Un remaniement en trompe-l’oeil ou l’heure des compromis

CE QUE JE PENSE

Depuis des mois, les Marocains attendaient, presque résignés mais toujours emplis d’espoir, ce remaniement qui, pensaient-ils, viendrait enfin rétablir l’ordre et relancer le pays. Un sursaut, disaient les plus optimistes. Une réponse aux crises qui s’amoncellent et étouffent le quotidien : la pénurie d’eau, le chômage croissant, l’inflation qui broie les familles. Mais qu’a-t-on vraiment obtenu ? Rien d’autre qu’un changement cosmétique, un jeu de chaises musicales où les visages diffèrent, mais où les ambitions restent désespérément absentes. Le Maroc méritait mieux, mais il s’est vu offrir une manœuvre politicienne, calculée et opportuniste, destinée à préserver des équilibres de pouvoir qui ne reflètent en rien les besoins réels de la nation. Ce constat porte hélas sur la majorité à quelques exceptions près.

Pourtant il aurait pu en être autrement. Ce remaniement aurait dû marquer un moment historique, une véritable réorientation des priorités, un geste fort de rupture avec les pratiques passées. Ce que les Marocains espéraient, c’était un remaniement audacieux, capable de s’attaquer aux crises profondes qui rongent le tissu social et économique de notre pays. Ce qu’ils ont eu, c’est un exercice de distribution des postes, une politique des compromis, où l’efficacité est sacrifiée sur l’autel des intérêts partisans. Ce remaniement n’a en rien répondu aux appels désespérés des citoyens, mais il a bien su préserver l’équilibre entre les forces du pouvoir. Face à un chômage endémique, une jeunesse qui fuit et une rareté de l’eau menaçant l’avenir des générations futures, cette réorganisation n’a fait qu’accentuer la distance entre le gouvernement et le peuple. Le récent remaniement du gouvernement Akhannouch, a davantage soulevé d’interrogations que suscité l’adhésion. Présenté comme une opération de « redynamisation », il ressemble finalement à un tour de passe-passe politique qui laisse les Marocains perplexes et profondément désabusés. Ce qui devait être une réponse aux dysfonctionnements a pris la forme d’un coup de poker politique, visant à renforcer l’influence du chef de gouvernement et de son entourage.

Ce remaniement, loin d’apporter les réponses tant attendues, pose une question cruciale : sur quels critères ont été choisis ces nouveaux ministres, dont beaucoup n’ont ni l’expérience ni les compétences de leurs prédécesseurs ? Alors que le pays traverse une période délicate, marquée par des défis sociaux, économiques et environnementaux urgents, le manque de transparence et de cohérence dans la sélection des membres du gouvernement ne fait qu’accentuer le malaise. Au lieu d’une vision claire et structurée, on se retrouve avec une équipe dont la majorité est inexpérimentée, plongée d’un coup dans la gestion de crises sociales et économiques majeures. Et pourtant, les attentes étaient grandes. Ce remaniement devait être l’occasion de réajuster le cap, de remettre en question des choix politiques qui, depuis trop longtemps, ont échoué à répondre aux aspirations des Marocains. Mais au lieu de cela, nous assistons à une continuité de l’immobilisme, où les visages changent, mais les problèmes demeurent. L’absence d’une réelle vision pour le pays ne font que renforcer la méfiance des citoyens envers leurs dirigeants.

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Les crises qui s’amplifient ne peuvent être résolues par des réaménagements superficiels. Le chômage qui grimpe en flèche, la jeunesse désillusionnée, les pénuries d’eau et l’inflation galopante sont des défis qui exigent des réponses courageuses, des réformes structurelles profondes et des actions concrètes. Ce n’est pas en multipliant les ministres et les budgets qui leur sont alloués que l’on parviendra à redresser le pays, mais en plaçant aux commandes des personnes compétentes dans le domaine en question, capables de faire preuve de leadership et de porter des réformes audacieuses. Le cas le plus emblématique de cette débâcle politique est sans conteste l’éviction de Chakib Benmoussa, remplacé par Mohamed Saad Berrada à la tête du ministère de l’Éducation nationale. Comment peut-on sérieusement justifier qu’un homme ayant construit sa carrière dans l’industrie de la confiserie, certes avec succès, et ancien d’Akwa groupe soit propulsé à un poste aussi crucial à la tête d’un secteur névralgique? En effet, Chakib Benmoussa, vétéran de l’administration publique et ancien président de la Commission sur le Nouveau Modèle de Développement, avait initié l’ambitieux projet de « l’école pionnière », une tentative de réforme qui, bien que critiquable, portait une véritable vision de redressement de notre système éducatif. Qu’il soit écarté symbolise une politique qui semble sacrifier les projets d’avenir sur l’autel des jeux de pouvoir. La nomination de Berrada est ainsi une véritable énigme pour ne pas dire une provocation.

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Les citoyens, déçus et frustrés, s’inquiètent légitimement de voir ces choix déconnectés de la réalité du terrain. Nombre de nouveaux ministres, dont les noms étaient jusqu’alors inconnus du grand public, n’ont pas l’expérience requise pour gérer les ministères stratégiques qui leur ont été confiés. En tout cas, le chef du gouvernement semble avoir puisé dans son cercle restreint, préférant des hommes issus de son réseau personnel plutôt que des experts en mesure de relever les défis colossaux auxquels le pays est confronté. Ce constat est d’autant plus flagrant que certains ministres évincés, comme Mouhcine Jazouli, avaient pourtant élaboré des cadres législatifs essentiels pour le développement économique du pays, notamment dans le domaine de l’investissement. Par ailleurs, Amine Tahraoui, qui succède à Khalid Ait Taleb au ministère de la Santé, est lui aussi un novice dans la gestion publique. Ait Taleb, reconnu pour sa gestion rigoureuse de la pandémie de Covid-19 et son rôle dans la généralisation de la couverture sociale, a été évincé au profit d’un homme dont le seul fait d’armes public est d’avoir occupé des postes au sein du groupe Aksal et de la chefferie du gouvernement. Le manque de connaissance des dossiers de la part de Berrada, Tahraoui et d’autres ministres récemment nommés laisse clairement penser que la priorité n’a pas été donnée à la compétence, mais à la loyauté et à la proximité avec le Premier ministre. C’est à croire que nous sommes face à un Conseil d’Administration… Dès lors, la question s’impose : ce remaniement a-t-il été pensé pour servir les Marocains ou pour stabiliser un gouvernement qui pense déjà aux prochaines élections ? Les priorités du gouvernement sont-elles ailleurs ?

Le miroir aux alouettes de la politique marocaine

Le Maroc traverse une période charnière, et ceux qui sont au pouvoir doivent prendre la mesure de la responsabilité qui leur incombe. Si ce remaniement nous enseigne une chose, c’est bien l’urgence d’un changement réel, d’un sursaut politique et moral. Le Maroc ne peut plus se permettre de perdre du temps, et ses citoyens ne devraient plus avoir à accepter des illusions politiques qui ne font que retarder l’inévitable transformation en profondeur dont le pays a tant besoin. Ce qu’il fallait, ce n’était pas simplement une rotation des visages, mais des ministres dont les compétences correspondent aux postes qu’ils porteront, aguerris, capables de prendre des décisions éclairées et de mener à bien des réformes structurelles profondes. Or, ce gouvernement, majoritairement composé de novices, laisse planer de sérieux doutes quant à sa capacité à enclencher le changement nécessaire. Ces doutes sont légitimes. Comment espérer que ces nouveaux ministres, qui n’ont pas suffisamment de temps, puissent orchestrer des réformes fondamentales dans un pays où l’urgence est palpable dans chaque secteur ?

Les défis qui se dressent aujourd’hui devant le Maroc sont titanesques. Le chômage galopant, la crise de l’eau qui s’aggrave de jour en jour, un système éducatif à bout de souffle, des hôpitaux qui peinent à répondre aux besoins de base, et des investissements qui stagnent. Autant de dossiers brûlants qui nécessitent une action rapide et décisive. Face à cette réalité, on s’attendait à un remaniement capable d’insuffler un souffle nouveau, de redresser la barre et d’apporter des solutions immédiates. Mais que s’est-il passé ? Rien de ce que l’on espérait. Au lieu d’une équipe renforcée, prête à affronter les enjeux cruciaux du pays, on nous sert une réorganisation qui ressemble davantage à une opération de relations publiques qu’à un véritable projet de réforme.

Nous le savons tous, le temps est un ennemi redoutable pour ce nouveau gouvernement. Les échéances électorales approchent, et il est clair que ces nouveaux ministres n’auront même pas le temps d’appréhender les rouages complexes de leurs départements avant que la machine électorale ne se mette en branle, sachant que pratiquement, ils n’ont devant eux qu’un an effectif dont, à coup sûr, six mois pour reformer leurs équipes et parcourir les dossiers sur la table. La dernière année du mandat, elle, étant consacrée à gérer les dossiers quotidiens et bien entendu à préparer les élections.

Bizarrement, ce remaniement, loin d’être un outil au service des citoyens, ressemble plus à une machine politique bien huilée destinée à servir les intérêts personnels de ceux qui la manœuvrent. L’évidence même est que les nouveaux ministres, surtout pour ceux qui n’ont pas d’expérience dans ce sens, n’auront pas de temps pour mettre en œuvre des réformes profondes. Comment, dans ces conditions, espérer un redressement rapide face à des crises qui, elles, ne cessent de s’amplifier ? Il ne faut donc pas se voiler la face : ce que ce remaniement révèle avant tout, c’est l’habileté du chef de gouvernement à manipuler le jeu politique. En plaçant des fidèles et des proches issus de ses entreprises dans des postes stratégiques, il renforce non seulement son pouvoir au sein du gouvernement, mais balise déjà le terrain pour une victoire électorale éclatante lors des prochaines élections.

Critiquer cet état de fait n’est pas un acte de populisme ou d’aigreur fortuite, comme certains voudraient le faire croire, mais un cri de frustration face à un système qui semble tourner en rond. Ceux qui osent dénoncer l’immobilisme ne sont ni populistes ni aigris, mais des citoyens qui attendent des réponses concrètes aux problèmes réels du pays. Et le peuple, dans tout ça ? Il observe, médusé, ce théâtre où les décisions cruciales semblent toujours reportées à plus tard. Les crises, elles, ne prennent pas de pause. Le chômage continue de croître, les jeunes fuient à la recherche d’un avenir ailleurs, et la pénurie d’eau menace de paralyser des régions entières. Pendant ce temps, souhaitons bonne chance et bon courage aux nouveaux ministres dont la tâche ne sera pas de tout repos surtout qu’ils seront sous haute tension.

Le rideau est levé, mais la pièce, elle, n’a toujours pas commencé. Le temps presse, et le Maroc ne peut plus se permettre d’attendre des réformes qui n’arrivent jamais. Les véritables réformes, celles qui redonneraient un espoir tangible à une jeunesse désillusionnée et qui répondraient aux urgences économiques et sociales du pays, semblent repoussées aux calendes grecques.

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