le « patron » de la presse nationale à la transformation de laquelle – faut-il le rappeler – il a activement pris part, sinon inspirée.
L’autre dimension du livre, sans doute aussi sinon plus significative est le regard jeté sur l’époque et ses caractéristiques, une projection philosophique, d’autant plus saisissante que Seddik Maaninou, se livre à un exercice difficile : celui du combat contre la langue de bois ! Le ton, notamment des révélations contre la pensée unique alors dominante, un devoir de vérité et cette subtile réappropriation du fait de vérité historique, la dénonciation d’un mensonge délibéré fait au Roi Hassan II par un de ses conseillers et non des moindres, feu Bensouda pour ne pas le citer, acharné à déformer la réalité…D’autres , comme un certain ministre de l’Information dénommé Abdelouahed Belakziz, chargé de transmettre un message du Roi au président sénégalais et qui n’a nullement respecté la consigne, mettant Hassan II en porte-à-faux…
En somme, Maaninou nous dévoile Seddik, sans fioritures, dans sa simplicité nue et ténue, se faisant même violence pour nous dire les choses, nous en révéler leur dimension enfouie, pensant contre lui-même. Quand il a gravi, par l’effet de la substantielle montée en grade administrative, les échelons et qu’il a « quitté » l’antenne pour assumer de très hautes fonctions, on s’était dit : « voilà, nous avons gagné un patron de la communication, mais nous avons perdu un grand journaliste » !
Un parcours professionnel apparenté à une époque décisive de notre histoire contemporaine avec, comme trait distinctif, une transformation profonde. Les dix ou quinze dernières années correspondent à une rétrospective résultante de cette époque que le Maroc, en l’occurrence, célébrera comme une ligne charnière. Le livre de Seddik Maaninou nous en ouvre les portes et les perspectives, comme une clé de sésame. Il n’est pas d’histoire qui s’écrit sans plonger dans les profondeurs du passé immédiat voire abyssal d’un peuple, d’une nation. La passion d’explorer ce passé constitue chez Seddik Maaninou un véritable défi, celui de nous éclairer, de nous impliquer, de nous expliquer enfin la dimension spectrale d’un événement qui est à l’histoire du Maroc ce que la longue durée est à la mémoire collective.