« Une conversation marocaine » de Khalil Hachimi Idrissi Un homme de presse témoigne
« Une conversation marocaine » est le dernier livre que notre confrère Khalil Hachimi Idrissi vient de publier. Il rassemble 145 chroniques écrites et publiées dans le quotidien « Aujourd’hui le Maroc », entre le 12 septembre 2009 et le 23 juin 2011. D’emblée, il convient de souligner l’opportunité de la sortie de ce livre à un moment où la réflexion politique, sociale, culturelle et humaine, dans sa dimension spectrale ou infinitésimale nous interpelle. Le livre de Khalil Hachimi Idrissi est une sorte de miroir que l’observateur lucide qu’il est de l’échiquier national nous tend et dans lequel les uns et les autres se retrouvent pour ne pas dire s’identifient. Il est préfacé par Guillaume Jobin, président de l’Ecole supérieure de journalisme de Paris.
L’éditorialiste politique qu’il ne cesse d’être, quand bien même d’autres tâches – notamment la direction générale et la gestion de l’agence Maghreb Arabe Presse – l’auraient appelé, fait de nous les compagnons de l’actualité, de sa démarche de sondeur et d’explorateur, qui revisite, sans concession aucune, l’évolution de notre société. Son style, d’une volontaire et sobre beauté, ne sacrifie à aucun prisme, il se veut éclaireur et témoin à la fois, d’une époque cruciale que le Maroc a vécue sous le signe d’un mouvement hérissé d’événements politiques et sociaux aux conséquences décisives. L’affaire du Sahara pour commencer, les effets de la crise financière internationale, le Mouvement du 20 février, la nouvelle Constitution de juillet 2011, les élections législatives qui ont suivi et l’arrivée au pouvoir du PJD en novembre de la même année et qui, dans les analyses livrées par Khalil Hachimi Idrissi, y était quasiment prévue en filigrane. L’auteur non seulement subodorait mais prévoyait et tel un prophète éclairé.
S’il s’agissait, en effet, de points de repères devenus aujourd’hui, disons rétrospectivement, indicatifs et significatifs, ils n’en contenaient pas moins en eux-mêmes ou collatéralement une série d’autres événements, à géométrie variable, mais fondateurs. Ils comportent en eux-mêmes la part d’explication nécessaire au présent. On peut parler de la crise des partis et de la relève qu’elle a induit ici et là, notamment au sein de l’Istiqlal et de l’USFP qui ont vécu une implosion programmée. Khalil Hachimi Idrissi, pour la politique comme pour l’économie, la société ou la diplomatie, n’avait pas de mots assez forts pour décrire et décrypter, si nécessaire, sans ambiguïté leur évolution. Il ne sacrifie pas à la langue de bois, encore moins à cette « pensée molle ou consensuelle » que d’autres s’efforcent d’ériger au prétexte de ménager les uns et les autres. Dans son éditorial « Un cataplasme de plus sur la crise économique » par lequel s’ouvre son livre, il écrit que « le plan du ministère des Finances, de lutte contre les effets de la crise, ne peut être utile que s’il est volontaire, pratique et immédiatement opérationnel. Or, ce qui est prévu ressemble à une poudre de perlimpinpin qui a plus pour effet de soigner la communication du ministère des Finances que de donner un coup de main sérieux aux secteurs productifs en souffrance » ! Le ton du constat navrant est là et son auteur ne se contente pas de le dresser seulement. Il enfonce le clou : « En clair, dit-il, il est demandé aux bénéficiaires potentiels de ce soutien alambiqué des preuves de morbidité : « Si vous voulez bénéficier de la réanimation, donnez-nous la preuve que vous êtes bien mort » !
Tout au long des 200 pages de son recueil, Khalil Hachimi Idrissi, trempera sa plume dans l’esprit de ces Tables de la loi que sont chez lui la rigueur professionnelle dans une écriture intransigeante et une volonté de se démarquer et de prendre le recul. Aussi, « Une conversation marocaine », livre majeur par son contenu éclairant sur une époque cruciale de l’histoire du Maroc, nous plonge dans l’univers fiévreux à tous points de vue, d’une actualité fugace, de l’émergence, enfin d’un Maroc exigeant, en attente, sur lequel regards extérieurs hostiles se jetaient et critiques internes mettaient en cause. Khalil Hachmi Idrissi, plume acérée, ne se laisse pas aller à une moue résignée, il réagit, et plus que ça, il écrit, explique dans un style mordant, ne se lasse pas de livrer la pédagogie du métier si besoin, de dire sa sincérité – sous peine d’en choquer quelques-uns – de nous renvoyer au fond l’image de nous-mêmes…
Comme la chiquenaude avant l’emballement, ses éditoriaux sont au journalisme marocain ce que les Blocs-Notes de François Mauriac étaient pour « Le Figaro ». Plutôt que nous embellir ou nous réjouir, il nous choque par devoir et éthique. Il aura démystifié pour nous, non sans courage, le vrai visage de certains comme le journaliste espagnol Cambrero, il aura évoqué par inadvertance mais avec un don prémonitoire que le « chemin de la normalisation avec l’Union européenne sera long », sans compter ce texte décisif, publié le 3 mars 2011, intitulé : « Vous avez dit monarchie parlementaire ? » qui constitue à vrai dire une sorte de profession de foi, le modèle d’un style, l’engagement d’un journaliste qui entend expliquer les tenants et aboutissants d’un débat où le péril menaçant de la réduction, voire de la médiocrité, était plus que présent..
Aujourd’hui directeur général de la MAP, Khalil Hachimi Idrissi, notre confrère et ami à plus d’un titre, ne s’ennuie pas sur esquif et la responsabilité – toute lourde qu’elle est – ne l’empêche pas de nous apporter et offrir la sève de son métier : le journalisme de commentaire et l’analyse. Son livre est d’autant plus riche et dense qu’il constitue un document précieux, un outil de travail pour tous ceux qui ont à cœur d’éclairer le chemin des interrogations et des questionnements sur cette période majeure du Maroc.
- Une conversation marocaine, Casa-Express Editions, 2015