Vive l’Inflation ! Vers un 4ème choc pétrolier ?

Par : M’Fadel El Halaissi,

Directeur Général Délégué

BANK OF AFRICA

S’il y a un sujet sur lequel les économistes tentent d’apporter des explications très controversées c’est bien celui de l’inflation. On s’accorde, hâtivement, à dire que les conséquences de l’inflation sont défavorables au fonctionnement de l’économie, mais on diverge totalement à identifier le fait générateur de la hausse des prix, et les mesures appropriées à prendre pour juguler l’inflation, ou du moins, atténuer son rythme de croissance.

L’inflation a toujours été jugée néfaste pour l’économie, et l’ennemie à abattre, condamnée par contumace et sans appel par toute la communauté des Banques Centrales et les disciples de l’école de la pensée économique monétariste, alors qu’elle se conjugue au pluriel (diverses typologies d’inflation) et qu’elle est même un sous-jacent fondamentale de la croissance économique, qu’il faut peut-être lui laisser un espace d’expression.

L’inflation est de retour actuellement dans le monde à l’aune de la hausse du prix de pétrole qui augure probablement d’un 4ème choc pétrolier à la faveur d’une reprise économique post Covid-19.

  • Vers un 4ème choc pétrolier ?

Le monde a déjà vécu trois périodes dites de choc-pétrolier caractérisées par des hausses brutales du prix du baril et avec des conséquences sur l’indice des prix de la consommation et donc d’inflation.

  • Le 1er choc de 1973 fut le plus brutal. Découlant de la guerre Israélo-Arabe d’octobre 1973, marquée par la destruction de la ligue Bar-Lev par l’armée égyptienne.

L’OPEP a pris la décision d’augmenter de 70% le prix du baril, tout en annonçant une réduction de la production.

Cette décision unilatérale de l’OPEP a plongé le monde dans une spirale inflationniste, et dans une série de crises financières, monétaires et économiques de plusieurs économies.

Il faut dire que ce premier choc pétrolier a effectivement servi de couverture au véritable choc économique induit par l’abandon des accords de Bretton-Woods, décidé unilatéralement par le président Richard NIXON le 15.08.1971, annonçant la fin de la convertibilité du Dollar en or, et sa dévaluation…

Désormais, le système monétaire international est livré à un système de taux de change flottant, au gré des marchés de change et spéculateurs.

  • Le 2ème choc pétrolier eut lieu en 1979, suite à l’avènement de la révolution iranienne, et de la guerre Irak-Iran.

Contrairement à la première crise pétrolière qui n’a touché que certaines économies, la seconde a été élargie aux pays de l’Asie et du Tiers-Monde. Le prix du baril de pétrole « Arabe Léger) est passé de 13 $ US en septembre 1978, à 38 $ US en mai 1979 et à 40 $ en septembre de la même année.

En dépit de l’augmentation de la production saoudienne pour compenser la chute de l’offre Iran- Irak, les prix n’ont pas pu baisser avec une spirale inflationniste incontrôlable.

Évolution du prix du Baril :

  • Le 3ème choc pétrolier, 2008. A l’inverse des deux premières crises pétrolières dont la hausse des prix se produisaient brutalement, le 3ème choc pétrolier fut une progression dans la durée. Ainsi, les premiers signes de hausses significatives apparaissent entre 2003 à 2007. La forte demande de la consommation a atteint son paroxysme en 2008 avec un prix du baril atteignant 147 $ US.

Désormais, au-delà des répercussions inflationnistes de cette augmentation du prix du pétrole, les programmes d’investissements dans la recherche de produits de substitution sont lancés un peu partout dans le monde, notamment dans le secteur des énergies renouvelables, et la voiture électrique.

Ce que nous retenons de ces trois périodes de choc pétrolier, est que l’inflation est étroitement corrélée. On parle de l’inflation par les coûts et/ou de l’inflation importée. Cependant, les risques de « tensions inflationnistes » se multiplient quand il y a à la fois la pression sur les coûts à travers l’augmentation des prix de matières premières telle l’énergie, une pression causée par des injections massives de liquidités pour endiguer les effets de la crise sanitaire Covid-19 sur les marchés financiers, et enfin une pression de la demande des consommateurs après le stress du confinement et l’excès de l’épargne forcée.

La conjugaison de ces trois facteurs à la fois, laisse présager que plusieurs économies dans le monde risquent de voir plusieurs foyers de tensions inflationnistes au courant des mois et années à venir !

D’aucuns pensent qu’elle sera peut-être salutaire pour faire sortir l’économie mondiale de ce long et pénible marasme économique plus redoutable et nuisible que quelques points d’inflation.

Évolution du prix du pétrole d’avril 2021 au 21 octobre 2021

  • L’inflation est-elle à craindre ?

Il est indéniable à présent d’avancer l’hypothèse selon laquelle c’est la consommation qui constitue le moteur de l’économie de marché. Si le rythme de la consommation s’atténue, c’est tout le système économique qui marchera au ralenti. En revanche, si la consommation progresse, l’économie est portée par la croissance.

C’est ce cercle vertueux qu’il faut protéger, et craindre à son déséquilibre.

Par conséquent, si l’inflation est répercutée positivement sur le pouvoir d’achat, il n’y aura aucune conséquence négative sur l’équilibre entre le niveau de la consommation et celui de la croissance économique. En revanche, l’inflation est à craindre si elle réduit le pouvoir d’achat des consommateurs notamment à faible revenu. Car ceci se traduira inéluctablement par une stagnation, voire une récession économique, sans parler des conséquences défavorables quant aux aspects strictement monétaires.

Ceci étant dit, la question qui se pose actuellement, après le constat de la hausse des prix du pétrole sur les marchés au cours des dernières semaines, est de savoir si les tensions inflationnistes vont se raviver dans l’économie mondiale ou non ? Si oui, dans quelles mesures ces tensions sont situées en termes de taux d’inflation dans les économies dominantes, et dans quelles proportions les économies émergentes ou « satellites » subiront-elles l’inéluctable répression ?

Les facteurs des tensions inflationnistes actuelles

Plusieurs facteurs pourront être à l’origine de la constitution de foyers de tensions inflationnistes dans une économie donnée. Mais, au regard de l’économie mondialisée, trois facteurs dominants sont les vecteurs d’une probable surchauffe de l’inflation mondiale avec une dissémination différenciée selon chaque économie.

  • La croissance de la demande. Tous les analystes et économistes s’accordent à dire que les effets « Post-pandémie » se traduiront par une reprise croissante de la consommation. Celle-ci sera boostée par, d’une part la levée progressive des libertés de circulation, et par l’accumulation d’une épargne constituée tout au long des deux dernières années de la crise sanitaire. Les budgets des états ont certes souffert, mais l’épargne des ménages a bien enflé.
  • L’excessive offre monétaire. Force est de constater que toutes les Banques Centrales dans le monde ont eu recours à des injections massives de liquidités monétaires pour éviter la chute inéluctable des marchés boursiers et financiers à coup de plusieurs milliers de milliards de Dollars et d’Euros. Ainsi, sans verser dans une hypothétique pure analyse monétariste, ces quantités d’argent n’avaient aucune contrepartie réelle de production de biens et de services. Or, mathématiquement, il faut bien additionner la masse monétaire en circulation avant de la rapporter aux valeurs de biens et services en contrepartie. La facture de ces injections massives ne peut pas passer inaperçue, et ne peut demeurer en impayée !
  • Perspectives de la relance Post-Covid

La sortie progressive de plusieurs pays dans le monde de l’étau des confinements à répétition, et les espoirs nourris dans les résultats obtenus des campagnes de vaccination, ouvrent de larges horizons à la reprise économique dans le monde.

Les perspectives de cette relance économique créent ipso-facto des anticipations (parfois démesurées) chez les entreprises qui accélèrent les chaines de production pour répondre à une demande future. La forte hausse des prix du pétrole en est l’incarnation.

Ce sont là les facteurs de base auxquels s’ajouteraient d’autres facteurs intrinsèques à chaque type d’économie, qui risquent de concourir à alimenter l’inflation.

Néanmoins, il faut souligner que l’inflation a toujours accompagnée la croissance économique, mais l’inverse est très rare, voire exceptionnel !  L’essentiel est de savoir maitriser ses effets tentaculaires sur l’économie et surtout d’éviter qu’elle réduise le pouvoir d’achat des consommateurs.

Ne faut-il pas mieux avoir une économie avec un taux d’inflation « maitrisé » et une croissance économique soutenue, qu’une économie déflationniste en récession ?

L’épouvantail de l’inflation est à percevoir en fée !

M’Fadel EL HALAISSI

Directeur Général Délégué

BANK OF AFRICA

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