Visite prochaine d’Ursula von der Leyen à Rabat : toujours le Maroc

Hachim FADILI (*)

Après avoir annulé sa visite pour raisons médicales le 15 janvier dernier et reporté sine die son déplacement au Maroc, la présidente de la Commission européenne devrait se rendre au Royaume sous quinzaine. La rencontre qui devait porter essentiellement sur l’annulation des accords commerciaux de pêche et d’agriculture entre le Maroc et l’UE, s’inscrit dorénavant dans un contexte inédit : le gel par Donald Trump de ses relations avec l’Union européenne, au profit de liens directs avec les États membres de l’UE, et l’instauration des droits de douane à l’Union européenne.

Prétendant réagir avec ambition, Ursula Von der Leyen a dévoilé mercredi dernier, 29 janvier 2025, sa « boussole de compétitivité » de son nouveau quinquennat. Boussole en main, Madame Von der Leyen devra rapidement saisir que la flèche de visée pointe vers le Sud-Ouest de Bruxelles, le Royaume chérifien millénaire, en plein essor.

Parmi les pays partenaires méridionaux, le Maroc est effectivement l’un de ceux qui entretiennent les relations les plus développées avec l’Union européenne. Après l’accord d’association entré en vigueur en 2000, un nouveau plan d’action a été adopté en 2013 dans le cadre de la Politique européenne de voisinage. En 2008, le Maroc avait obtenu le « statut avancé », témoignant de la volonté de renforcer la coopération entre l’Union européenne et le Royaume, et de soutenir davantage les réformes économiques et politiques. Le partenariat UE-Maroc pour la mobilité a ensuite été lancé en juin 2013.

Il y a quatre ans, dans le cadre du nouvel examen de sa politique commerciale, l’Union a envisagé la modernisation de ses relations commerciales et d’investissement avec le Maroc, afin de mieux faire face aux défis actuels. L’Union européenne et le Maroc ont alors conclu un accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable, entré en vigueur le 18 juillet 2019 et fait l’objet d’une reconduction tacite. Son premier protocole de mise en œuvre a duré quatre ans, du 18 juillet 2019 à son expiration le 17 juillet 2023.

Il devra être reconduit ; Von der Leyen le sait et elle n’a pas le choix au regard d’une part, du message clair de Sa Majesté le Roi Mohammed VI du 20 août 2022 : « le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit », d’autre part, du soutien indéfectible au Maroc de la Commission européenne en sa dernière composition il y a quelques mois, du Conseil européen, et de plusieurs États membres de l’UE, dont la Belgique, l’Espagne, la France, la Hongrie, le Portugal et la Slovaquie.

Lire aussi : Ursula von der Leyen réélue présidente de la Commission européenne

Aussi, contrairement à certaines analyses (Marin Daniel Thézard – Visite d’Ursula von der Leyen au Maroc : « on marche sur des œufs » – TelQuel 28 janvier 2025), on ne marche pas sur des œufs, mais sur un tapis royal porteur d’une diplomatie forte et d’un soft power performant, invitant chaque hôte ayant le soin de le fouler, à considérer sans détour, ni circonvolution, pleinement tout ce qui précède.

L’auguste posture du Dragon rouge Xi Jinping face à Son Altesse Royale le Prince héritier Moulay El Hassan – de cinquante ans son cadet, lors de sa visite à Casablanca le 22 novembre dernier, a été l’illustration parfaite d’un maître visionnaire au pragmatisme certain, affirmant que la Chine était prête à continuer à travailler avec le Maroc pour se soutenir fermement sur les questions concernant leurs intérêts fondamentaux respectifs, et à promouvoir un plus grand développement du partenariat stratégique Chine-Maroc. Von der Leyen devra faire de même ; elle n’a pas le choix et elle le sait.

La redistribution par Donald Trump de toutes les cartes idéologiques, géopolitiques, aussi bien économiques que militaires, augure à la présidente de la Commission européenne un sérieux revers de manivelle russe, au regard de son extrême véhémence à l’égard de la Russie et de sa partialité outrancièrement otanienne et cela, en dehors même de ses attributions institutionnelles.

Contraint de se concentrer sur les continents américain et asiatique avant les élections de mi-mandat (mid-terms) de 2026, Donald Trump qui a donné 100 jours à son émissaire le général Keith Kellog, pour mettre fin à la guerre en Ukraine, envisage d’ores et déjà le retrait de 20.000 soldats d’Europe occidentale. A une brève trêve, l’imminence d’une paix durable négociée dans le dos de l’UE ne fait aucun doute.

Par ailleurs, la récente interview du 24 janvier dernier à la radio hongroise Kossuth radio, du premier ministre hongrois Viktor Orban, à la fois proche aussi bien de Vladimir Poutine que de Donald Trump, annonce la fin d’un paradigme : celui de l’Union européenne telle qu’imposée depuis 2008, malgré les résultats négatifs des référendums français (54,68 % de non) et néerlandais (61,54 % de non) sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, respectivement des 29 mai et 1er juin 2005. Il a indiqué que les sanctions de l’UE contre la Russie ne peuvent être prolongées que si l’Ukraine rétablit le transit du pétrole et du gaz russe vers l’Europe centrale, met fin aux attaques contre le gazoduc TurkStream et fournit des garanties pour la poursuite du transit du pétrole via son territoire.

Déplorant que les décisions de Kiev aient entraîné une nouvelle hausse des prix de l’énergie sur le marché européen, Monsieur Orban a également ajouté que les sanctions de l’UE contre Moscou nuisent à l’Europe – la Hongrie à elle seule a perdu environ 19 milliards d’euros à cause de ces sanctions – et que les dirigeants de l’UE devraient donc se demander s’il convient de poursuivre cette politique. Et d’ajouter que Bruxelles devrait reconsidérer attentivement l’opportunité de maintenir une politique de sanctions qui n’a pas atteint son objectif et qui n’a fait que nuire aux pays de l’UE eux-mêmes.

Dans ce contexte instable pour elle, la présidente de la Commission européenne a tout intérêt à s’appuyer sur des partenaires fiables et stratégiques comme le Maroc. Plutôt que de s’inscrire dans une logique de confrontation ou de réajustement forcé, cette visite doit être envisagée comme une opportunité de renforcer un partenariat gagnant-gagnant, fondé sur des intérêts communs et une vision partagée de l’avenir euro-africain. Loin d’un simple exercice de style, cette rencontre sera un test diplomatique pour l’ancienne ministre de la défense allemande Ursula Von der Leyen : sa capacité à s’adapter aux nouveaux rapports de force mondiaux et à consolider les alliances stratégiques de l’UE sera observée de près.

Occupant une place croissante sur l’échiquier international, de son côté, le Maroc continuera d’affirmer son rôle central dans un contexte de recomposition des alliances globales dans un monde devenu multipolaire, avec une posture résolument tournée vers l’avenir. Le projet de Gazoduc Afrique Atlantique – Nigeria Maroc, et l’Initiative Royale Atlantique – visant entre autres à faciliter l’accès des pays du Sahel à l’Atlantique, à stimuler l’intégration économique et accroître les investissements étrangers au Sahel, à transformer Dakhla en un pôle économique régional, à préparer la future Zone de libre-échange continentale et africaine (Zlecaf) -, ne devraient pas résister à l’analyse de Madame Von der Leyen. Cet engagement démontre le rôle majeur du Maroc en Afrique, et met en lumière l’importance de la coopération UE-Maroc dans un contexte de recomposition des alliances continentales.

Aussi, la récente déclaration intempestive du Commissaire européen aux Transports et au tourisme durable, Apóstolos Tzitzikóstas, « l’accord aérien euro-méditerranéen entre l’UE et le Maroc ne s’applique pas aux liaisons aériennes en provenance du territoire d’un État membre de l’UE vers le territoire du Sahara occidental », sera considérée comme une opinion personnelle n’engageant que son auteur ; et ce d’autant plus qu’il estimerait que les propres États membres de l’UE agiraient en violation des textes, considérant que la compagnie aérienne irlandaise Ryanair a lancé sa ligne entre Madrid et Dakhla, et que Transavia, filiale du groupe franco-allemand Air France-KLM, ainsi que la société espagnole Binter, assurent des vols vers Laayoune et Dakhla, respectivement depuis Paris et les Îles Canaries.

En leur déclaration conjointe du 4 octobre dernier sur les arrêts de la Cour de Justice européenne concernant le Maroc, la Présidente Ursula Von der Leyen et le haut-représentant/vice-président Josep Borell, ont affirmé que « l’UE réitère la grande importance qu’elle attache à son partenariat stratégique avec le Maroc, qui est de longue durée, vaste et approfondi ».

Et d’appuyer :  » Au fil des années, nous avons noué une amitié profonde et une coopération solide et multiforme, que nous entendons porter à un niveau supérieur dans les semaines et les mois à venir ».

Dont acte.

(*) Hachim FADILI

Avocat au barreau de Paris

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