Une publication du PCNS traite les effets du Covid-19 sur l’économie politique internationale
Le processus de mondialisation, si solide soit-il, se trouve à l’épreuve d’une crise sanitaire mondiale inattendue et brutale. Cette réalité adresse au monde une question qui interpelle autant les décideurs, les managers que les chercheurs : Que pourraient être les effets du Covid-19 sur l’économie politique internationale ? Rupture, continuité ou inflexion ?
Une des perspectives qu’il convient de surveiller est celle relative à l’inflexion du processus de la mondialisation. C’est-à-dire, une nouvelle régulation post « consensus de Washington ». Si une telle perspective devait prendre forme, cela nécessiterait un nouveau consensus pour un schéma inclusif et équitable. Le Maroc, tout comme les pays de la rive sud de la Méditerranée et du continent africain, devraient mettre sous le radar cette perspective, et en analyser les déterminants et les conséquences.
Mais « Rome ne s’est pas faite en un jour ». Au-delà des commentaires de circonstance, il faut donc se préparer aux enjeux de l’après Covid-19, en commençant par repérer les signaux de la transformation géoéconomique du monde.
Panique à bord !
Les questions qui interpellent les Etats, quelle que soit leur taille, sont liées au statut et au rang dans l’économie mondiale : quelle position occuper dans le tableau géoéconomique ? Comment y maintenir une position confortable ou comment la conquérir ou la reconquérir ? Et ces questions sont d’autant plus transcendantes, que la compétition sino-américaine, conjuguée aux incertitudes de l’après Covid-19, ne peuvent manquer d’affecter la politique internationale.
Le système de valeur prévalant dans les processus décisionnels des Etats est celui de la solution optimale. De Washington à Pékin, de Bruxelles à Rabat, de Moscow à Addis-Ababa, de Brasilia à New Delhi, comme partout dans le monde, la logique adoptée est celle du choix de l’option qui impliquera des coûts minimaux et des bénéfices maximaux, au vu de l’intérêt national. Le discours protectionniste et anti-multilatéralisme ainsi que le jeu géopolitique agressif sont les conséquences directes de cette tendance, qui risque d’être renforcée par la crise sanitaire du Covid-19.
Le mouvement peut, donc, être accéléré vers plus de protectionnisme. Entre octobre 2018 et octobre 2019, le montant des échanges visés par les mesures restrictives à l’importation était estimé à 747 milliards de dollars, a indiqué de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) dans son rapport de décembre 2019. Ce qui représente, selon cette Institution, une augmentation de 27% par rapport au montant enregistré dans le rapport annuel précédent (588 milliards de dollars).
Quête de sens, à qui la palme de référencement ?
Si la crise économique et financière de 2008 a accentué le clivage démondialisation contre mondialisation, la crise actuelle semble avoir dévié la trajectoire du débat au profit d’une troisième voie, celle de la régulation de la mondialisation. En quatre mois, nous avons assisté à un croisement d’expressions (protectionnisme ciblé, relocalisation, réorganisation de la chaine de valeur) qui, par ailleurs, n’a pas encore montré son ampleur ni abouti à une conceptualisation commune. Mais, le constat est là, les observateurs et la communauté du savoir, dans l’hémisphère nord et la Chine, semblent décidés à dominer le débat. Certainement, nous assisterons à une avalanche de concepts, de programmes et de codes de conduite, destinés à baliser les pistes de la nouvelle régulation. Le risque est que ces idées soient désignées essentiellement à structurer la géoéconomie mondiale, plutôt qu’à l’interpréter. En effet, la sociologie de la production stratégique sur Covid-19 est fortement teintée de l’obsession mutuelle Chine-Occident. Le reste du monde, notamment le continent africain, devra éviter le piège de la dualité incompatible et la guerre des modèles, à travers une présence manifeste dans les grandes fabriques mondiales des idées.
Des lignes de démarcation en vue
Les Etats industriels commencent à tirer la leçon de leur dépendance envers la Chine et entrevoient une réorganisation de leurs chaînes d’approvisionnement, sous forme de relocalisation, régionale sinon nationales. Le Japon a déjà consacré une aide de 2 milliards d’euros aux industriels désireux de délocaliser une partie de leur production hors de Chine. Les autres pays européens, qui sont encore au stade des intentions, réfléchissent à des mesures de relocalisation qui viendraient se greffer sur des choix politiques déjà établis. En France, par exemple, la mise en place d’un « plan d’urgence » pour la filière automobile, avant la fin de l’année 2020, prévoirait une éventuelle relocalisation de la production. Ce mouvement, rendu inévitable, n’est qu’au début d’un processus long. Les capacités des pays développés-forteresses seront mises à rude épreuve, tant il est vrai que le bouleversement des systèmes des chaines de valeur[2] aura un coût politique et économique. En attendant, des indices préliminaires suggèrent que les secteurs de la santé, de l’automobile et de l’aéronautique pourraient subir une relocalisation et/ou une réorganisation de leur chaine de valeur.
Par ailleurs, dans ce contexte, l’enjeu pour le Maroc est d’arrimer son industrie à toute dynamique européenne tournée vers la réorganisation régionale du modèle de production et d’approvisionnement.
Au bout du compte, les angles morts de la domination sino-occidentale de l’instant reproduiront les conditions d’une nouvelle redistribution des cartes. Il est presque banal de constater, avec regret, que les chances de voir l’Afrique au-devant du jeu mondial restent réduites. Comme le dit un proverbe africain « Aussi longtemps que les lions n’auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur ».