Une “taxe carbone” aux portes de l’Europe, un nouveau défi pour les industriels marocains
Par Kenza El Rhana
La Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne (UE) se sont engagés, le 17 décembre 2022, sur la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Concernant, dans un premier temps, les produits “les plus exposés à un risque de fuite carbone”, elle devrait permettre à l’UE d’étendre ses normes environnementales aux entreprises exportant sur son territoire.
Avec 65 % de ses exportations destinées au marché européen, cette mesure devrait fortement impacter l’industrie marocaine. Un nouveau défi qui demandera une force d’adaptation considérable pour les différents secteurs de l’industrie marocaine et défini les contours d’une nouvelle coopération internationale pour la protection de l’environnement.
Dévoilé le 14 juillet 2021 par la Commission européenne, le très attendu texte législatif “Fit-for-55” compilait 12 propositions de réformes qui devraient permettre à l’UE de réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050. Pour s’inscrire dans la neutralité carbone, le 17 décembre dernier, les États membres et eurodéputés ont fini par trouver un compromis en ce qui concerne trois textes majeurs : la réforme du marché carbone européen, le Fonds social pour le climat et la très attendue mise en place d’une “taxe carbone”.
Une nouvelle réglementation aux frontières de l’UE
Plus exactement appelée “mécanisme d’ajustement carbone aux frontières” (MACF), elle définirait le seuil d’émission de GES à partir duquel une activité économique serait considérée comme polluante et devrait donc avoir à payer une taxe pour ses exportations vers l’UE. Entrant en vigueur le 1er octobre 2023, avec une phase de transition de 3 ans, elle devrait instaurer une concurrence loyale entre les produits européens et ceux importés, freinant ainsi la délocalisation des industriels du vieux continent.
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“L’entrée en vigueur de la Taxe Carbone de l’Union européenne peut potentiellement présenter un levier de compétitivité important pour les entreprises installées au Maroc, a relevé Mohcine Jazouli, Ministre délégué chargé de l’Investissement, de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques, ajoutant que le recours accru aux technologies digitales et la transformation numérique des acteurs économiques offrent également au Maroc la possibilité de lever les barrières logistiques et les contraintes géographiques. ». Mais avec 80 % des exportations de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima à destination de l’UE, cette dernière risque d’être pénalisée ou de subir une augmentation significative de ses charges pour un ajustement carbone aux frontières. Idem pour l’ensemble des industriels des secteurs de l’automobile, la parachimie, l’électricité, les fertilisants, l’agro-alimentaire et le textile.
De nouvelles stratégies de production
En attribuant des quotas d’émissions de GES aux entreprises, celles qui ne seront pas en mesure de les respecter, devront payer un surcoût estimé à 87 euros par tonne de CO2, soit près de 900 dirhams en décembre 2022. Selon le GHG Protocol Corporate Standard, les émissions GES d’une entreprises sont classées en trois catégories : les émissions directes, provenant de la combustion d’énergie fossile dans la fabrication directe du produit ; les émissions indirectes liées aux consommations d’énergies nécessaires à la fabrication du produit et les autres émissions, liées aux autres étapes du cycle de vie du produit tel que l’approvisionnement, le transport ou la fin de vie.
Dans un premier temps, seules les émissions directes seront intégrées par l’UE afin de calculer le bilan carbone des productions étrangères. Pour faire face à cette situation rapidement, de nombreuses entreprises marocaines s’engagent dans des programmes de transition énergétique, qu’elle concerne l’ingénierie, l’approvisionnement ou la construction.
Face à la nécessité de mettre en place une stratégie d’optimisation énergétique, l’utilisation d’énergies propres pour la mise en place d’un marché carbone national et de mécanismes de certification de l’empreinte carbone des produits marocains, s’accélère. Le Département de l’Industrie marocain a, dans ce sens, lancé plusieurs initiatives visant à accélérer la décarbonisation de l’économie nationale : le “War Room Green Economy” pour promouvoir l’émergence d’un écosystème favorable à l’économie verte ou le programme “Tawtir croissance verte” concernant le réduction de la pollution industrielle des TPME. La création de lignes de financement, financées par des partenaires européens, telles que Green Value Chain et Green Economy Financial Facility, ont également été mises en place pour faciliter le financement des technologies vertes et des énergies renouvelables.
Un processus déjà bien entamé
En ce qui concerne les émissions GES du Royaume, il reste relativement faible avec 86.127,7 gigagrammes d’équivalent dioxyde de carbone (Gg éq CO2) en 2016, soit environ 0,2 % des émissions mondiales de GES. Mais les ambitions du pays ne s’arrêtent pas là.
Depuis 2009 et les Hautes Orientations de SM le Roi Mohammed VI, le Maroc s’est engagé massivement dans son processus de transition énergétique. Face à l’urgence planétaire, il soumet en 2021 sa nouvelle contribution déterminée au niveau national, auprès du secrétariat exécutif de la convention-cadre des Nations Unies (CDN) et revoit à la hausse la réduction de ses émissions GES de 45,5 % d’ici 2030, avec un objectif inconditionnel de 18 %.
Avec 61 projets d’atténuation dont 27 sont conditionnés par un soutien international, les secteurs de l’énergie, l’industrie, le BTP, le transport et l’agriculture trouvent rapidement des solutions techniques, économiques et sociales pour faire face aux nouvelles réglementations étrangères. Sous l’égide d’une coopération internationale tournée vers l’avenir, le coût total de cette actualisation est estimé à 38,8 milliards de dollars, dont 21,5 concernent des projets conditionnels.